DEUX | Chopin vibe


Raleigh avait accepté de venir à cette soirée pour faire plaisir à ses amis, même s'il savait qu'il s'y ennuierait rapidement. Ce n'était pas qu'il n'aimait pas les fêtes, juste que les adolescents qui participaient à celle-là ne lui étaient pas proches. Non seulement il ne les connaissait que de vue – et encore ! - mais en plus leur personnalité ne semblait pas correspondre à la sienne. Ils n'avaient visiblement pas les mêmes préoccupations, les mêmes centres d'intérêts. Eux trouvaient apparemment du plaisir dans le simple fait de se bourrer la gueule ; Raleigh n'aimait pas boire juste pour boire. Il n'aimait pas non plus passer la journée suivante à décuver, une migraine atroce lui déchirant le crâne. Si cela devait arriver, et d'ailleurs ça s'était déjà produit, ce serait parce qu'il se trouvait dans un contexte particulier, une nuit entre amis par exemple. Raleigh n'avait pas besoin d'alcool dans le sang pour s'amuser ; il pouvait très bien avoir la connerie dans les veines tout en étant sobre s'il le souhaitait. C'était sûrement pour ça que le lycéen avait du mal à comprendre ses camarades qui se saoulaient dans le grand salon de leur hôte, et pour cela qu'il s'était rapidement isolé. Il ne se sentait pas à l'aise parmi eux et, lui qui ne craignait pas les jeux d'habitude, n'avait pas confiance en ceux qui lui étaient proposés ce soir-là. Depuis une bonne demi-heure à présent, il était installé sur un balcon assez spacieux au premier étage, avec pour seule compagnie les étoiles et la musique que diffusait ses écouteurs. Parce qu'en plus les autres ne savaient pas choisir de bons morceaux.
Il avait veillé à ce que toutes les lumières de l'étage soient éteintes, préférant la pénombre qui lui permettait de mieux distinguer le ciel. Adossé contre le mur, assis en tailleur sur le béton, il se perdait dans sa contemplation et les pensées qu'elle engendrait, sirotant son verre empli d'un alcool dilué. Mais soudain un bruit surpassant les notes susurrées à son oreille le tira de sa rêverie. S'en suivit une volée de jurons tous plus gracieux les uns que les autres, prononcés par une voix manifestement féminine. Il se retourna vers la baie vitrée pour tenter de distinguer la nouvelle venue. Celle-ci s'approcha en boitillant et s'arrêta sur le pas de la fenêtre.

-Désolée, je croyais que tout le monde était en bas.

Elle fit mine de faire demi-tour mais Raleigh la retint avec quelques mots.

-Tu peux rester quand même, ça ne me dérange pas.

Elle se retourna et le fixa un instant, ses yeux luisant dans l'obscurité.

-Merci, dit-elle simplement.

Sur ce, elle s'assit juste à côté de lui, poussant un soupir d'aise quand elle fut installée.

-Je ne pensais pas que tu me remercierais un jour, se moqua Raleigh, j'aurais dû t'enregistrer.

Elle eut l'air vexée. Son visage aux sourcils froncés se tourna vers lui.

-Ça veut dire quoi ça ? Je peux être polie quand je veux !

-C'est pas vraiment l'impression que j'ai eu jusqu'à maintenant.

Abbie remonta ses genoux contre sa poitrine et se mit à tripoter la semelle de ses chaussures de ses ongles parfaitement manucurés.

-Oui bon c'est vrai qu'on a pas été très cool avec toi, concéda-t-elle plus doucement, mais c'était pas fait pour être méchant. Plus comme de la taquinerie tu vois ?

-Je m'en doute, mais c'est chiant quand même.

L'adolescente ne répondit pas. Elle savait bien au fond d'elle-même que leurs remarques moqueuses n'étaient pas très agréables pour lui, même s'il semblait les ignorer parfaitement. Elle nota dans un coin de sa tête qu'elle arrêterait de le faire, quoique ses amies continueraient sûrement. Tant pis, pour atteindre son but, il lui fallait parvenir à se différencier des autres, ne plus les suivre et les imiter aveuglément. Arrêter les attitudes puériles serait déjà un bon début.

-C'était quoi ce bruit quand t'es arrivée ? demanda Raleigh pour changer de sujet.

-Mon pied qui se prenait le coin d'un meuble.

Il ne put retenir un petit rire qui la fit à nouveau froncer les sourcils.

-Te fous pas de ma gueule ! protesta-t-elle. Ça m'a fait super mal !

Il ne dit rien et reporta son attention sur les étoiles que l'on voyait à peine, prenant une nouvelle gorgée de sa boisson. Il ne savait plus combien il en avait bu mais sûrement assez pour qu'il commence à être euphorique. Lui qui voulait rester relativement sobre, c'était raté. En même temps ce cocktail était traître, on ne sentait guère l'amertume de l'alcool et cela poussait à l'avaler d'une traite. Le lycéen jeta un coup d'œil à sa camarade qui avait elle-aussi un gobelet en plastique – rouge s'il vous plaît - à la main. Elle semblait encore plus éméchée que lui, somnolant presque. Il se fit la réflexion que c'était bizarre de se retrouver aussi proche d'elle physiquement alors qu'ils n'avaient jamais été à moins d'un mètre l'un de l'autre auparavant. Rien ne les prédisposait à se retrouver seuls tous les deux dans une soirée, surtout quand celle-ci semblait si bien correspondre aux goûts d'Abbie. C'était vraiment étrange.

-Je peux écouter ? demanda-t-elle soudainement en pointant ses écouteurs.

-Si tu veux, mais ça ne va pas te plaire.

