QUATORZE | Kangaray pleure devant les films
Un petit reniflement parvint aux oreilles d'Abbie, si ténu qu'elle crut l'avoir rêvé. Cependant, par réflexe, elle détourna l'espace d'un instant ses yeux de l'écran de son ordinateur, posé un peu plus loin sur le lit, pour les poser sur Raleigh. A sa grande surprise, elle vit ses yeux briller comme des diamants, emplis de larmes qui scintillaient à la faible lueur du jour. Il semblait tout faire pour les empêcher de couler, notamment crisper les muscles de son visage et respirer lentement. Sauf que, impossible de les ravaler, l'eau ne partait pas. Il ne pouvait pas non plus les chasser d'un revers de main, comme il aurait fait d'habitude : son épaule, comme une partie du reste de son corps, était collée à celle de son associée pour que tous deux puissent se tenir sur le lit et ainsi chacun de ses mouvements étaient automatiquement ressentis par Abbie.
-Raleigh, tu pleures ?
Il renifla plus fort cette fois et n'hésita plus à dégager ses cils ourlés de larmes du bout des doigts.
-Oui je pleure !
La lycéenne en resta bouche bée.
-Je croyais qu'il n'y avait que les filles qui pleuraient devant les films.
-Non mais c'est quoi ces préjugés, rétorqua-t-il outré. Bien sûr que les hommes sont sensibles, nous aussi on veut pleurer parfois.
-Désolée, c'est juste que... j'ai plutôt l'habitude de ceux qui ne le montrent pas.
Raleigh s'en doutait : les amis masculins d'Abbie puaient le machisme à plein nez et, dans le meilleur des cas, assassinaient du regard tout garçon qui ne dépassait pas, selon eux, le seuil de virilité minimum. Nul doute qu'ils ne laissaient échapper aucune larme devant un film.
-Tu veux qu'on mette en pause ? proposa Abbie.
-Non, on n'est plus très loin de la fin et puis j'ai l'habitude. Tu ne pleures pas toi ?
-Jamais devant un film non.
C'est ce moment que choisit Léon pour entrer dans la chambre par la porte entrouverte et grimper sur le lit. Malheureusement pour les deux lycéens, le chien qui se tenait debout sur leurs jambes leur cachait l'écran. Abbie l'entoura donc de ses bras pour qu'il se couche et qu'ils puissent continuer leur visionnage. Le chien ne se fit pas prier et s'avachit sur eux de tout son poids.
Plutôt que d'aller au cinéma ce week-end-là, Raleigh avait proposé de regarder un film qu'il avait en sa possession : la liste de Schindler. Il avait donc demandé à son associée si elle préférait venir chez lui ou le contraire. Sauf que l'adolescente n'était pas prête psychologiquement à recroiser Zelda, elle avec donc répondu avec une certaine panique qu'il pouvait venir chez elle – ça ferait très plaisir à sa mère et à Léon en plus. Après une (longue) conversation avec la maîtresse de maison qui l'avait presque invité à diner, les deux s'étaient réfugiés à l'étage, non sans qu'Abbie ait fait promettre à sa mère de ne pas débarquer à l'improviste, peu importe l'envie qu'elle en avait. Jusqu'à présent elle avait tenu sa parole.
-Je suis sûre que si j'avais vécu à cette époque j'aurais été du genre à dénoncer, lança Abbie tout à coup.
-Pourquoi tu dis ça ?
Dire que Raleigh était surpris ne serait qu'un euphémisme. Un énorme point d'interrogation avait éclos dans son esprit : pourquoi affirmait-elle une chose pareille comme ça, de but en blanc ?
-Ce genre de comportement me correspond bien.
A présent Abbie faisait une moue prononcée.
-On ne peut pas savoir. Personne ne peut pas savoir qu'il ferait dans ce genre de situation. D'ailleurs le mieux serait qu'on ne le découvre jamais.
Il n'eut qu'un « hmm » à moitié convaincu pour réponse. Déjà que son associée n'avait pas une grande opinion d'elle-même à la base, depuis sa conversation avec Zelda c'était encore pire et Raleigh voyait mal comme changer cela. La seule chose qu'il pouvait faire c'était la traiter normalement, comme il l'avait toujours fait et, surtout, s'armer de patience. Il n'empêche qu'il ne put s'empêcher de maudire sa sœur et son honnêteté fatale.
