VINGT-QUATRE | L'amuseuse et l'inspirateur

Autant le dire : la porte des Cortez était toujours ouverte pour Raleigh, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Par politesse il toquait et attendait toujours qu'on l'autorise à entrer mais, honnêtement, il n'en avait même plus besoin ; cela n'aurait choqué personne de le voir déambuler dans la maison sans y avoir été invité. Personne à part Abbie peut-être.
Il aurait pu débarquer en plein milieu de la nuit que les parents de sa partenaire n'auraient trouvé rien à y redire. En l'occurrence, il ne faisait pas nuit – loin de là – mais plutôt un grand soleil et des températures légèrement trop chaudes pour un mois de mars habituel.
L'adolescent n'eut pas à patienter longtemps avant qu'on lui ouvre et qu'on lui rappelle pour la énième fois qu'il pouvait tout à fait entrer de lui-même. Et comme d'habitude, il promit qu'il essaierait de s'en souvenir la prochaine fois tout en notant dans un coin de sa tête qu'il ne se permettrait certainement pas de le faire. On lui indiqua qu'Abbie était dans sa chambre, « je ne t'accompagne pas, tu connais le chemin ». Effectivement, il n'avait pas besoin de guide pour franchir les quelques marches qui le séparaient de l'antre de son amie – peut-être la seule pièce de la maison qu'elle fréquentait vraiment. Une fois sur le pas de la porte, il se retrouva à choisir entre continuer d'être poli et frapper ou bien entrer sans prévenir et faire une blague à sa camarade en la faisant sursauter. La deuxième option lui sembla bien plus attrayante et plus conforme à son idéal de bad boy, c'est donc tout en douceur qu'il entrouvrit le battant pour localiser Abbie dans la pièce. Il la repéra bien vite, assise à son bureau, les yeux rivés sur l'écran de son ordinateur et l'ouïe monopolisée par ses écouteurs.

Parfait, songea-t-il.

Le lycéen s'introduisit dans la chambre à pas de loup, se faufila derrière elle avant de poser tranquillement ses mains sur ses épaules.

Autant dire que la réaction de son associée fut à la hauteur de ses espérances.
Bien trop absorbée par ce qu'elle était en train de faire, elle ne s'était pas rendue compte de sa présence et fut brutalement ramenée à la réalité par ce contact. C'était peut-être le sursaut le plus fort – et le plus haut : elle décolla littéralement de sa chaise – que Raleigh ait jamais vu, surpassant même le bond qu'avait fait Sean l'année passée quand leur professeur de math avait jugé pertinent de surgir derrière lui et vriller ses tympans avec un « alors ? » suraigu. Mais c'est une autre histoire.

-Raleigh putain de bordel de Powell refais-moi ce coup une seule fois et je te castre !

Elle n'eut qu'un éclat de rire pour seule réponse.

-Mais, ajouta-t-elle, comme c'est totalement un truc qu'un bad boy ferait je ne me vengerai pas, pour cette fois.

-Trop aimable. T'écoute quoi ?

Sans attendre la réponse, il s'empara d'un écouteur pour le porter à son oreille et Abbie n'eut même pas le temps de protester, ce qu'elle aurait bien voulu faire, ne tenant pas tellement à ce qu'il entende la musique actuellement diffusée. Sous ses yeux, le visage de Raleigh se teinta de surprise avant qu'un doux sourire n'étire ses lèvres mais il le remplaça bien vite par un rictus narquois et, à ce moment, Abbie sut qu'elle allait se faire charrier ; une perspective qui ne l'enchantait guère.

-Alors comme ça madame écoute du Chopin maintenant ? La valse n°19 en la mineur en plus ? Je suis touché.

-Oh la ferme, dit-elle en détournant le visage, les joues légèrement rouges.

-Je savais bien que je réussirai à faire quelque chose de toi.

Abbie se garda bien de lui révéler qu'elle avait écouté ce morceau au moins une centaine de fois depuis qu'il le lui avait fait entendre. C'était très étrange : elle ne le trouvait pas si beau que ça et pourtant elle ne pouvait s'empêcher de le lancer.

-Je peux t'en donner d'autres pour étayer un peu ta playlist, proposa-t-il.

-Fais-donc ça

Le regard de Raleigh tomba alors sur l'écran de l'ordinateur, sur lequel il remarqua un enchaînement de questions qui ressemblait fortement à un QCM. Il s'empressa donc de satisfaire sa curiosité en demandant à son amie ce qu'elle faisait avant qu'il ne la surprenne.

-Tu ne te fous pas de ma gueule hein ? dit-elle avec un air suspicieux.

-Promis.

