VINGT-DEUX | Abbie veut être réconfortée
Raleigh raccrocha sans plus d'explications, laissant une Abbie figée par la stupeur. L'impression d'avoir entendu la sonnette de la maison lui fit l'effet d'un électrochoc : elle se leva d'un bond et se précipita vers la porte de sa chambre. A peine celle-ci ouverte, elle entendit distinctement la voix de Raleigh qui saluait la mère de sa camarade, celle-ci s'étonnant de le voir sur son perron à une heure pareille. L'adolescent prétexta avoir oublié de rendre quelque chose de très important à son amie. Cette dernière débarqua dans l'entrée quand il assurait à l'hôtesse de maison avoir déjà dîné – les parents d'Abbie aussi soit dit en passant, elle n'était juste pas descendu et, comme il lui arrivait souvent de préférer manger par elle-même et non en famille, ils ne s'en étaient pas inquiétés plus que ça. Sous les yeux éberlués d'Abbie, Raleigh laissa là son manteau et ses chaussures puis caressa Léon qui était apparu tout aussi vite que sa jeune propriétaire en se rendant compte de la présence du lycéen. Une fois le choc de le voir là passé, Abbie attrapa son camarade par le bras et le traina à l'étage sous le regard amusé de sa mère. Pourtant, quand ils se retrouvèrent tous les deux dans la chambre silencieuse, l'adolescente ne sut quoi dire. C'était si étrange de le voir chez elle alors qu'elle pensait qu'il l'avait délibérément évitée toute l'après-midi. Alors elle finit par laisser échapper les premiers mots qui lui passèrent à l'esprit.
-J'ai cru que tu m'avais oubliée...
Raleigh s'assit à côté d'elle, une moue peinée sur le visage.
-Désolé, vraiment. C'est que, dans le feu de l'action, j'ai pas vraiment fait attention à qui était présent tout à l'heure. Je savais juste qu'il y avait Zelda et David, et Zach mais lui on s'en fout. Pour être honnête, j'ai remarqué que t'étais là qu'une fois que ça a été fini et encore, je t'ai aperçue quand tu partais alors ça n'a pas vraiment fait tilt dans mon cerveau. Plus tard cet après-midi, j'ai demandé aux autres s'ils t'avaient vu et ils m'ont dit que t'étais bien là. Bon du coup je me suis senti particulièrement idiot. Je me suis demandé si t'allais bien, surtout que, désolé de le dire, je ne pense pas que ta bande de potes soit particulièrement réconfortante. Bref, tout ça pour dire, désolé d'être en retard. Je comprendrais que tu m'en veuilles de ne pas avoir réagi plus tôt.
Abbie ne put empêcher la vague de soulagement qui déferla sur son corps. Il ne l'avait pas volontairement évitée, il n'était pas en colère contre elle. Elle se sentit soudainement un peu plus légère.
-C'est pas que je t'en veux, c'est juste que... j'ai l'impression d'être secondaire, de passer après tous les autres.
Réalisant ce qu'elle venait juste de dire, prise par un élan d'honnêteté inhabituel, la lycéenne s'empressa de continuer.
-Pas que ce ne soit pas normal, après tout c'est logique de s'occuper de sa sœur et ses amis d'abord, et puis j'ai été que figurante dans cette histoire c'est juste que...
Elle fut coupée par deux bras qui l'entourèrent en quelques instants et un front qui se posa sur son épaule.
-Pardon, souffla Raleigh, à partir de maintenant je ferai plus attention.
Quelle étrange sensation que l'impression d'un cœur qui se gonfle lorsque l'on est heureux. Abbie n'y connaissait pas grand-chose au corps humain mais elle doutait du fait que le muscle en question eût véritablement doublé de volume, comme semblait l'affirmer son cerveau. Etrange, vraiment, mais pas désagréable.
Ils demeurèrent calmes et silencieux pendant de longues minutes au cours desquelles Abbie se contenta d'apprécier l'étreinte – qu'elle attendait depuis des heures, rappelons-le. Raleigh, lui, installa sa tête plus confortablement, ce qui consistait à reposer sa tempe à la jonction entre le cou et l'épaule de son amie. Si les joues de celle-ci rosirent, de là où ils étaient aucun ne put le voir et ce n'était pas plus mal.
-Pour un gars qui prétend être encore mort de trouille tu m'as l'air plutôt détendu, fit soudainement remarquer Abbie.
-C'est parce que je suis avec toi, répondit-il avec une voix d'enfant et un grand sourire auquel sa partenaire pensait s'être habituée depuis le temps mais apparemment non.
Cela ne l'empêcha tout de même pas de poursuivre le résonnement jusqu'au bout.
