QUATRE |constat de départ
Raleigh attendait, les épaules appuyées contre un mur, que son « associée » pointe le bout de son nez à leur point de rendez-vous, en face de l'épicerie. Ils avaient décidé de l'endroit par téléphone, après que Raleigh se soit rappelé qu'il avait complètement oublié de lui demander. C'était le matin même qu'il lui avait fait des signes depuis l'autre bout du couloir, indiquant son portable pour qu'elle comprenne ce qu'il voulait. Au début, Abbie osait à peine regarder dans sa direction, se désolidarisant de cet olibrius qui gesticulait à quelques mètres. Puis elle finit par comprendre, ses sourcils se haussant et sa bouche formant un petit o. Elle avait donc levé le pouce l'espace d'un instant pour lui transmettre son éclairement. Lorsqu'elle était passée à côté de Raleigh et ses amis qui, disons-le, se foutait clairement de lui suite à son petit numéro, elle avait laissé tomber un papier plié contenant le précieux sésame dans son sac à moitié ouvert. Heureusement pour le duo, personne d'autre que les trois déjà au fait de la situation n'avait remarqué leur échange, bien que celui manquait assurément de discrétion.
Raleigh sortit de ses réflexions juste à temps pour voir Abbie arriver tout en inspectant soigneusement les environs, s'assurant ainsi que nulle connaissance à elle ne se trouvait là.
-Détends-toi, lui conseilla-t-il quand elle fut à sa hauteur, au pire si quelqu'un te voit avec moi on trouvera une excuse.
L'adolescente n'était pas vraiment convaincue mais elle hocha tout de même la tête.
-On fait quoi du coup ? s'enquit-elle.
-Marchons.
Il se mit alors à avancer vers une direction inconnue, jetant un petit coup d'œil par-dessus son épaule pour s'assurer qu'elle le suivait bien, ce qu'elle fit après quelques secondes supplémentaires d'immobilité. Aucun des deux ne parla pendant un long moment alors qu'ils se baladaient dans les rues relativement désertes. Peu de jeunes venaient trainer dans ce coin-là de la ville, ou du moins ils n'y restaient pas, ce qui avantageait les deux associés.
A nouveau Abbie retrouva cette sérénité, la même qu'elle avait eu sur le balcon le samedi précédent. Il semblait décidément y avoir quelque chose chez Raleigh qui l'apaisait et elle n'appréciait pas trop ça, même si ça l'arrangeait bien. Plus que son manque d'originalité, sa méfiance était sûrement son pire défaut. Pourtant il lui fallait briser le mur, au moins avec lui, pour que leur plan puisse fonctionner.
Au grand étonnement de l'adolescent, ce fut elle qui reprit la parole en premier.
-J'ai commencé à observer les bad boys du lycée pour essayer de trouver concrètement ce que tu dois faire pour être comme eux. Mais ça me prend plus de temps que prévu alors tu vas devoir attendre quelques jours de plus pour avoir mes conclusions.
-Tu es rapide ! s'étonna-t-il avant de sourire de toutes ses dents. Ça m'est égal d'attendre si c'est pour ton aide. J'ai moi aussi réfléchi aux moyens de devenir original mais j'ai l'impression que c'est un objectif encore plus vague que le mien. Alors, si tu veux bien, je pense que le mieux serait de partir de tes goûts pour, pourquoi pas, les diversifier. Je veux dire... des goûts originaux c'est la base pour devenir original non ?
Elle allait donc devoir se dévoiler à quelqu'un dont elle ne savait pas grand-chose et dont elle ne connaissait pas encore l'étendue de la personnalité. Abbie n'était pas confiante mais c'était pour la bonne cause alors elle fit taire ses craintes.
-D'accord, approuva-t-elle, mais tu n'as pas intérêt à te moquer ! Et je me réserve le droit de te poser aussi des questions.
Il acquiesça vigoureusement. L'expression pleine d'innocence qu'arborait son visage la rassura ; elle était un peu – un tout petit peu - attendrie mais ça elle n'allait sûrement pas lui dire.
-Qu'est-ce que tu veux savoir ? demanda-t-elle.
-Ben... qu'est-ce que tu aimes faire par exemple ?
Elle baissa les yeux, comme à chaque fois qu'elle réfléchissait. La question était si basique et bête qu'elle ne savait pas spontanément y répondre.
