QUINZE | deuxième rang côté fenêtre
Le menton posé au creux de sa paume, Raleigh observait les gouttes de pluie dégouliner le long de la vitre, à peine quelques centimètres non loin de lui. La voix de son professeur lui parvenait clairement, captant une grande partie de son attention. Nombreux étaient ceux qui avaient cru, en début d'année scolaire, que lycéen était de ces élèves perdus dans leurs pensées qui n'écoutent rien au cours. Pourtant, force était de constater que, malgré son air rêveur et ses yeux détournés, Raleigh ne perdait jamais une miette des leçons. Il mettait un point d'honneur à toujours écouter, même quand le contenu était des plus ennuyeux, car il était intimement convaincu que cela lui épargnait une quantité conséquente de travail chez lui. Pas besoin de se casser la tête devant ses notes ou les manuels puisqu'il avait entendu et assimilé les explications. Après plusieurs mois, ses professeurs finissaient par comprendre son fonctionnement et arrêtaient enfin de le rappeler à l'ordre dès que son regard déviait. Le même schéma se reproduisait tous les ans, il commençait à avoir l'habitude.
Raleigh n'était pas quelqu'un qui participait en cours. Il ne se manifestait que si on lui demandait expressément son avis ou bien quand personne ne savait la réponse – ou alors ne voulait l'exprimer – et la classe se trouvait plongée dans un silence gênant. Le reste du temps, il était cet élève discret du deuxième rang, côté fenêtre. C'était sa place dans quasiment tous les cours ; si on la lui prenait, il se mettait au premier rang à côté de la fenêtre, une place que les élèves ne se disputaient pas. Cette tendance à se faire oublier n'était pas plus mal pour son rêve : qui verrait un bad boy participant assidument au cours, s'installant au milieu du premier rang ? Dans l'idéal, une place au fond correspondrait mieux, assortie à des répliques bien senties à l'égard de l'enseignant. Mais il ne fallait pas pousser le bouchon trop loin.
Cette fois, Raleigh n'était pas aussi concentré que d'habitude. Certes il entendait très bien ce qu'il se disait, cependant le bruit de ses pensées prenait parfois le dessus, lui faisant rater quelques mots. Il fallait bien avouer que les sources de préoccupations s'amoncelaient de plus en plus et lui donnaient de quoi cogiter. Sans surprise, le pacte venait en première position : il y avait d'abord Abbie et sa déprime, puis lui et son jeu constant pour rentrer dans les standards des bad boys. Certes il y arrivait de mieux en mieux mais cela lui nécessitait une attention constante pour ses faits et gestes.
La deuxième source d'inquiétude, et pas des moindres, était l'adolescent assis à sa droite. Il s'appelait David. Raleigh et lui ne se connaissaient que depuis la rentrée mais, pendant cette courte durée, ils étaient devenus assez proches. En un sens, le lycéen trouvait que David lui ressemblait : la même discrétion, la même sensibilité, le même visage très expressif et, surtout, la même gentillesse gratuite. Mais David était bien plus timide que Raleigh, ce qui le rapprochait plus de Darius, du moins mentalement. En effet, son nouvel ami était plus petit que lui-même et aussi plus maigrichon. Et cela ne s'arrangeait pas. Si la minceur faisait sûrement partie de sa morphologie, nul ne pouvait nier que David avait perdu plusieurs kilos depuis leur rencontre. Cela ne semblait avoir interpellé personne, ni les élèves ni les professeurs, peut-être parce que David portait toujours des vêtements très amples qui dissimulaient très bien ce corps dont il ne semblait pas fier, pourtant aux yeux de Raleigh c'était évident et il s'énervait d'être le seul à s'en alarmer.
Ce matin-là, son ami était arrivé avec le teint plus cireux que jamais, des cernes énormes et d'un noir profond, comme s'il n'avait pas dormi depuis une semaine. Il avait souri à Raleigh, d'un sourire qui semblait certes sincère mais tout de même tremblant. Raleigh avait choisi de ne rien faire remarquer, ne voulant pas le mettre mal-à-l'aise. Il était conscient qu'il ne savait pas grand-chose de son camarade ; en fait ils se voyaient rarement en dehors de la salle de classe. Ce n'était pas faute d'avoir essayé pourtant puisque Raleigh lui avait proposé plusieurs fois de manger avec lui, de le retrouver lors des pauses. Mais à chaque fois David avait répondu que ce n'était pas la peine, que de toute façon il ne mangeait pas au self et que passer du temps ensemble en cours était suffisant pour lui, qu'il ne voulait pas le subtiliser à ses autres amis. Et à chaque fois Raleigh lâchait l'affaire avec cet air inquiet sur le visage, lui demandant de ne pas hésiter à venir le voir s'il changeait d'avis. Ce que David n'avait jamais fait.
