VINGT | Quel imbécile, quel idiot !
Jamais, ô grand jamais, Raleigh ne pensait se retrouver témoin d'un tel événement un jour. Quand il avait reçu le message de sa sœur, il était loin d'imaginer qu'il tomberait sur un David tremblant de rage, menaçant un groupe d'adolescents de la pointe d'une arme qui n'était pas à lui, groupe parmi lequel sa sœur se trouvait pour une raison mystérieuse. Mais, à vrai dire, Raleigh se moquait bien de savoir comment la situation avait dégénéré ainsi, de savoir pourquoi David était du côté de la crosse et Zelda du côté du canon. Il aurait tout le loisir de demander des explications une fois l'arme hors de toutes mains.
C'était à peine si Raleigh reconnaissait son ami : David, si doux et fragile d'habitude, semblait sincèrement prêt à tous les descendre. Il avait les yeux les plus haineux que Raleigh eût jamais vu, des yeux qui faisaient peur quand bien même l'adolescent avait toujours été convaincu que son camarade était incapable de faire du mal à une mouche ; il n'en était plus si sûr à présent.
Dans son dos, il put entendre Sean lâcher un « oh putain » à mi-voix, appuyé par les silences éloquents de Darius et Ian, paralysés par la stupeur. Alors que la gravité de la situation s'imposait dans son esprit, le cœur de Raleigh se mit à battre plus fort, plus vite. Que faire ? La solution la plus logique semblait être de faire demi-tour, trouver un adulte qui saurait quoi faire alors que lui, lui n'en savait rien, lui n'était qu'un simple adolescent qui ne s'était jamais spécialement considéré comme courageux. Mais s'il faisait ça, s'il signalait l'événement qui se déroulait sous ses yeux, qui disait que la situation ne dégénèrerait pas ? Déjà, un temps fou s'écoulerait jusqu'à ce qu'une personne intervienne et David semblait clairement à bout de sa patience ; or Raleigh n'avait aucune envie de risquer la vie de sa jumelle. Ensuite, signaler était synonyme d'impliquer la police dans l'affaire et nul doute que cela finirait mal pour David. Et malgré la sueur froide qui coulait le long de son dos, la peur qui lui tordait le ventre, Raleigh ne voyait pas un fou avec une arme : il voyait son ami avant tout, son ami qui, vu comment Zach était en première ligne des cibles possibles, avait été poussé à bout. C'était son ami, il ne pouvait pas le dénoncer aussi facilement. C'était son ami et il lui faisait confiance. C'était toujours le David qui lui avait souri le matin même en le saluant.
Alors Raleigh fit le truc le plus idiot, le truc le moins sûr, le truc qu'il ne fallait pas faire.
Il s'avança jusqu'à se retrouver à côté de David.
Quelques inspirations choquées – probablement Ian, Sean, Darius et Zelda – parvinrent à leurs oreilles mais il les ignora. Courage Ray, songea-t-il, t'as toujours été un bon négociateur, tu peux le convaincre de te donner ce pistolet.
-David, appela-t-il doucement, tu peux pas faire ça.
L'intéressé sursauta, sûrement trop concentré sur le contrôle de ses mains tremblantes pour avoir remarqué l'approche silencieuse de Raleigh.
-Ne t'en mêle pas ! rétorqua-t-il sans le regarder.
L'autre se força à ne pas paraître ébranlé par le ton agressif que son ami avait employé pour la première fois.
-David s'il te plait, peut-être que lui il le mérite mais pas toi.
Raleigh désigna Zach d'un simple mouvement de tête avant de continuer.
-Si tu tires tu deviens un coupable et lui une victime.
David ne répondit pas tout de suite. Les larmes affluaient au bord de ses paupières à la simple idée que la personne qui lui avait fait tant de mal puisse s'en sortir, se faisant passer pour un ange et le faisant passer pour un démon alors que la réalité était tout autre. Zach n'hésiterait certainement pas à mentir avec une adresse incroyable, se présentant comme un élève modèle qui s'était injustement fait agresser et l'idée donnait la nausée à David. D'autant plus qu'aucun des autres du groupe, ces lâches, n'oserait aller contre leur petit chef et dire la vérité ; David n'avait aucun moyen de savoir qu'Abbie était toujours en train d'enregistrer leurs échanges depuis le début et que Zelda et Rachel n'auraient aucun scrupule à balancer le vrai coupable.
