TROIS | le genre dont il faut se méfier
Le lundi suivant, Abbie croisa Raleigh entre deux cours. Ou plutôt elle l'aperçut et se recula rapidement derrière un angle pour qu'il ne la voie pas à son tour. Mais, une fois qu'elle fut cachée, elle se sentit ridicule : pourquoi donc l'éviter ? Après tout ils s'étaient comme réconciliés, même s'il n'y avait jamais vraiment eu de conflit entre eux. Seulement le geste avait été instinctif pour elle. Elle ne savait plus comment réagir face à lui. Avant c'était bien plus simple, il suffisait qu'elle prenne son air condescendant et le tour était joué. Mais qu'était-elle censée faire maintenant ? Abbie se souvenait très bien du pacte qu'ils avaient passé, cependant ils étaient tous les deux fortement alcoolisés à ce moment-là alors ce n'était sûrement qu'une blague, une divagation due à la boisson. Il y avait de grandes chances que Raleigh ne s'en souvienne pas d'ailleurs.
Plus que le pacte, ce qui gênait l'adolescente c'était les confessions qu'elle avait faites sur ce balcon. Pour le coup elle espérait vivement qu'il ait tout oublié. C'était si embarrassant ! Elle ne s'était jamais confiée à quelqu'un auparavant – sauf à son chien à la limite - alors pourquoi à lui ? Ce type était peut-être plus dangereux que sa bouille d'ange ne laissait paraître : il arrivait à faire dire aux gens leurs pensées les plus profondes rien qu'en passant cinq minutes assis avec eux. Il fallait qu'elle se méfie de ce chant de sirène : qui sait ce qu'il pourrait lui faire faire ensuite ? Il était de ces rares personnes qui pouvaient débarquer chez quelqu'un en pleine nuit et faire en sorte que ce quelqu'un le suive sans plus d'explications, tout simplement parce qu'on avait envie de lui faire confiance. Et Abbie n'échappait pas à la règle. C'était donc en ressassant son dilemme – faire confiance ou pas ? - qu'elle l'observait traverser le couloir accompagné de ses trois amis de toujours. Tant pis si elle avait l'air idiote ainsi dissimulée à moitié derrière ce mur, elle ne pouvait détacher ses yeux de sa silhouette ; il semblait si frêle comparé aux sportifs du lycée qui venaient en sens inverse. Abbie soupira. S'il compte vraiment devenir un bad boy 'va déjà falloir bosser sur le physique, songea-t-elle. Soudain, elle entendit ses amies l'appeler, la faisant vivement se retourner.
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-Alors cette soirée ? demanda Darius.
Leurs deux amis s'étant absentés pour aller acheter de quoi grignoter entre les cours, Raleigh et lui se retrouvaient à présent seuls, assis sur le dossier d'un banc.
-Je me suis fait chier si tu veux tout savoir. A vingt-deux heures les autres étaient déjà bourrés, tu vois l'ambiance...
-T'as dû partir tôt du coup, supposa son ami.
Raleigh leva les yeux, comme à chaque fois qu'il essayait de se souvenir de quelque chose. En fait, maintenant qu'il y pensait, il était parti plutôt tard. Voire très tard. Pourquoi déjà ? Ah oui, Abbie, le pacte. L'adolescent se souvenait assez bien de sa soirée et il n'avait certainement pas oublié cet accord entre eux qui lui avait redonné un certain enthousiasme, cependant il avait un peu de mal à refaire la chronologie de tout cela. Après réflexion il se rappela donc qu'il avait passé un long moment sur ce balcon, à discuter ou à écouter de la musique avec elle. Au final, l'image qu'il avait de sa camarade s'était un peu redorée : certes elle était superficielle et agaçante parfois mais elle avait conscience de son problème. Et, comme tout le monde, elle avait ses peurs, ses faiblesses qui étaient diamétralement opposées et pourtant si semblables à celles de Raleigh. Contre toute attente, en grattant un peu le verni qui les recouvrait tous les deux – enfin surtout elle - ils se ressemblaient.
