13 - Angel of the bottomless pit

    Abaddon Tahir, trente-quatre ans, milliardaire, PDG de Zenvolf Corporation – et treizième célibataire le plus convoité selon Cosmo – était un homme d'une beauté que Colibri qualifiait personnellement d'affligeante. Il avait le teint hâlé sans pour autant que sa peau fût marquée par les traces d'agression de séances de bronzage abusives ; il portait une barbe de trois jours sans que cela parût négligé ou calculé – non, chez les hommes comme Abaddon Tahir, la barbe de trois jours était naturelle et terriblement séduisante – ; il était grand sans pour autant ressembler à une perche ; sa génétique parfaite l'avait doté d'épaules larges, d'une légère cambrure, de cheveux auburn épais et en bataille, de deux yeux en amande couleur miel et d'une prestance écrasante.  

- Sortez, Anita, lança Tahir à l'assistante qui avait introduit Colibri et Aleksey. Lequel d'entre vous deux est le légiste ?

« Ni bonjour, ni ça va, ni merde... » songea en soupirant Sophie.

- Moi, fit-elle en s'avançant.

- Alors vous, sortez aussi dans le couloir, fit Abaddon en agitant la main. Hors de question d'avoir plus de nuisibles que la loi l'exige.

Malheureusement pour ceux qui devaient côtoyer Abaddon Tahir autrement que sur le papier glacé de magazines populaires, le PDG de Zenvolf Corp. était également doté d'un caractère de chien.

« Pas étonnant qu'on te surnomme Fifty Shades, toi... »

    Le capitaine Aleksey fit la grimace mais recula et se retrouva relégué dans le couloir. La porte claqua sous son nez et Anita, qui n'avait pas encore rejoint son bureau, n'osa même pas se retourner. Mickaël poussa un gros soupir et dégaina son portable, s'adossant au mur du bureau du PDG. Ce type avait une réputation d'enfer, et il y faisait honneur, pensa le capitaine en ouvrant iTunes U, bien décidé à apprendre le nom d'une centaine de dinosaures avant la fin du mois – une lubie qui l'obsédait depuis qu'il était allé voir Jurassic World.

    Sophie, restée seule dans l'immense bureau de Tahir, le vit faire le tour de la grande table ovale transparente qui trônait au beau milieu de la pièce et commencer à chercher un ouvrage parmi les nombreux livres de collection à la couverture en cuir qui étaient soigneusement alignés dans une grande bibliothèque.

- Je... commença la jeune femme.

L'homme fit glisser son doigt sur les tranches brunes et parfois craquelées des ouvrages, sans prêter la moindre attention au médecin-légiste. Cette dernière avisa le bureau particulier de Tahir, où tous les papiers et dossiers étaient impeccablement rangés – pas un vulgaire post-it pour déparer ce qui devait être de l'ébène, malgré la législation. Colibri posa sa serviette et son ordinateur sur le dit-bureau et se racla la gorge.

- Pas besoin de vous manifester aussi organiquement, fit le PDG tout en continuant à chercher un livre dans la bibliothèque – qui, à la réflexion, devait également être en bois d'ébène... Je sais que vous êtes là, même si...

Abaddon Tahir fit alors une chose qui dépassait tout ce que Sophie avait pu subir en terme de brimade en ce qui concernait sa petite taille : il retint un sourire moqueur, et son regard se perdit quelque part au-dessus de la tête de la jeune femme, avant de revenir sur son visage, comme si l'homme d'affaires avait perdu de vue Colibri à cause de son mètre cinquante.

- Plus vite nous co...

- Épargnez-vous de la salive, madame... madame...

- Co...

- Attendez, je vais le retrouver, l'interrompit Tahir en tirant un livre de la bibliothèque et en levant la main. C'est un nom d'insecte... Non... D'oiseau exotique. Perruche ? Hmm... Non. Autruche ?

Sophie dut faire son possible pour se retenir de froncer les sourcils. Elle était furieuse : Tahir savait qu'il était suffisamment riche pour pouvoir jouer au chat et à la souris avec n'importe qui. Et elle détestait plus que tout ceux qui abusaient de leur pouvoir. Elle ne donna pas à Abaddon le loisir de la couper encore une fois et le PDG s'avança vers elle, un sourire froid sur les traits. 

- Madame Pintade, peut-être ?

- Si Zenvolf Corp. chute en bourse, pensez à vous reconvertir dans le one man show, vous ferez un tabac.

- Oh, je vous ai vexée !

N'importe quel autre humain eût ajouté un hypocrite « Excusez-moi », pas Abaddon Tahir. Abaddon Tahir, au contraire, souriait de toutes ses dents blanches parfaitement alignées. Un sourire de loup qui faisait comprendre à son interlocutrice qu'il avait bien évidemment eu la volonté de la vexer.

- Et je m'appelle Colibri.

- Un oiseau-mouche, cela vous va à ravir. Vous devriez demander à Anita de vous conseiller en terme d'escarpins. Quoique, non, vous travaillez au contact de chairs mortes et de cinglés. Non, oubliez, personne ne s'intéresse à ce à quoi vous ressemblez.