-Je remplissais un test de personnalité. Tu sais le truc avec seize catégories.

Pour le coup, l'adolescent était vraiment surpris. Sachant à quel point le thème de la personnalité était sensible avec Abbie, il n'eut même pas envie de la taquiner. Il la regarda cliquer sur le bouton conduisant aux résultats et découvrit avec elle la réponse.

-« Amuseur », lut-il à voix haute.

-Y a sûrement une erreur, marmonna-t-elle, j'ai rien d'une personne amusante.

-Dis pas ça, regarde : 54% extravertie, 72% observatrice, 58% sentiment, 64% prospection et 83% prudente. C'est tout à fait toi.

Mais Abbie ne semblait pas plus convaincue alors qu'elle lisait le reste de la description de sa catégorie. Elle s'était pourtant bien pris la tête pour répondre le plus honnêtement possible aux questions.

-« Sens de l'esthétique », « aiment habituellement qu'il y ait un peu de drame et de passion », « mauvais planificateurs », je t'assure que c'est toi.

-Hmm.

Il y avait bien des phrases dans lesquelles elle se reconnaissait mais pour le reste elle n'était pas vraiment sûre. Pourtant elle voulait y croire, elle voulait être cette boule d'énergie positive que décrivait le texte, elle voulait être cette personne capable de facilement donner le sourire aux autres. Pour couronner le tout, Abbie adulait Marilyn Monroe et le fait de se retrouver dans la catégorie des « amuseurs », comme son idole, la remplissait de joie et d'espoir.

-Tu crois que je peux devenir comme ça ? demanda-t-elle. Une amuseuse ?

-Evidemment. Ce sera le cas quand tu seras plus sûre de toi et arriveras à être toi-même sans te soucier des autres.

-Ce sera bien... souffla-t-elle pensive.

Raleigh laissa sa joue s'échouer contre les mèches blondes de son amie, laissant son imagination lui peindre ce futur béni où Abbie parlerait avec qui elle veut, rirait de tout ce qu'elle veut, oserait tout simplement.
Ce sera bien en effet.
Abbie soupira, brisant le silence qui s'était instauré.

-Fais-le test toi aussi, je suis curieuse de savoir dans quelle catégorie tu es.

Elle se décala suffisamment pour qu'il puisse poser une fesse sur la chaise et être ainsi à la hauteur de l'ordinateur. Dix minutes plus tard, et toutes les questions remplies après de longues hésitations, le site annonçait le résultat.

-« Inspirateur », lut Abbie, pas mal comme nom. Alors... 69% extraverti on est d'accord, 70% intuitif, 78% sentiment, 57% prospection et 60% prudent. « Empathie » et « sociabilité » c'est clair que c'est tout toi. Mais t'as vu, tu ne dois pas trop te reposer sur ton intuition.

Elle passa en revue les personnes et personnages célèbres de cette catégorie.

-Peeta Mellark. Je confirme t'es totalement dans cette catégorie.

-Je peux quand même devenir un bad boy tu crois ?

-Bien sûr, « esprit libre » et « indépendant » c'est parfait pour les bad boys.

-Ouf.

Une fois qu'ils eurent achevé de lire la description complète de la catégorie, Raleigh entreprit de convaincre sa partenaire de sortir de sa chambre pour profiter un peu du beau temps dans le jardin. Autant dire qu'avec les yeux de chiots qu'il lui fit, Abbie ne put qu'accepter. Elle le suivit donc au rez-de-chaussée – chez qui étaient-ils déjà ? Ah oui chez elle – où ils traversèrent le salon pour sortir par la baie vitrée donnant sur la terrasse. Léon, qui se trouvait déjà à l'extérieur, se précipita vers eux à toute allure et Raleigh s'accroupit pour réceptionner cette boule de fourrure blanche. Abbie les laissa à leur séance de câlins pour s'asseoir dans l'herbe ; la chaleur du Soleil l'envahissant, la faible brise caressant sa peau à découvert, les rires de son ami et les aboiements du chien parvenant à ses oreilles, elle se sentit bien. Pour une fois l'adolescente ne faisait rien et elle trouvait cela relaxant.
Un mouvement à sa gauche attira son attention : Raleigh s'était allongé à quelques centimètres d'elle, yeux rivés sur le ciel, caressant distraitement Léon couché contre lui. Bientôt ses paupières se baissèrent et sa respiration se fit plus lente, pourtant Abbie était sûre qu'il ne dormait pas – même si elle ne doutait pas de sa capacité à s'endormir rapidement. Elle laissa son regard parcourir le visage détendu de son camarade, suivre la courbe de son nez, survoler sa bouche entrouverte, dévaler sa mâchoire puis remonter s'attarder sur ses mèches sombres que d'aucuns auraient déjà raccourcies.
Pour la première fois, Abbie se demanda ce que Lyndsey pouvait bien trouver de rédhibitoire chez Raleigh ; d'accord elle n'était pas amoureuse mais aujourd'hui la grande majorité des couples se formait sans sentiments de ce genre au début. Certes elle avait un penchant pour les bad boys, mais Raleigh était bien une personne pour laquelle on pouvait passer outre ses préférences.