Cette soirée du samedi n'était pas si pourrie que ça en fin de compte.
-Ben étonnamment non, répondit-il enfin. Figure-toi que j'ai trouvé quelqu'un pour m'aider dans mon rêve.
-Par ton rêve tu veux dire ton idée bizarre de devenir un bad boy ?
-C'est pas bizarre... maugréa-t-il.
-Si tu le dis. Du coup c'est qui cette âme charitable ?
-Abbie, je suppose que tu vois qui c'est.
-Attends Abbie Cortez ? La pote de Rebecca ? La blonde ?
Ça lui ferait sûrement pas plaisir de savoir qu'on la définit comme ça, songea Raleigh. Mais son job c'était justement de changer cette définition.
-Oui elle. On a un pacte : elle m'aide et je l'aide en retour.
-Et toi tu l'aides à faire quoi ? s'enquit Darius encore choqué que quelqu'un comme Abbie ait accepté de l'aider.
-Top secret ! Mais t'inquiète pas, ajouta-t-il en voyant la tête de son ami, c'est rien de bizarre.
-Sauf que toi et moi on a pas le même sens du bizarre...
Raleigh fit semblant de n'avoir rien entendu, de toute façon c'était un débat sans fin. Il savait bien que ses amis n'étaient pas d'accord avec sa décision, eux voulaient qu'il reste tel quel. Et puis Darius était quelqu'un d'inquiet par nature. Il était timide aussi, ce qui pouvait paraître surprenant vue sa carrure. Qui imaginerait un gars d'un mètre quatre-vingt-dix ou presque, avec des épaules plus que larges et des biceps et abdos clairement dessinés, avoir si peur à l'idée de parler à quelqu'un ? Etre l'un des seuls élèves noirs du lycée ne l'aidait pas non plus visiblement. C'était une personne calme, assez discrète, bref le contraire de Sean qui, quand il n'était pas préoccupé par ses problèmes familiaux, se révélait être une vraie pile électrique, bavard et sûr de lui. Mais quand il était avec ses amis, Darius était assurément plus à l'aise, un peu trop parfois au goût de Raleigh, surtout quand la situation se retournait contre lui – comme pour la soirée par exemple.
-Oh tiens c'est elle ! s'exclama soudainement Raleigh. Attends-moi faut que j'aille lui parler.
Sans même laisser le temps à son ami de répondre, il bondit sur ses pieds et se dirigea vers Abbie qui marchait en retrait de son groupe, les yeux rivés sur son portable. Quand il fut à sa hauteur, il posa une main sur son épaule, la faisant sursauter.
-C'est toi... soupira-t-elle en mettant une main sur son cœur. Tu m'as fait peur !
-J'ai vu ça. Je suis curieux de savoir ce qu'il y a de si merveilleux sur ton portable pour que tu sois autant coupée du monde.
Abbie fronça les sourcils et verrouilla l'écran rapidement.
-C'était rhétorique, s'empressa-t-il d'ajouter en avisant son air méfiant, je m'en fous de ce que tu regardais. Je suis juste là pour le pacte.
-Parce que t'étais vraiment sérieux ? demanda-t-elle visiblement surprise. Et puis je pensais que tu ne t'en souviendrais pas...
-Evidemment que je m'en souviens ! Et j'étais sérieux, je ne plaisante pas sur les promesses. Si je te l'ai dit alors je le ferais par tous les moyens. Alors... ça marche encore pour toi ?
Elle hocha lentement la tête. La chance qui lui était offerte de pouvoir enfin agir prenait le pas sur sa méfiance vis-à-vis de son camarade.
-Génial ! Par contre pour que ça fonctionne il faudrait qu'on se voit... on peut faire ça en dehors du lycée si tu préfères, au moins au début en tout cas.
Oui elle préférait. Abbie ne se sentait pas encore prête à affirmer un début de différence en public, encore moins si ce public était constitué de gens qu'elle connaissait, ou plutôt qui la connaissait. Il faudrait bien qu'elle passe par là un jour mais le plus tard serait le mieux...