Raleigh ne comptait plus les explications auxquelles il avait songé pour expliquer le comportement et surtout l'état de son ami. Il y en avait une qui collait tout à fait mais rien que d'y penser le faisait frémir. Il avait essayé d'enquêter auprès du principal concerné, lui répétant qu'il pouvait se confier à lui s'il avait un quelconque problème, si quelqu'un lui causait du tort. Peine perdue toutefois puisque l'adolescent s'esquivait avec un sourire des plus crispés. Quand il avait parlé de son hypothèse à Sean, Ian et Darius, puisqu'il ne pouvait rien leur cacher surtout en matière d'inquiétude, ceux-ci lui avaient répondu que, sans preuves, ils ne voyaient pas grand-chose à faire à part toujours être présent pour David et continuer à lui offrir son amitié et une épaule à laquelle se raccrocher. Alors c'est ce que Raleigh faisait, sans poser plus de questions. Il ne voulait surtout pas que David se sente mal-à-l'aise, contraint en sa présence. Si, malheureusement, son hypothèse s'avérait vraie, il espérait pouvoir l'aider à traverser cela en demeurant son ami malgré tout. Enfin tant qu'il n'avait aucune preuve. Car si Raleigh prenait ces connards la main dans le sac, il ne resterait certainement pas les bras croisés, quitte à finir, comme sa jumelle avant lui, dans le bureau du directeur pour avoir malencontreusement cassé un nez.
Pour la petite histoire, la victime de Zelda étant un adolescent mâle se vantant d'être des plus viriles, il n'avait pas assumé de s'être fait mettre hors-jeu par une fille et avait donc prétendu s'être pris le mur. Toujours cette histoire de guerre des gangs entre « bizarres » et populaires.
Mais si Raleigh était plus préoccupé sur cette affaire que les jours précédents, c'était qu'il commençait à craindre pour la santé physique et mentale de son ami. C'était à se demander comment celui-ci tenait encore debout. Et ses yeux paniqués qui passaient d'un élève à l'autre n'arrangeaient rien. C'était comme s'il s'attendait à ce que l'un d'entre eux lui saute dessus. Raleigh devait savoir de quoi il retournait, sinon c'était lui qui allait devenir fou. Si les preuves ne voulaient pas venir à lui, alors ce serait lui qui viendrait à elles.
Il allait peut-être devoir remuer le couteau dans la plaie d'Abbie mais tant pis, elle était la seule qui pouvait l'aider à découvrir la vérité. S'il y avait une sale affaire dans ce lycée, nul doute qu'au moins une partie de sa bande était derrière.
Pas de message ni d'appel cette fois, Raleigh devait la voir en face. A la pause, il se faufila donc dans les couloirs dans direction de la salle dont elle devait sortir. Il se tint à l'écart alors que la foule d'élèves se ruait à l'extérieur de la pièce. Quand elle sortit, il se mit à l'apostropher mentalement de lever la tête, ce qu'elle fit quelques secondes plus tard, sans s'attendre à le voir apparaître dans son champ de vision. Son petit sourire disparut quand elle avisa la mine sombre de son ami. Elle se tourna vers ses amies et prétexta une envie urgente d'aller aux toilettes. Heureusement, aucune d'entre elles ne se découvrit un même besoin et elles s'en allèrent de leur côté en annonçant qu'elles l'attendraient « à l'endroit habituel ».
A quelques pas d'écart, les deux associés se rendirent dans un couloir bien moins emprunté où ils pourraient discuter en toute tranquillité.
-Qu'est-ce qu'il se passe ? s'enquit Abbie dès que Raleigh se tourna vers elle.
-Tu sais si Zach a une nouvelle cible ?
La soudaineté de la question la laissa muette quelques instants.
-J'en sais rien, dit-elle finalement.
