ONZE | dilemme chocolat-chantilly
Lorsqu'elle poussa la porte qui donnait sur la rue, Abbie fut prise d'un long frisson ; le vent était glacial. Il faisait chaud à l'intérieur de la salle, aussi elle ne s'était pas entière rhabillée avant de sortir. Elle s'empressa donc de fermer complètement son manteau et de s'enrouler dans son écharpe en grelottant. Raleigh, qui se tenait juste à côté d'elle, se contenta d'enfouir le bas de son visage dans le col de son pull en laine.
Quand l'adolescente fut réchauffée, ils se mirent à marcher sans réelle destination, s'éloignant juste du cinéma.
-Alors ? demanda-t-il.
-Pas mal, répondit-elle simplement.
En réalité Abbie avait beaucoup aimé ce film, mais elle ne voulait pas l'avouer à voix haute. Cependant, à la manière dont elle avait soigneusement évité le regard de Raleigh en répondant, celui-ci avait deviné ce qu'elle en pensait réellement. Il ne put s'empêcher de sourire avant de poser son regard sur l'horizon grisonnant. Abbie l'observa du coin de l'œil tandis qu'il s'amusait à former de petits nuages de condensations en expirant fortement.
Depuis qu'il était venu chez elle quelques jours auparavant, la mère de l'adolescente n'arrêtait pas de lui rabâcher que c'était quelqu'un de très bien – comme si elle le connaissait, songeait à chaque fois une Abbie exaspérée -, bien mieux que les garçons qu'elle fréquentait d'habitude. Qu'avait-il fait à sa mère pour qu'elle l'adore autant ? D'accord il avait accepté de se plier au jeu de la conversation avec elle juste avant de partir – ce qui avait retardé son départ de quarante-cinq minutes soit dit en passant – mais tout de même !
Quand Abbie avait raconté un peu plus tard à Raleigh que sa génitrice l'adorait et ne parlait que de lui, il s'était contenté de rire et de dire qu'il la trouvait très gentille.
Décidément, la lycéenne se trouvait bien entourée.
Alors qu'ils remontaient à pas lents la rue vers Twisted Hill, une délicieuse odeur attira leur attention, en particulier celle de Raleigh. Il s'arrêta, imité par Abbie, et huma l'air avec envie. Le succulent fumet parvint même à tirer un gargouillement à son estomac, faisant sourire Abbie.
-On ne résiste pas à une l'appel de la gaufre ? se moqua-t-elle.
-Jamais.
Ce fut donc sans surprise qu'elle l'accompagna dans une rue adjacente où se trouvait un petit stand, pris d'assaut par les promeneurs du week-end. Il fallait dire que leurs produits avaient l'air délicieux ; les deux adolescents salivaient rien qu'à leur vue. Tandis qu'ils attendaient patiemment dans la queue, réchauffant leurs mains au creux de leurs poches, Raleigh proposa à Abbie de lui en acheter une par la même occasion. Celle-ci réfléchit longuement avant d'accepter, changeant de décision à chaque nouveau pas qu'ils faisaient dans la file d'attente. Elle s'était lancée dans un régime deux semaines auparavant après s'être rendue compte que son poids était supérieur à celui de ses amies. Sans s'appesantir sur le pourquoi du comment, elle n'avait pas traîné et avait commencé à restreindre ses repas dès le lendemain. Lorsqu'il l'avait appris, Raleigh n'avait fait aucun commentaire même s'il était, encore une fois, totalement perdu : de ce qu'il avait pu voir, son associée n'avait certainement pas de gras en trop. Décidément il ne comprenait pas grand-chose aux raisonnements d'Abbie.
Celle-ci était donc face à un grand dilemme : d'un côté il y avait son sacro-saint régime et de l'autre il y avait l'irrépressible tentation de la gaufre.
-Alors ? demanda Raleigh quand ils furent sur le point de commander.