-Faisons comme ça, dit-elle. Demain après les cours ça va ?
Il acquiesça et eut un sourire encourageant. Depuis leur discussion c'était comme si le masque d'Abbie s'était un peu fissuré en sa présence : ses expressions reflétaient plus ses véritables pensées. Il pouvait clairement lire sur son visage, à la façon qu'elle avait de détourner le regard et de se mordre un coin de la lèvre, qu'elle était nerveuse et il était vrai que le chemin qu'elle prévoyait d'emprunter n'était pas des plus faciles.
-A demain alors, lança-t-il joyeusement.
Il eut droit à un petit signe de tête en guise de réponse avant qu'elle ne détourne les talons pour rejoindre ses amies. Chaque chose en son temps, se dit-il. A son tour, il revint s'asseoir à côté de Darius, qui n'avait visuellement pas perdu une miette de leur échange puisqu'il était trop loin pour entendre. Il ne fit aucun commentaire toutefois, même si ça lui faisait bizarre de voir son ami parler avec une fille qui se moquait de lui il n'y a pas si longtemps. Apparemment Raleigh n'était pas rancunier.
-Tu comptes le dire à Sean et Ian ? s'enquit-il finalement.
-Tu sais bien que je vous dis tout à tous les trois.
-Et Zelda ?
Raleigh eut une légère grimace. Il adorait sa sœur mais il sentait déjà la tempête venir s'il lui parlait une nouvelle fois de son projet et surtout s'il lui parlait d'Abbie. La première fois qu'il avait évoqué l'idée, à tout hasard, de devenir un bad boy, il avait cru qu'elle allait lui envoyer sa lampe de chevet dans la figure. Ce n'était pas passé loin, elle s'était contentée de lui donner un coup de livre sur la tête en demandant d'où il sortait une idée aussi grotesque. Depuis il évitait soigneusement le sujet mais il sentait bien l'œil suspicieux de sa jumelle posé sur lui dès qu'ils se trouvaient dans la même pièce, soit très souvent.
-Je vais essayer... mais elle me tuera sûrement avant que je ne puisse finir.
-Y a des chances.
-Merci de ton soutien infaillible.
-C'est toujours un plaisir.
-Dis donc où est passé ta timidité Darius ? Tu deviens presque insolent, ça ne va plus du tout !
L'intéressé se contenta de rire tandis que son ami faisait semblant d'être agacé en se tenant l'arête du nez.
-Bon ils nous achètent le distributeur en entier ou quoi ? demanda Darius quelques instants plus tard. La pause est presque finie quand même.
Maintenant qu'il le disait, il était vrai que cela faisait un moment que leurs amis s'étaient éclipsés. Y avait-il eu plus de monde que prévu ayant la même idée qu'eux ? Raleigh se mit à inspecter les alentours à la recherche des deux disparus. Il aperçut deux silhouettes à l'entrée du bâtiment et plissa les yeux pour mieux les distinguer.
-C'est pas eux là-bas ? suggéra-t-il en indiquant la direction du menton.
En effet, au fur et à mesure qu'elles s'approchaient, les silhouettes se révélèrent être Sean et Ian. Bientôt ils purent entendre leur conversation.
-Putain mais passe la seconde Ian sinon je me casse sans toi ! s'exclamait Sean apparemment agacé.
-C'est la quinzième fois que tu menaces de partir devant et tu ne l'as toujours pas fait donc je ne pense pas avoir grand-chose à craindre.
Sean poussa un soupir exaspéré. Darius et Raleigh échangèrent un regard amusé : la flemme légendaire de leur ami était donc à l'origine de ce retard, ce n'était guère surprenant maintenant qu'ils y pensaient.
Comme quoi, il faut autant se méfier des good boys que des bad boys, si ce n'est plus.
Je comptais poster ce chapitre demain à l'origine mais comme j'ai bien avancé sur les suivants vous l'avez aujourd'hui.
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