C'est alors que David commit une erreur, une petite erreur qui lui passa tout envie de tirer : il regarda Raleigh. S'il n'avait pas peur des conséquences de ses actes, l'adolescent aurait sûrement jeté l'arme au loin à l'instant. Raleigh avait peur, peur de lui, de ce qu'il pouvait faire, cela se lisait dans ses yeux. Et David culpabilisait d'être à l'origine de cette peur. Alors les larmes se mirent à couler tout à fait, inondant ses joues et ses mains tremblèrent d'autant plus.
Raleigh jeta un coup d'œil inquiet en direction de l'index tressautant en face de la gâchette ; dans un tel état, le lycéen pouvait tirer à tout moment sans même le vouloir.
-C'est trop tard, lança David, je suis foutu dans tous les cas, ils me dénonceront tous pour les avoir menacé. Quitte à tomber, autant qu'ils tombent tous avec moi pour ce qu'ils ont fait ou, justement, ce qu'ils n'ont pas fait.
Le cœur de Raleigh rata un battement. Non non non, se réprimanda-t-il, pas de panique, il n'a pas dit qu'il ne voulait mais qu'il ne pouvait pas, c'est pas encore fini.
-Si tu les laisses partir maintenant je suis sûr qu'ils accepteront de ne rien dire.
Il ponctua ses mots par un regard appuyé en direction du groupe actuellement en joug, dont une grande partie opina vigoureusement, souhaitant juste en finir au plus vite. Sauf Zach. L'abruti n'avait pas bougé d'un pouce.
-Allez Zach, insista Raleigh, on voit tous que t'es mort de trouille et à deux doigts de te mettre à genoux pour le supplier de t'épargner. T'es déjà ridicule et je suis sûr que tu veux pas que ça se sache alors joue pas au con et accepte de fermer ta gueule.
Tous les regards se tournèrent vers lui qui, effectivement, masquait très mal sa peur. Il finit par concéder du bout des lèvres qu'il ne dirait rien non plus. Mais cela ne sembla pas suffire à David puisque celui-ci ne détournait toujours pas le canon de son arme des lycéens.
La prise des doigts d'Abbie sur la main de Jessie était en train de laisser de profondes marques dans la peau de son amie et elle ne s'en rendait même pas compte, tout comme l'intéressée bien trop concentrée sur les moindres gestes de David. De la même manière, Zelda tenait Rachel fermement contre elle, s'assurant ainsi que l'autre ne cèderait pas à la panique.
Le cerveau de Raleigh tournait à plein régime pour trouver une solution afin d'empêcher David de commettre l'irréparable. Et Raleigh, pour la deuxième fois, fit la chose à ne pas faire. Mais alors là, vraiment, le truc le plus idiot et irresponsable auquel on pouvait penser. En fait, aucun esprit sain et doué de raison n'aurait même envisagé ce mouvement.
Mu par la peur que le coup ne parte et ne blesse, ou pire, ne tue quelqu'un, Raleigh ne trouva rien de mieux à faire que de se placer juste devant le canon. Ses amis et d'autres furent à nouveau pris d'un hoquet de stupeur cette fois bien plus sonore que le précédent, un hoquet presque partagé par David qui écarquilla violemment les yeux.
Si Zelda avait réussi à garder un semblant de calme jusqu'à présent, ce simple pas en avant y remédia ; le nom de son frère passa immédiatement la frontière de ses lèvres telle une supplique pour qu'il s'éloigne au plus vite. Ce qu'il ne fit pas.
Sean, Ian et Darius, eux aussi soudainement frappés par la panique, s'approchèrent instinctivement alors qu'ils se tenaient à distance raisonnable depuis le début, puis s'arrêtèrent en réalisant qu'ils ne pouvaient pas faire grand-chose face aux tendances suicidaires de leur ami.
-Qu'est-ce que tu fous ? demanda David dans un murmure paniqué. Pousse-toi de là !
Raleigh n'était pas franchement doué pour masquer ses émotions, il ne l'avait jamais vraiment été, et cette fois ne fit pas exception, au contraire : sa lèvre inférieure fut prise d'un tressautement incontrôlable face à cette position terrifiante, il ne put l'arrêter qu'en la mordant violemment. Ses mains tremblaient peut-être autant que celles de David alors l'une tenait l'autre pour tenter de se contrôler. Oh oui Raleigh avait peur mais en même temps il avait confiance. Car Raleigh n'était pas complètement fou : si David tenait un minimum à lui, et c'était forcément le cas puisqu'ils étaient amis, il ne prendrait pas le risque qu'une balle parte involontairement. Raleigh n'était pas complètement fou, juste absolument désespéré.