La pauvre semblait être en souffrance, ce qui le fit sourire à demi. Elle finit par trancher la poire en deux en demandant une gaufre nature ; au moins une partie de sa conscience serait apaisée. Raleigh, lui, aimait tous les goûts proposés ce qui ne rendait pas son choix facile. Cependant, il avait bien remarqué qu'Abbie avait longtemps louché sur la ligne « chocolat fondu » et celle « supplément chantilly » et c'est ainsi que la décision fut prise. Il sentit bien qu'elle le fusillait du regard alors qu'il récupérait son bien, masquant tant bien que mal son sourire amusé. C'était certain, elle était convaincue qu'il avait pris ça pour la narguer, la faire enrager. Ce n'était pas totalement faux, le lycéen adorait cet air outré qui s'était peint sur son visage. Mais tout ceci n'était qu'une partie d'un plan plus vaste.
Ils s'éloignèrent, gaufre à la main, mordant à petites bouchées dedans. Raleigh avait bien remarqué les coups d'œil envieux de son amie qui dégustait sa propre pâtisserie d'un air dépité. Sur un ton tout à fait innocent, il lui proposa de goûter sa gaufre, lui offrant même de tenir la sienne pour que ce soit plus facile. Abbie ne résista pas une seule seconde, se retenant de se jeter dessus. Quand elle eut bien savouré son unique bouchée, elle se tourna vers son partenaire pour la lui rendre et c'est là qu'elle s'aperçut que celui-ci avait filé devant, engloutissant la pauvre gaufre nature avec autant d'avidité que celle chocolat-chantilly.
-Me dis pas que t'as fait exprès ! s'exclama-t-elle après avoir réalisé que Raleigh avait tout manigancé pour que, au final, elle se retrouve avec celle qu'elle voulait le plus.
-D'accord je ne le dis pas.
-T'aurais pu t'en prendre une qui te faisait plaisir à toi pas à moi, bougonna-t-elle.
-Mais ça me fait plaisir, j'adore les gaufres natures.
Elle n'eut pas vraiment l'air convaincue mais n'insista pas plus, bien heureuse de pouvoir satisfaire sa gourmandise. C'était vraiment une bonne journée. Cela faisait longtemps qu'elle ne s'était pas autant amusée. Les sorties avec ses amis étaient agréables mais, ces temps-ci, elle n'arrivait pas à en profiter. Alors qu'avant elle passait la journée à rire et à discuter avec eux, à présent elle ne disait plus grand-chose, se contentant d'écouter. En fait, toutes leurs sorties se ressemblaient. Elle qui était une personne sociable, toujours dehors à trainer avec des connaissances, elle avait juste envie de rentrer chez elle et se glisser sous a couette à regarder des séries à l'eau de rose toute la journée. Avec Raleigh c'était différent, elle n'était pas spécialement pressée de retrouver sa chambre. Les heures passées avec lui étaient toutes différentes, elle découvrait des choses certes bizarre à son goût mais au moins cela la changeait un peu. Elle pouvait enfin être elle-même pendant ces heures-là, et cela lui faisait vraiment du bien.
-Il va falloir que je continue à m'ouvrir à d'autres types de film, lança Abbie soudainement.
Raleigh arqua un sourcil ; devait-il trouver un message entre les lignes ? Etait-ce une incitation à l'inviter de nouveau au cinéma à l'avenir ? A en juger par l'air sur son visage, la réponse était oui. Il dissimula avec peine un petit sourire amusé.
-Très bien mais je ne payerai pas à chaque fois. Pas que ça me déplaise de t'inviter mais j'ai assez peu d'argent de poche de disponible.
-Si c'est pour mon rêve je vais bien réussir à trouver de quoi couvrir les frais cette « formation ».
Après avoir enfourné dans sa bouche, d'un geste étonnamment élégant, les restes de sa gaufre, Abbie s'appliqua à nettoyer ses doigts et les contours de ses lèvres à l'aide de la serviette que les vendeurs avaient eu la gentillesse de leur donner.