Le lycéen dégagea son bras et posa sa main sur la tête de son amie, l'incitant d'une légère poussée à poser sa tempe sur son épaule. Elle se laissa faire, sûrement trop abattue pour dire quoi que ce soit. Il se mit à lui caresser doucement les cheveux, espérant ainsi l'apaiser. Affalé sur leurs jambes, Léon leur tenait délicieusement chaud en cette énième journée de froideur. Ils n'étaient que fin janvier, il leur restait donc au moins un moissimilaire à supporter. Si cela ne dérangeait en rien Raleigh et son enthousiasme à toute épreuve, la météo n'aidait pas Abbie à remonter son moral, au contraire. Ses pensées étaient tout autant en noir et blanc que le film de Spielberg qui s'achevait sous leurs yeux.
-J'aime bien tes films, dit Abbie.
Elle l'avait dit d'un ton si bas, presque dans un souffle, que Raleigh faillit rater sa remarque. Heureusement, son oreille attentive l'entendit et il ne put réprimer un sourire.
-Je vais essayer de continuer à t'en trouver d'autres alors.
Elle acquiesça lentement. L'adolescent caressa distraitement la tête de Léon qui reposait sur sa cuisse ; le chien lui lécha la main en retour. Le chatouillement humide lui tira un petit rire.
-Oh ! s'exclama-t-il. J'en ai un autre ! Enfin je ne l'ai pas physiquement mais il se trouve facilement sur internet. Ça s'appelle Hachi, tu connais ?
Elle secoua la tête en signe de négation.
-C'est une histoire de chien très triste mais vraiment bien.
Il garda sous silence que c'était sa jumelle qui lui avait montré la première fois.
-Tu vas encore pleurer ? demanda-t-elle avec un soupçon de moquerie.
-Y a de grandes chances oui. Tu crois qu'on a le temps de le regarder ?
Abbie jeta un coup d'œil à l'écran de l'ordinateur pour avoir l'heure : il était seize heures passées.
-Je pense que oui. Et puis c'est pas comme si on pouvait faire autre chose.
Elle indiqua la fenêtre d'un léger mouvement de menton. Dehors il pleuvait, ce qui ne donnait pas franchement envie d'y mettre les pieds.
-Alors c'est parti.
Raleigh se pencha en avant pour attraper l'ordinateur et chercher le film, décalant Léon au passage qui s'en fut s'affaler sur sa jeune maîtresse. Celle-ci entreprit de le câliner longuement, pour son plus grand plaisir.
-Et il parle de quoi ton film ?
-D'un chien qui attend son maitre à la gare tous les soirs.
Apparemment il n'avait pas l'air décidé à lui en dire plus et Abbie n'insista pas ; de toute façon elle le découvrirait dans quelques minutes.
.
Raleigh rentra chez lui juste à temps pour dîner, ou du moins pour mettre la table et ensuite dîner. Il se débarrassa donc de ses chaussures et de son manteau trempé dans l'entrée avant de directement filer dans la salle à manger, comme le lui demanda sa mère. Zelda était déjà en train de positionner les assiettes, ce qui tombait bien puisqu'il avait deux-trois mots à lui dire. Son père étant aux fourneaux et sa mère quelque part dans le salon, ils ne pouvaient entendre ce qu'il allait dire et cela lui convenait bien : même s'il n'avait pas vraiment de tabou avec ses parents, il préférait garder cette histoire de pacte et tout ce qui s'en rapportait hors de portée de leurs oreilles. A part quand il était question de ses trois meilleurs amis de toujours, il préférait ne pas étaler sa vie hors du cocon familial. Globalement Zelda faisait de même, sauf quand le directeur appelait leurs parents pour leur relater ses coups de sang, ce qui était arrivé une fois depuis leur entrée au lycée – toujours cette histoire de guerre de gangs entre les populaires et les « bizarres ».
-Merci sœurette pour avoir détruit le peu de confiance qui lui restait, ironisa Raleigh tout en déposant les verres. Je t'ai demandé de m'aider, pas de me mettre des bâtons dans les roues.
Elle comprit immédiatement de quoi, ou plutôt de qui, il était question.
-Faut voir plus loin que sa déprime passagère. Sa confiance était basée sur de la douleur, la sienne et celle des autres qu'elle a écrasés. Maintenant que tout est détruit vous allez pouvoir tout reconstruire sur des fondations plus saines. Au moins elle a compris ce qu'elle ne devait plus faire.