David sembla parvenir à la même conclusion puisqu'il écarta son index au plus vite pour s'assurer de ne pas le blesser.
-Tu sais David, reprit Raleigh, si n'avoir rien fait pour t'aider rend aussi coupable que d'avoir participé activement, tu dois me tuer aussi.
Mais tais-toi imbécile ! songèrent Zelda, Ian, Sean et Darius en chœur.
-Qu'est-ce que tu racontes ?
-Je n'ai rien fait non plus alors que moi aussi je savais.
-Tu ne peux pas, le contredit l'autre, j'ai fait exprès de ne rien te dire.
-Peut-être, mais j'ai deviné quand même. Et je n'ai rien fait. Je suis censé être ton ami mais je n'ai rien fait. Je suis désolé, vraiment.
Ce fut au tour de Raleigh d'avoir les yeux humides ; après tout, il aurait pu éviter cette situation s'il n'avait pas tergiversé pendant des jours à propos de la marche à suivre. A cause de son inaction, son ami s'était retrouvé dans une situation si intenable qu'il en était arrivé à menacer des adolescents, parmi lesquels sa sœur.
-C'est pas pareil ! protesta David.
-Bien sûr que si, insista l'autre.
A vrai dire, personne ne comprenait vraiment cette insistance de la part de Raleigh ; pourquoi agissait-il comme s'il cherchait à le provoquer alors que cela faisait plus d'une dizaine de minutes qu'il essayait au contraire de l'apaiser ?
-Non ! Accepter d'être mon ami c'était déjà quelque chose. Je t'interdis de dire que tu n'as rien fait !
Raleigh ne dit rien pendant un certain temps, se contentant de fixer son vis-à-vis d'un air infiniment triste.
- Donne-la-moi, souffla-t-il finalement en tendant la main.
David fixa quelques instants ses doigts tendus avant de remonter ses yeux dans ceux de son camarade. Puis ses pupilles s'attardèrent sur les visages apeurés derrière Raleigh, les joues mouillées par sa faute. C'était si étrange : il se sentait horriblement mal d'être celui qui avait causé tout ça quand eux ne s'étaient jamais souciés de lui, de ses larmes, de ses hématomes. David aussi voulait que ça s'arrête, que tout s'arrête. Alors il n'hésita pas plus longtemps et abandonna l'arme dans la paume ouverte face à lui et, à peine l'objet hors de sa portée, fondit en larmes.
Raleigh, comme tous les autres, ne put contenir une longue expiration de soulagement et posa sa main libre derrière la tête de son ami pour l'inciter à laisser reposer son front sur son épaule.
-C'est fini, chuchota-t-il, ça n'arrivera plus.
David acquiesça, pleurant toujours.
-Je savais bien qu'il aurait jamais les couilles de le faire ! s'exclama Zach qui n'avait pas perdu de temps pour retrouver son air suffisant.
Mais cette fois même ses propres amis lui lancèrent un regard désapprobateur – carrément noir pour les autres.
-Toi t'ouvres encore ta grande gueule et je te pète les deux jambes, t'as compris petit con ? gronda Ian et nul ne douta de sa capacité à le faire.
Ah quel doux parfum que ce drama ! Je vous ai déjà dit que je shippais le Raleigh x David ? (oui je l'ai déjà dit) Je sais pas, ils m'inspirent mais en même temps j'ai la sensation que leur confession d'amitié est super kitsch. Bref.
Bon voilà, j'en ai fini avec ce passage un peu WTF de l'histoire où j'ai voulu voir comment s'en sortait le good boy en situation extrême : contrairement au bad boy il ne tape pas sur les gens, il ne s'énerve pas, par contre il fait aussi des trucs très cons. Je pense que ça n'est pas très bien ressorti mais surtout n'imaginez pas les actions de Raleigh avec un filtre classe et héroïque : au moment où il les fait il a surtout l'air incroyablement idiot et suicidaire aux yeux de son "public".
Au fait si Abbie est quasiment absente dans ce chapitre c'est normal, je ne l'ai pas oubliée (je préfère prévenir).
Grande nouvelle : j'ai été prise d'une grande inspiration aujourd'hui et non seulement j'ai terminé d'écrire le prochain chapitre mais en plus j'ai bien avancé sur celui d'après. Et comme j'ai enfin fini ma nouvelle pour le fameux concours (pendant quatre mois elle est passée avant la Valse parce que je culpabilisais si j'écrivais autre chose qu'elle), on peut espérer que le chapitre 21 sortira bientôt !
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