-Puisqu'on est reparti sur nos rêves respectifs, dit-elle quand ce fut fini, j'ai bien réfléchi à propos du tien. Je pense que c'est clair maintenant que c'est archi mort pour la catégorie gangster. Le play-boy me parait difficile aussi et on avait déjà dégagé l'asocial. Donc on va essayer de mixer le lutin et le tsundere en ajoutant, pourquoi pas, quelques aspects du play-boy.
-Ce qui change quoi dans la pratique ? Les bases ne changent pas non ? Je dois continuer à avoir l'air pas aimable, sourire moins et tout le tralala non ?
-Exact, mais tu n'auras pas à pousser ça encore plus loin.
Raleigh ne put retenir un soupir de soulagement : il ne se voyait pas du tout dans la peau d'un caïd au visage stoïque qui ne sait qu'insulter et frapper les autres. Ça, il ne pouvait le faire qu'en petite quantité. De l'autre côté, il ne se voyait pas non plus en train de draguer tout ce qui bouge et changer de partenaire toutes les nuits. Cela semblait d'autant plus ridicule que l'adolescent était un éternel célibataire dont le dernier baiser remontait à une bonne dizaine d'années ; autant dire qu'il n'en avait guère de souvenirs.
-Donc, reprit Abbie, à partir de maintenant je veux que tu balances seulement des sourires moqueurs et mystérieux – mais pas trop quand même – et surtout que tu clashes à n'en plus finir. Reçu ?
-Cinq sur cinq, chef.
-Oh et puis tant que tu y es, puisque je ne veux pas que ta sœur me tues pour t'avoir fait devenir, je cite, « comme les autres gorilles qui peuplent ce lycée », essaye d'avoir l'air un peu classe dans ta manière de bouger. Tu te souviens de Mike ?
Son associé se rembrunit ; bien sûr qu'il se souvenait. Abbie le lui avait présenté comme potentiellement sur la liste des gars intéressant Lyndsey alors il s'était empressé de l'observer, se demandant qui était ce gars qui valait mieux que lui. Autant dire tout de suite que Raleigh ne l'aimait pas, mais il ne pouvait pas nier que ce mec avait un certain charisme et une attitude très classe même si tout en lui criait qu'il était un dragueur professionnel. Il avait vu sa manière de s'asseoir sur une simple chaise, le coude reculé et reposant sur le dossier, son port droit presque altier, son menton fier... Pas de doute, ce gars-là savait quoi fait de son corps tout autant qu'il savait comment faire fondre les filles. Pas vraiment Raleigh quoi.
-Essaye de faire la même chose, conseilla Abbie, la drague en moins. Enfin sauf si tu veux séduire quelqu'un bien sûr.
-Non c'est bon, merci.
Voyant son air contrit, l'adolescente lui donna une petite tape amicale sur l'épaule.
-Fais pas cette tête, tu fais des progrès. J'ai bien vu comment tes expressions avaient changé au lycée. Le plus dur sera bientôt derrière toi, ce n'est qu'une habitude à prendre.
-Merci.
Pour une fois, Abbie n'eut pas droit à l'habituel sourire rayonnant qui ponctuait tous ses remerciements d'habitude et, à sa grande surprise, cela la peina un peu.
-Et mon sourire alors ? se plaignit-elle en fronçant les sourcils.
-Mais c'est toi qui m'as dit d'en faire moins, s'étonna-t-il, et seulement moqueur ou mystérieux.
-Ça ne s'applique pas à moi, rétorqua-t-elle.
La stupeur passée, Raleigh ne retint pas un sourire amusé avant de se racler la gorge et de la remercier à nouveau, cette fois en s'appliquant bien à étirer ses lèvres en découvrant toutes ses dents. Abbie arbora un air satisfait, souriant à son tour, avant qu'une rafale de vent glaciale ne les oblige à plonger le nez dans leur écharpe et col respectifs.
Comme j'ai été ultra efficace pour écrire le chapitre suivant, voici le chapitre 11. En espérant qu'il vous plaira même si ce n'est pas forcément le plus intéressant de tous.
J'ai galéré à le poster, les bugs de ma connexion internet font buguer wattpad.
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