Sophie était abasourdie. Personne ne s'était jamais comporté de façon aussi outrecuidante avec elle. Jamais. Si Heath était là, il aurait pris sa défense sur le champ et Tahir n'aurait eu qu'à bien se tenir ! Mais c'était vrai : Heath n'était plus là.

    Heath ne répondait même pas aux appels.

    Le PDG s'installa à son bureau d'ébène et y posa le livre. Sophie voulut s'asseoir à son tour, mais Tahir, de ce mouvement de la main qui devenait une réelle insulte, l'interrompit à nouveau :

- Tt-tt. Non, prenez ceci.

Il poussa le livre vers Colibri.

- Prenez-le, enfin. Ce n'est pas la petite bête qui va manger la grosse.

Sophie se dit qu'elle aurait de quoi remplir un dossier de quarante pages avec ces quelques minutes seulement. Se disant qu'il valait mieux ne plus tendre la moindre perche à Tahir, elle saisit le livre en cuir.

- Bien, ma fille. Maintenant, posez-le sur le siège sur lequel vous comptiez manifestement prendre place.

Colibri fit entendre un claquement de langue. Il fallait qu'elle restât calme. Elle n'avait pas – ni le capitaine Aleksey – le moindre mandat, et la procédure pour faire une évaluation psychiatrique pouvait prendre des mois si le sujet y était réfractaire. Le médecin-légiste posa le livre sur le siège tournant en cuir et lâcha un lourd soupir.

- Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage, cita Abaddon Tahir en croisant les doigts, les coudes posés sur le bureau.

- Je vous donne un bon point en poésie.

Abaddon plissa les lèvres d'un air méprisant et murmura :

- Veuillez ne pas vous asseoir sur le livre, c'est un Americana.

Et Sophie réalisa qu'elle devait rester debout face au bureau, comme une collégienne prête à recevoir une remontrance de la part du proviseur.

- Pardonnez-moi ma franchise, Tahir, mais vous êtes de loin l'être le plus puant que j'aie jamais croisé. Et pourtant, j'ai senti mon content de cadavres.

Abaddon Tahir écarquilla légèrement ses yeux couleur de miel. Un fin sourire apparut sur ses traits et il inclina la tête :

- Eh bien, voilà, nous en avons fini.

- Quoi ?! Non, attendez, vous...

- Ce que vous venez de me dire, vous pourrez le consigner dans votre rapport, madame... Enfin, non, mademoiselle, j'imagine... Ou plutôt...

Mal à l'aise, Sophie sentit le regard doré du treizième célibataire le plus convoité la sonder.

- Vous êtes mariée ?

- Qu'est-ce que ça peut bien vous...

- Vous ne l'êtes plus, mais vous l'avez été ! s'exclama brusquement Tahir en s'adossant confortablement au dossier de son propre fauteuil. À votre âge, tout de même... Je suppose que c'est lui qui est parti ? Si je peux me permettre une réflexion, il a bien fait.                                      

- Parfait. J'imagine que cet entretien est terminé ?

- Si vous le souhaitez.

Colibri serra les poings. Comment ce salopard avait-il deviné ? Seul Jayvart, qui avait assisté au mariage, savait ce détail de sa vie. Même Heath ignorait que la jeune femme avait été mariée. Le médecin-légiste perdait rarement son sang-froid – c'était une qualité requise dans son métier – mais Abaddon Tahir, tout treizième célibataire le plus convoité qu'il était, dépassait les bornes. Sophie finit par exploser – sans se soucier du sourire tout à fait réjoui de son adversaire :

- Ce n'est qu'une putain d'évaluation ! Vous allez vous retrouver chargé devant le tribunal pénal pour harcèlement moral par votre employé schizo si je ne fais pas cette évaluation, merde !

- Ah, parce que le gentil, ici, c'est vous, c'est ça ? La redresseuse de torts ? Vous veniez me rendre un service, j'imagine ?

- Je fais mon boulot, gronda Colibri.

- Vous devriez prendre un RTT. Je crois que vous êtes à bout de nerfs. Ce qui peut se comprendre : je ne vois pas comment on peut se remettre de s'être fait jeter par son mari au profit d'une...

- Hello ! Besoin d'aide ?

Sophie Colibri laissa ses épaules retomber. Mickaël Aleksey venait de faire irruption dans le bureau.

- J'ai cru entendre crier, se justifia-t-il. Quelque chose ne va pas, Colibri ?

- Tout va très bien, capitaine, rétorqua le médecin-légiste d'une voix étrangement métallique. Monsieur Tahir refuse de passer son évaluation psychiatrique.

- Ah. Il faut...

- Il s'expliquera devant la juge d'instruction.

- Monsieur, tenta de concilier le capitaine Aleksey, ça n'a rien d'insurmontable, c'est...

- Je ne vous ai pas demandé de pénétrer dans mon bureau. Vous avez un mandat de perquisition concernant cette pièce, officier ? demanda Tahir d'un ton corrosif.

- Non, mais...