-La fête ? répondit-t-elle un peu hésitante. Faire du shopping, traîner sur internet. Draguer aussi.
-T'as pas essayé avec moi pourtant, fit-il remarquer.
-Je drague pas n'importe qui non plus ! Toi t'es pas du tout mon genre.
-Une chance que je sois pas susceptible, j'en ai des occasions de me vexer avec toi. Et je sais bien que je suis pas ton genre, je disais ça comme ça.
Abbie se rappela que, ces mots, il les avait déjà entendus il n'y a pas si longtemps et elle culpabilisa un peu.
-Désolée, je ne voulais pas te rappeler... tu vois.
-T'inquiète pas. Tu sais je m'attendais déjà à me faire jeter quand je me suis déclaré.
-Pourquoi tu l'as fait alors ? T'es maso ou quoi ?
-Parce que j'avais encore un petit espoir que peut-être ça marcherait quand même. Et puis surtout parce que je me suis dit que ça faisait toujours plaisir de savoir que quelqu'un nous aime, enfin je crois. Comment dire... Je voulais qu'elle sache qu'elle est aimée pour ce qu'elle est, au cas où elle douterait d'elle un jour.
-Donc en fait t'es le genre à vomir des arcs-en-ciel. Sérieusement c'est la première fois que je rencontre quelqu'un d'aussi altruiste, ça me dégouterait presque.
-C'est ça moque toi, je me vengerai.
Un nouveau temps de silence s'installa tandis que chacun fixait un point différent du paysage. Raleigh était comme hypnotisé par les nuages ; Abbie gardait les yeux rivés sur la cime des arbres du parc que l'on devinait un peu plus loin.
-Si... Si tu parviens à devenir un bad boy, lança-t-elle tout à coup, tu tenteras à nouveau ta chance avec Lyndsey ?
-Honnêtement j'en sais rien.
Sans raison précise, sûrement en une sorte de « je vois » physique, la lycéenne hocha plusieurs fois la tête. En fait elle ne savait pas quoi dire. Décidément elle perdait tous ses repères de sociabilité avec lui, impossible de tenir une conversation.
-Nous disions donc, reprit son partenaire après s'être raclé la gorge, fête, shopping, drague. Autre chose ?
Il avait levé un doigt à chaque point de son énumération. Elle fouilla à nouveau dans sa mémoire pour trouver autre chose à répondre.
-Passer du temps avec mon chien.
-T'as un chien ? dit-il surpris.
C'est avec un grand étonnement qu'elle constata que les étoiles qu'il aimait tant étaient comme tombées dans ses yeux pour un fait aussi banal. Fan des chiens je note, songea-t-elle.
-Heu... ouais, je te montrerai une photo si tu veux.
Vu sa tête, oui il le voulait. Abbie ne put s'empêcher de sourire : il lui rappelait de plus en plus un enfant à s'émerveiller de tout. Effectivement il n'était pas vraiment en phase avec son époque et surtout avec les gens de son âge. Mais bon, il n'était pas mauvaise compagnie non plus. C'était sûrement pour ça qu'il n'était pas exclu au lycée. L'adolescente se surprit à en être soulagée : ç'aurait été vraiment dommage de l'isoler pour cette innocence, il ne faisait rien de mal après tout. Sauf que souvent les gens contraints à la marginalité ne faisaient rien de mal, ils n'étaient juste pas conformes aux attentes des autres. Pour la première fois, elle qui s'en moquait bien d'habitude, Abbie se trouva peinée par cette hiérarchie que l'on pouvait rencontrer dans tous les établissements. Comme quoi, toute cette mascarade n'était due qu'à l'ignorance de certains.
-Sinon, reprit Raleigh, tu as des talents particuliers ?
-Je suis très douée en maquillage et pour choisir des vêtements aussi.
-D'accord... c'est déjà bien mais c'est pas par là que tu vas te différencier des autres.
-Hé ! Aucune fille du lycée n'est plus forte que moi pour le nail art !
Après un instant de surprise, un léger sourire étira les lèvres de son associé.
-Je n'en doute pas, c'est juste que c'est pas la porte vers l'originalité mais ça reste un talent alors garde-le. Sinon tu t'en sors comment au niveau scolaire ?