Oh mais Abbie, es-tu vraiment mieux, toi qui ne jure aussi que par ce genre de gars ?

La lycéenne laissa échapper un discret soupir avant de s'allonger à ton tour sur le dos, sans quitter son associé des yeux. Il dut se sentir fixé puisqu'il rouvrit les paupières et tourna son visage vers elle, la gratifiant d'un petit sourire auquel elle répondit.

-J'ai une chanson dans la tête, chuchota-t-il.

Pourquoi employer un tel ton ? Elle n'en savait rien.

-Alors chante, répondit-elle de la même manière, comme ça on l'aura dans la tête tous les deux.

Le sourire de Raleigh s'agrandit et il se mit à fredonner avec une délicatesse surprenante. De tous les mots qui franchirent ses lèvres, Abbie ne retint que les derniers.

And as the world comes to an end
I'll be here to hold your hand
'Cause you're my king and I'm your lion-heart.

Sans surprise, elle ne connaissait pas la chanson – comme à chaque fois avec lui – mais ces quelques paroles échappées lui plurent immédiatement, tout comme la voix qui les avait émises.

-Tu chantes bien, dit-elle.

-Merci, c'est parce que j'ai des amoureux du karaoké à la maison.

Abbie avait du mal à imaginer son intimidante jumelle s'époumoner un micro à la main mais pourquoi pas. Peut-être aurait-elle l'occasion d'assister à cet improbable spectacle un jour ? Il faudrait bien qu'elle se dévoue un jour à mettre les pieds chez les Powell : depuis le début de leur pacte, ils s'étaient toujours retrouvés à l'extérieur ou chez elle. Il était sûrement temps qu'elle dépasse l'épisode de l'égo blessé par Zelda des semaines plus tôt.

-La prochaine fois on va chez toi.

Attention, longue note de fin de chapitre en vue.

D'abord, je suis désolée de n'avoir rien posté pendant plusieurs mois. Je n'ai pas vraiment d'excuse, j'ai été en vacances le 18 mai et ce chapitre était prêt mais j'ai eu un énorme passage à vide pour le suivant. Je savais exactement ce qu'il y devait y avoir dedans mais j'ai pas réussi à me motiver pour l'écrire. Flemme quand tu nous tiens. Mais me revoilà, mieux vaut tard que jamais.

Bon j'ai passé trois plombes à disserter sur l'utilisation du mot délicatesse, j'ai passé en revue tous ses synonymes pour voir si y en a pas un qui collerait mieux parce que la phrase actuelle n'a sûrement de sens que pour moi mais aucun n'exprimait vraiment ce que je voulais donc j'ai laissé délicatesse (oui il n'y a pas assez de mots dans la langue française pour s'exprimer correctement).

Oui j'ai rempli le questionnaire en me mettant dans la tête de Raleigh et Abbie, et j'ai un peu galéré pour elle parce qu'il y a une assez grande différence entre ce qu'elle aimerait faire et ce qu'elle fait.
Vous êtes quelle catégorie vous ? Moi je suis avocat (les deux fois où je l'ai fait).

Dire qu'il fut un temps où j'avais beau réussir à imaginer le rapprochement Abbie/Raleigh je n'arrivais pas à me les représenter en couple... Maintenant je les y vois beaucoup trop faut que je me calme.
J'étais en train d'écouter King and Lionheart (Of Monsters and Men), une de mes chansons préférées et il me fallait une idée pour finir ce chapitre... voilà.

Sinon je me suis rendue compte qu'il y avait tellement de trucs que je n'avais pas exploité dans cette histoire. D'abord y a plein de personnages sur lesquels j'insiste assez peu (Lyndsey principalement) et d'autres que j'ai introduit parce que je pensais m'en servir pour des péripéties mais j'ai complètement zappé et je peux pas les ressortir maintenant (genre Josh est censé être le crush d'Abbie  sauf que là c'est très clairement mort pour le faire apparaître vraiment puisque très clairement madame commence à changer de crush). Du coup (ça me fatigue déjà d'y penser), il faudra que reprenne cette histoire en entier un jour. Mais croyez-moi c'est pas demain que je m'y mettrai.

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