-Tu ne serais pas en train de me faire croire que t'as peur et besoin de réconfort juste pour me rassurer moi parce que j'ai peur et besoin de réconfort ? demanda-t-elle suspicieusement.
Raleigh se redressa pour la regarder dans les yeux et s'arma de tous ses talents d'acteur pour afficher l'air outré le plus parfait de son répertoire.
-Bien sûr que non, j'ai vraiment été traumatisé. Je me suis quand même retrouvé nez à nez avec une arme quand même ! Je ne suis pas encore bad boy, j'ai toujours peur de plein de trucs !
En soit, ce n'était pas faux.
-Mais pourquoi t'as fait un truc aussi con, toi aussi !
-Il fallait bien que quelqu'un fasse quelque chose !
-Quelque chose ça veut pas dire se coller au canon d'un pistolet pour, éventuellement, dissuader le gars qui le tient de tirer !
Abbie poussa un soupir agacé plutôt bruyant ; elle avait eu si peur quand elle l'avait vu se placer devant eux. Elle avait probablement broyé les doigts de Jessie à ce moment-là.
-Désolé, dit Raleigh, dans la panique j'ai pas trouvé de meilleure option.
-Mmh.
-Tu vas pas bouder quand même.
-Mmh.
-Je suis vraiment désolé de t'avoir inquiété et je promets de ne plus jamais le refaire.
Abbie observa son expression du coin de l'œil : il avait l'air d'être sincère. En même temps quelle personne saine d'esprit voudrait revivre un truc pareil ? Mais avec Raleigh il fallait se méfier.
-Excuses acceptées, dit-elle simplement.
Le sourire de l'adolescent s'agrandit jusqu'à dévoiler toutes ses dents. Mais rapidement l'innocence céda sa place à une malice à peine dissimulée.
-Alors comme ça tu as peur et besoin de réconfort ? répéta-t-il.
-Oh la ferme, soupira l'autre en lui frappant l'épaule.
-Ma petite Abbie veut être réconfortée, c'est trop mignon.
-Oui ben c'est bon, on a compris, tu vas le redire combien de fois ? rétorqua-t-elle avec une pointe d'agacement.
-Au moins une fois encore : Abbie veut être ré-con-for-tée !
L'intéressée se laissa tomber en arrière, réceptionnée par le matelas, et attrapa l'un des coussins dans lequel elle enfouit son visage. Elle qui détestait avouer ses faiblesses – et avoir besoin d'aide en était une à ses yeux – voilà qu'elle était servie.
-De toute façon tu le savais déjà, marmonna-t-elle, c'est pour ça que t'es venu.
-C'est vrai, j'avoue, mais c'est quand même plus drôle quand c'est toi qui l'admets.
La seconde qui suivit, Raleigh reçut le coussin en pleine tête.
-Je le savais ! s'exclama Abbie.
Elle se redressa brusquement. Evidemment, Raleigh ne s'était pas pointé chez elle en pleine soirée gratuitement, il avait forcément une idée derrière la tête. Il avait également tenu compte du tempérament de sa partenaire en évitant d'annoncer de but en blanc qu'il était là pour l'aider. Celle-ci en était touchée. Raleigh était assurément doué avec les gens, elle allait finir par l'envier. L'adolescente était d'une sociabilité tout à fait différente de la sienne : elle n'avait généralement pas trop de mal à engager une conversation et arrivait à agir avec confiance. Ce n'était pas le cas en réalité mais elle arrivait parfaitement à donner le change. Pour ce qui était de montrer ses vraies opinions et goûts, par contre, elle était beaucoup plus timide. Le contraire de Raleigh donc.
-Au fait ! s'exclama celui-ci. J'y ai pas pensé jusqu'à maintenant mais est-ce que mon acte idiot de toute à l'heure ne me rend pas un peu plus bad boy ?
En voilà un qui perd par le Nord, songea Abbie. Néanmoins elle se mit à réfléchir sérieusement à sa question, passant en revue tous les actes libellés « bad boy » de sa connaissance.
-Ben... On peut dire que t'as le courage et le cran nécessaire pour être un bad boy. La connerie aussi d'ailleurs. Mais... je ne sais pas. Un bad boy dans ce genre de situation tendue a plus tendance à s'énerver, crier, frapper. Et pour frapper, ça il frappe, il faut que quelqu'un l'arrête avant qu'il ne tue l'autre gars.
Raleigh fit la moue ; autant dire que ce n'était pas du tout son comportement. En même temps qui aurait-il dû tabasser ? David pour qu'il lâche le pistolet ou Zach pour montrer qu'on peut donner une bonne leçon sans forcément utiliser une arme. Mais non, Raleigh n'aurait jamais pu faire ça : il n'avait ni l'expérience, ni l'envie. Ces lacunes allaient visiblement le pénaliser dans son apprentissage, devrait-il demander à Ian de l'initier ? Son ami était bien plus doué pour ce genre de choses. Oui, cela semblait une bonne idée. Pas sûr que l'intéressé accepte de le former par contre.