Raleigh soupira bruyamment.
-C'est plus facile à dire qu'à faire.
-Mais c'est toi le roi du réconfort et des solutions non ? Sean et Darius ne jurent que par toi quand ils ont des problèmes.
-Comment tu sais ça ?
Elle haussa simplement les épaules. Les amis de son frère avaient sûrement passé plus d'heures chez eux qu'elle au lycée alors, forcément, elle commençait à les connaître sur le bout des doigts. En plus de ça, Raleigh et elle aimait bien se raconter leurs journées de temps en temps, d'où sa connaissance accrue du rôle de son jumeau dans la bande.
-Votre pacte, ça fait que trois mois que vous l'avez passé non ? s'enquit Zelda. C'est normal que vous soyez en galère, ça prend du temps ce genre de chose. Vous ne pouvez pas changer du jour au lendemain.
Elle n'attendit pas une quelconque réponse et, la table étant mise, alla se poser dans le canapé pour reprendre sa lecture en attendant que les plats soient servis. Raleigh soupira à nouveau, laissant tomber l'affaire. La vibration dans sa poche, caractéristique d'une notification, l'incita à bouger. Tirant son portable, il s'installa à son tour dans le salon pour découvrir qu'une conversation – ou quelque chose dans le genre – avait débuté dans le groupe de discussion réunissant Ian, Darius, Sean et lui, aka le cercle des tortues vertes.
Seanchilla : Si je remue trop un yaourt ça fera du beurre ?
Iananas : tg
Dariushy : Il faut que ce soit de la crème je pense
Iananas : Mais lui répond pas toi, tu l'encourages !
Dariushy : Pourquoi cette question au fait ?
Iananas : C'est qu'il m'ignore le con
Seanchilla : Ben j'étais en train de mélanger le sucre dans le yaourt et là je me suis perdu dans mes réflexions. J'ai bien dû le remuer pendant 10 min alors je sais pas si je peux encore le manger
Dariushy : .o.
Dariushy : Tu pensais à quoi ?
Seanchilla : Admettons qu'une hirondelle de 500g parcourt 100km en 1h36, combien de temps mettra la même hirondelle si on lui donne une noix de coco pour parcourir la même distance ?
Dariushy : OoO
Dariushy : Je sais pas !
Seanchilla : Moi non plus ! ; O ;
Iananas : J'me casse
Dariushy : Mais non, calcule avec nous !
Kangaray : On peut pas vous laisser seuls 2 min
Iananas : Enfin quelqu'un de sensé
Seanchilla : Oh mon Raleigh faut que tu nous aides ! C'est pour le bien de mon yaourt !
Iananas : Dis-lui toi qu'il est con
Kangaray : Ca dépend, c'est une hirondelle américaine, européenne, africaine... ?
Dariushy : oOo
Seanchilla : oOo
Iananas : . . .
Seanchilla : Excellente question !
Dariushy : Ça change tout !
Seanchilla : T'es trop intelligent mon Raleigh !
Iananas : TT-TT
Alors que je cherchais une idée pour terminer ce chapitre, je me suis dit que ce qu'il manquait à cette fiction c'était des discussions complètement débiles entre Raleigh et ses potes.
Il me fallait des trucs cons à faire dire à Sean et j'ai repensé à la fois où j'ai tellement remué mon yaourt qu'il est devenu du beurre (si si je vous jure). Et pour le deuxième truc, je me suis rappelé que dans le film Sacré Graal y avait tout un débat avec une histoire d'hirondelle (je m'en souviens plus clairement alors j'ai brodé autour de ça).
(Au fait, Ray = diminutif de Raleigh parce que Ra tout seul c'est bizarre)
Bon ensuite, La liste de Schindler est un film que j'ai vu y a tellement longtemps que je ne m'en souviens plus mais mon frère (et aussi mes parents) a plusieurs fois dit qu'il adorait ce film. J'ai quand même regarder des extraits et écouter la musique pour me remettre un peu dans l'ambiance.
Quant à Hachi, c'est un film que j'aime beaucoup et que j'ai revu récemment. Moi qui ne pleure jamais devant les films, il a réussi à me tirer une petite larme quand même (sûrement parce que c'est tiré d'une histoire vraie, quand c'est du réel je pleure facilement, genre devant les infos. Oui c'est bizarre je sais).
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