Raleigh posa ses mains sur ses épaules et les serra, en veillant tout de même à ne pas lui faire mal.
-Abbie c'est très important, tu dois me dire tout ce que tu sais.
-J'en ai vraiment aucune idée ! Je ne l'ai pas vu faire depuis un moment et il n'a rien mentionné devant moi. Tu penses qu'il harcèle quelqu'un en ce moment ?
-Disons que je connais quelqu'un qui est possiblement harcelé et on sait tous les deux que Zach est un spécialiste du domaine.
Abbie aurait préféré qu'on ne reparle jamais de harcèlement scolaire en sa présence, aussi elle ne put empêcher une moue de se former sur son visage. Seulement Raleigh semblait vraiment inquiet et se rendre compte qu'Abbie ne pouvait rien lui apprendre sur ce coup-là avait l'air de le décevoir. C'était bien la dernière chose que la lycéenne voulait.
-Tu veux que je lui demande ? proposa-t-elle. Il n'hésitera pas à s'en vanter si je lance le sujet.
Son associé prit le temps de réfléchir avant de finalement décliner sa proposition.
-Imagine que je me sois trompé, si tu lui dis « hé Zach tu harcèles quelqu'un en ce moment » il va se dire « non mais quelle bonne idée, ça fait longtemps ! », on sera tous les deux à l'origine d'une nouvelle victime et je suppose que tu voudrais t'en passer autant que moi.
Elle hocha la tête pour montrer qu'elle comprenait le raisonnement.
-Et puis, continua-t-il, j'aimerais que tu sois la moins impliquée possible dans cette histoire.
-D'accord, céda-t-elle, mais je peux quand même laisser traîner mes oreilles en quête d'un indice. Elle s'appelle comment sa potentielle cible ?
-David. David Peterson.
-Mais Raleigh, si effectivement Zach le harcèle qu'est-ce que tu comptes faire ?
-J'en sais encore rien. Je suppose que je réunirais des preuves suffisantes pour le balancer au directeur et qu'il soit exclu. Ça te pose un problème ?
Raleigh n'oubliait pas qu'Abbie et Zach était censés être amis, ou du moins proches, il préférait donc demander. Cependant elle secoua la tête et affirma qu'elle s'en foutait, que de toute façon elle n'appréciait pas Zach et qu'ils trainaient ensemble seulement par un concours de circonstances. Raleigh préférait cela, il n'aurait donc aucun scrupule s'il devait s'en mêler.
Abbie jeta un œil à son portable ; elle allait devoir y aller sinon ses amies se demanderaient où elle était passée. Que les autres doutent d'elle était bien la dernière chose dont elle avait besoin, surtout si elle devait avoir accès à leurs conversations. Elle serra donc doucement la main de Raleigh en lui promettant de faire ce qu'elle pourrait. Sauf qu'au moment où elle tourna les talons, l'adolescente se rappela d'un petit détail qui pourrait être utile.
-Au fait, dit-elle en se retournant brusquement, Zach se balade h24 avec le flingue que ses parents lui ont offert pour son anniversaire. Il s'en vante à tout bout de champ, bientôt tout le lycée sera au courant. C'est un con, certes, mais un con dangereux alors ne joue pas les super-héros.
J'ai été ultra efficace sur celui-là, je ne me reconnais plus. Bon par contre je suis partie en vacances sans avoir fini le suivant (je galérais trop) donc celui-là sort très tard. Pardon.
Retour du thème du harcèlement, mais j'en avais besoin pour introduire mon nouveau thème : les armes aux USA. J'ignore les détails, par exemple si ça dépend des Etats ou pas, mais je sais qu'il y a des lycées où les élèves peuvent venir avec des armes et ça me fait froid dans le dos. Alors quitte à mettre de l'action (puisque les histoires clichées ont ce don de partir en cacahuète en mêlant des histoires de gang, de vengeance, de viol...), autant en profiter pour mettre en lumière des choses qui me paraissent tout à fait aberrante et pourtant existent. Oh et on va pouvoir comparer les réactions des bad boys et des good boys (aka Raleigh) dans des situations difficiles.
Raleigh a beau être le gars le plus mignon et gentil du monde, si vous vous en prenez à ses potes il peut mordre très fort, ou au moins essayer.
PS : les paragraphes sont vraiment longs au début, pardon.
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