- Alors je vais vous ordonner de quitter les lieux sur le champ. Zenvolf Corp. n'a pas de temps à perdre avec les manigances puériles de quelques insectes. Revenez avec un mandat dument ratifié par le procureur et nous verrons pour la suite.

- Écoutez... tenta à nouveau Mickaël, qui fronçait à son tour les sourcils.

- J'ai le pouvoir d'envoyer n'importe quel flic parader jusqu'à la fin de ses jours à Roubaix, cracha Tahir en se levant et en saisissant les affaires que Colibri avait posées sur le bureau. Vous sortez ou bien vous me présentez un mandat.              

Aleksey soupira et fit un signe de tête à Sophie pour l'engager à le suivre, et il sortit du bureau. Abaddon Tahir, dont les yeux s'étaient obscurcis sous une sorte de rage intérieure, saisit Colibri par le bras pour la pousser vers la sortie. Ce simple contact électrisa la jeune femme.

- Non, mais attendez ! s'insurgea-t-elle. Pour qui vous vous...

- Voilà vos affaires.

Mickaël ne s'était pas retourné à temps : Tahir avait déjà lâché le médecin-légiste et lui avait fourré dans les bras son ordinateur et sa serviette.

- En passant devant le bureau d'Anita, prévenez-la qu'elle est virée, ajouta le PDG d'un ton narquois.

Il allait refermer la porte, laissant une Sophie furieuse, mais une force inconnue le retint brutalement. Un éclair d'inquiétude passa sur ses traits lorsqu'il posa la main sur l'épaule de la jeune femme et cette dernière lut un mélange de peur et de haine dans les yeux dorés de l'imbuvable célibataire convoité. Elle le vit humer l'air, comme s'il cherchait à reconnaître le parfum qu'elle portait, mais n'y prit pas garde et se dégagea. 

- Colibri, n'est-ce pas ? répéta-t-il entre ses dents.

- Bravo, vous aurez retenu un mot de vocabulaire, aujourd'hui ! cracha la médecin-légiste en lui tournant le dos. Venez, capitaine, je ne souffrirai pas cet immonde bivalve décérébré une seconde de plus !

Mickaël Aleksey ne put s'empêcher de sourire et il emboîta le pas de Sophie sans plus jeter un regard en arrière.

- Je crois qu'il vous a entendu, Colibri, pouffa-t-il.

- Parfait.

Aucun d'entre eux n'osa préciser à Anita qu'elle était licenciée et il redescendirent seuls récupérer leur carte d'identité à l'accueil.

    Au grand air, le capitaine inspira à pleins poumons :

- Ah ! Bon sang ! Dieu bénisse la fonction publique ! Ce type m'a fait froid dans le dos...

- Je confirme : il est infect... J'espère ne plus jamais avoir affaire à lui...

    Depuis une fenêtre de son vaste bureau, à l'avant-dernier étage du gratte-ciel appartenant à Zenvolf Corp., la silhouette du treizième célibataire le plus convoité suivit du regard les deux minuscules silhouettes de Mickaël et Sophie jusqu'à ce qu'elles disparaissent dans la voiture banalisée du capitaine. Abaddon Tahir ouvrit ensuite son smartphone et composa un numéro sans quitter des yeux la voiture qui sortait du parking.  

- Lukosdulus, monsieur, j'écoute, grésilla la voix nasillarde de l'interlocuteur qu'Abaddon venait de contacter.

- Lukosdulus, j'ai besoin de renseignements.

- Oui, monsieur. À quel sujet, monsieur ?

- Une fille.

- Encore, monsieur ?

- Je me passe de vos commentaires, Lukosdulus.      

Abaddon Tahir mordilla distraitement la pulpe de son pouce et plissa les yeux :

- Vous avez un quart d'heure pour m'envoyer tout ce que vous pourrez trouver sur elle. Depuis sa naissance.

*

Cette fois, Caillou n'a rien à dire !

Et moi non plus, puisque le dernier chapitre n'a pas inspiré grand monde en terme de review ^^"

Je me sens un peu seule, je l'avoue, mais je ne vais pas commencer mon char avec le "c'est plus comme avant". S'il y a des écrivains parmi mes lecteurs et que vous êtes sur le web depuis dix ans et quelques, franchement, vous n'avez pas remarqué que les contacts lecteur/auteur s'amenuisaient drastiquement ? J'avoue que je me sens comme une patate devant mes "vues" sans "réaction"... *Sob*... Vraiment, si ça ne vous plaît pas, n'ayez aucune retenue et dites-le ! Cette fiction est une XP, donc j'ai besoin de mauvais retours ;-)

Et puis, si vous êtes flemmard ou timide, vous pouvez voter *winkwink* !

Je pense qu'on ne se reverra pas avant la semaine prochaine, vu ce qui m'attend...
Pensez  à moi, pauvre petit auteur en herbe esseulé face à un tsunami de  travail, qui sourira béatement à cause de vos notifications, tard, très  tard dans la soirée... Votre karma vous remerciera !

Bon week-end !

Sea (oulà, j'ai failli signer avec mon vrai nom... il faut que je me reprenne...)

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