Seul le vent lui répondit.
-Je prends ça pour un « pas très bien ».
-Je suis pas nulle non plus, maugréa-t-elle, c'est juste que je peine à avoir la moyenne et surtout à la garder. Enfin je suppose que toi t'es du genre premier de la classe alors tu peux pas comprendre.
-Premier de la classe, faut pas en rajouter non plus mais c'est clair que je m'en sors mieux que toi. Bon tant pis, je me disais que si, par hasard, t'étais plutôt studieuse et t'avais de bons résultats alors ça se serait vraiment original. Mais c'est pas le cas donc on va chercher ailleurs.
-Minute, t'es en train de dire que je peux pas m'améliorer ? Tu sais pas à qui t'as affaire mon pauvre gars. Tu vas voir que je vais te faire remonter tout ça, il suffit que je m'y mette un peu plus.
Elle-même n'avait pas l'air particulièrement convaincue par ses propres dires mais son esprit de compétition était plus fort : il l'avait provoquée, elle le ferait. Raleigh n'avait en réalité aucune des intentions qu'Abbie lui prêtait, cependant sa réaction l'arrangea bien. Il comprit qu'il pourrait tirer bien des profits de sa fierté et de son côté joueur. Il lui suffirait de faire passer chaque changement pour un défi et ce serait dans la poche.
-Ça c'est une bonne résolution, approuva-t-il, t'as pas d'autres trucs comme ça où t'es un peu nulle ?
-Moi, un peu nulle ? répéta-t-elle visiblement outrée. D'où tu te crois supérieur toi ?
-Je ne me crois pas supérieur, moi aussi j'ai des faiblesses, des domaines où je suis complètement nul. C'est bien pour essayer de changer que le pacte est là non ?
-Bon... dit la lycéenne après s'être un peu calmée, l'école comme on l'a dit et puis... j'y comprends rien à l'art non plus et... tout ce qui sort un peu de la moyenne. Enfin ça tu t'en doutes déjà.
Au fil de la conversation, ils étaient arrivés au parc. Raleigh s'assit sur un banc et sa partenaire l'imita. Petit à petit, il parvint à lui soutirer plus d'informations sur sa vie quotidienne, lui faisant oublier au passage sa réticence première. Il apprit donc qu'elle était fille unique et vivait avec ses deux parents, formant à eux trois (plus le chien) un foyer plutôt aisé. Elle était également cheerleader comme beaucoup de ses amies, ce qu'elle défendit comme un sport tout à fait complet et éreintant ; il voulait bien la croire, lui-même n'étant pas particulièrement très sportif, il se débrouillait mais sans plus. Elle écoutait de la pop qu'on pourrait qualifier de classique, ne lisait pas beaucoup et quand cela arrivait ce n'était que des romans d'amour ou des romans pour adolescent qui traitaient essentiellement de relations que le lycéen trouvait toxiques – mais il s'abstint de tout commentaire, le but n'étant pas de la braquer. Les films qu'elle regardait étaient de la même veine, tous à l'eau de rose bien qu'elle diversifiait parfois ses visionnages en compagnie de ses parents. Raleigh comprit vite qu'il allait devoir l'introduire à de nouveaux styles et, justement, il avait un parfait spécimen de référence à la maison.
Petite précision : je me suis un peu renseignée sur le système de notation américain. D'après ce que j'ai compris, les élèves obtiennent des notes par matière à la fin de chaque semestre, notes qui prennent la forme de lettres (donc quand je parle de notes dans ce chapitre il est bien question de lettres et pas de chiffres). En fonction de cette lettre, l'élève obtient des crédits qui lui permettront d'obtenir son diplôme de fin de lycée (enfin d'après ce que j'ai compris). Je ne pense donc pas m'être totalement trompée en écrivant le passage sur les résultats scolaires puisque les termes que j'ai employé me semble pouvoir s'appliquer à la situation. Cependant si quelqu'un qui s'y connait bien mieux que moi trouve que ce passage ne correspond pas à la réalité, ce serait avec joie que j'accueillerais ses corrections.
(C'était le moment justifications)
A part ça j'espère que ce nouveau chapitre vous aura plu même s'il ne se passe pas grand chose. Si vous trouvez Abbie d'un cliché insupportable, ne vous inquiétez pas c'est fait exprès.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top