-En même temps, rajouta Abbie en voyant son air déçu, la situation ne se prêtait pas trop à ce genre de réaction. Je pense que ta méthode était mieux. Idiote mais mieux.
La méthode Raleigh était loin d'être la méthode bad boy, loin d'être aussi impressionnante mais tout aussi efficace, si ce n'est plus, pour régler un problème grave. Le principe était simple : se servir de son empathie naturelle pour apaiser quelqu'un et non le neutraliser de force par une colère insatiable. Il n'y avait pas de secret dans la résolution du problème de ce midi : c'était la gentillesse dont Raleigh avait fait preuve au quotidien qui lui avait permis de sauver la situation. C'était parce que, tous les jours, l'adolescent avait été bienveillant et prévenant envers David que celui-ci n'avait pas pu aller jusqu'au bout. La peur de décevoir avait été plus forte que l'envie de vengeance.
Abbie se sentit bête d'avoir imaginé que son partenaire, incarnation de la sympathie, puisse tout d'un coup se mettre à l'ignorer sans plus d'explication. Elle avait eu peur de décevoir, exactement comme David.
-J'ai cru que tu me trouvais trop lâche, avoua-t-elle soudainement.
-Quoi ?
Raleigh n'étant pas au courant de toute la réflexion silencieuse de sa camarade, il était un peu perdu. De quoi parlaient-ils là ?
-J'ai pensé que tu m'évitais parce que je n'ai rien fait pour empêcher Zach de s'en prendre à David.
Il la regarda un moment sans rien dire avant de soupirer.
-Je n'étais pas là, je ne peux pas savoir ce que tu as fait ou pas. Et même si tu n'as rien fait je ne t'en veux pas. J'ignore comment j'aurais moi-même réagi.
-Tu ne l'aurais pas laissé faire, objecta-t-elle.
-J'espère que non. Mais tu sais Abbie, tu n'es pas la seule : personne n'est intervenu. Même pas Zelda. D'ailleurs là prochaine fois qu'elle te fait une remarque tu pourras le lui rappeler, elle te laissera tranquille dans la seconde.
-Pourquoi n'a-t-elle rien fait d'ailleurs ? Je pensais que ce genre d'injustice la révoltait ?
-C'est le cas. Mais apparemment elle a eu peur que son intervention lui cause des problèmes. Elle aimerait éviter que le lycée appelle encore nos parents en disant qu'elle est ingérable et violente. Elle m'a dit qu'elle avait finalement décidé de s'en mêler mais c'était déjà trop tard. Elle s'en veut aussi tu sais. Elle a répété toute l'après-midi que si elle avait collé son poing dans la gueule de Zach ça ne serait jamais arrivé.
-C'est sûrement vrai.
-Si elle l'avait fait ça ne serait pas arrivé aujourd'hui, d'accord, mais je pense que David aurait fini par péter les plombs un autre jour. Et ça ne se serait peut-être pas aussi bien fini. Enfin on ne sait pas si tout le monde va vraiment se taire à propos d'aujourd'hui donc je ne sais pas si c'est vraiment une « bonne fin ».
Abbie jeta un coup d'œil hésitant à son portable qui trainait un peu plus loin sur le lit. Elle étendit le bras pour l'attraper.
-Si quelqu'un accuse David, j'ai peut-être de quoi l'aider.
Elle déverrouilla l'écran et farfouilla dans ses applications pour finalement lancer l'enregistrement. Comprenant ce que son amie avait fait, Raleigh écarquilla les yeux de surprise.
-Tu vois que tu n'as pas rien fait ! T'es vraiment la meilleure.
Vous sentez ce doux parfum de crush qui s'installe ?
On est bien d'accord, que ça aurait été dommage de manquer un tel moment de Raleigh x Abbie (j'essaye vraiment de me convaincre que mon choix d'inclure ce "pétage de plomb" de David était le bon).
Puisque je vous dis que les good boys c'est les meilleurs enfin !
C'est tellement Raleigh de faire croire que c'est lui qui a besoin d'être rassuré pour rassurer quelqu'un d'autre.
Oui la mère d'Abbie voit débarquer un ado chez elle le soir et elle s'en fout ! (bon il est pas 23h mais quand même) Mais bon c'est Raleigh, elle l'aime bien donc ça passe.
J'ai l'impression de poster souvent en ce moment, j'espère que cette efficacité va durer !
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