Elle haussa simplement les épaules et se saisit de celui qu'il lui tendait, le plaçant dans son oreille après avoir dégagé ses cheveux blonds impeccablement coiffés.
Dès les premières notes, reconnaissant la mélodie délicate d'un piano, Abbie fut grandement surprise. Qui écoutait de la musique classique aujourd'hui ? A une fête en plus !

-T'es vraiment bizarre comme type, lâcha-t-elle.

-Si t'en veux pas tu peux aussi me le rendre, se défendit-il.

-Non, c'est bizarre mais j'aime bien. C'est quoi ?

-Chopin, valse numéro dix-neuf en la mineur.

Elle n'avait aucune idée de ce que cela voulait dire mais elle s'en moquait. La musique la berçait, elle se sentait bien et cela se faisait rare ces derniers temps. A son plus grand étonnement, il y avait un côté apaisant à être avec Raleigh. Peut-être était-ce parce qu'il était plus calme que la plupart des gens qu'elle connaissait ? Parce qu'il semblait se prendre moins la tête avec des questions futiles ? Parce que la simple vue d'un ciel étoilée faisait briller ses yeux plus fort encore que quand Lyndsey lui parlait ? En se posant ces multiples questions, Abbie observait discrètement son camarade, la joue posée sur ses genoux qu'elle maintenait contre elle avec ses bras.

-C'est quoi ton rêve ? demanda Raleigh tout à coup, la faisant sursauter.

-Mon rêve ? répéta-t-elle.

-Ton rêve, ta motivation, ce que tu veux absolument faire, appelle-le comme tu veux.

La question prit de court la lycéenne, qui ne sut quoi répondre. Et puis personne ne s'intéressait à ses souhaits et désirs d'habitude. Pourquoi lui demandait-il ça alors qu'ils se connaissaient à peine ? Troublée, son premier réflexe fut de se mettre sur la défensive.

-Pourquoi je te le dirais ? On est pas proche toi et moi.

-Tant pis, je vais quand même te dire le mien. Moi je veux devenir un bad boy.

Pardon ? Abbie cligna des yeux plusieurs fois. Avait-elle bien entendu ?

-T'as bu combien de verres pour me sortir un truc pareil ?

-Mais je suis très sérieux, protesta-t-il avec une moue enfantine qui fit presque sourire sa voisine. J'y ai réfléchi longuement et c'est ce que je veux être.

-Wahou, sur l'échelle de la bizarrerie on a battu un nouveau record. Mais pourquoi tu veux être un bad boy ?

Un voile triste tomba sur son visage et il détourna les yeux.

-Je suppose que tu sais déjà que je me suis fait rembarré par Lyndsey. Apparemment je suis pas son style.

Ah d'accord...

-Elle est plutôt à fond sur le genre mauvais garçon tu vois. Et j'ai cru comprendre que c'est comme ça pour la plupart des filles. En fait j'ai l'impression que c'est une tendance générale, qu'aujourd'hui les héros ne sont plus les gens gentils et désintéressés mais plutôt les gens torturés qui font autant de bien que de mal. Tu vois ce que je veux dire ?

Elle hocha doucement la tête. Face à cette bouille triste, la même qu'aurait fait un enfant apprenant que le père Noël n'existe pas, Abbie aurait aimé pouvoir lui assurer qu'il se trompait or cela aurait été un terrible mensonge. Autant être honnête et confirmer qu'il avait raison.

-Du coup je me sens en décalage, poursuivit-il. J'ai bien compris que j'étais un parfait idiot aux yeux des autres – vos remarques m'ont bien aidé - et je veux changer ça. Alors mon but c'est de devenir un bad boy, mais je sais pas trop comment m'y prendre.

S'en suivit un moment de silence, où chacun demeura dans ses pensées. Raleigh avait à nouveau levé les yeux vers le ciel tandis qu'Abbie les maintenait rivés au sol. Si le rêve de son voisin semblait totalement stupide à première vue, plus elle y pensait et plus elle comprenait ce qu'il pouvait ressentir. Après tout, elle non plus n'était pas à l'aise avec ce qu'elle était et cela commençait à lui devenir pesant. Elle ne l'avait dit à personne, craignant d'être jugée, moquée, mais Raleigh ne semblait pas comme ça, surtout après ce qu'il venait d'avouer.

-Moi je veux être originale.

L'adolescent reporta son attention sur elle, les sourcils haussés.

-Je veux plus être l'amie qui ne fait que suivre, qui n'a aucune personnalité propre. Je veux pouvoir être plus que la blonde idiote qui ne s'intéresse qu'au maquillage, à la mode et aux mecs. Honnêtement j'ai honte de moi. Je voudrais être quelqu'un d'autre.

-Nous sommes pareils alors, dit-il doucement.

-Pas trop quand même, rétorqua-t-elle avec un soupçon de moquerie.

-Tu vas vraiment finir par me vexer.

-J'en suis même pas désolée.

Maintenant que c'était sorti, Abbie se sentait légèrement mieux, comme si l'avouer était déjà monter sur la première marche de l'escalier du changement, mais en même temps elle se sentait un peu idiote. Son instinct de protection revint au grand galop et, habituée au jugement et à la trahison, elle commença à douter. Et s'il se servait de son aveu contre elle ? S'il le racontait à tout le monde ? Oh elle n'aurait jamais dû lui faire confiance, elle ne le connaissait pas après tout ! La lycéenne se mordit furieusement la lèvre inférieure, s'insultant mentalement pour avoir été aussi stupide et naïve. Elle allait le regretter c'était sûr !

-J'ai une idée ! s'exclama Raleigh sans remarquer le trouble de sa camarade. Et si on s'aidait mutuellement ? Tu dois t'y connaître en bad boy non ? Et moi je suis catalogué comme un original. C'est gagnant-gagnant !

Une nouvelle fois, Abbie se figea, surprise. Décidément ce gars était vraiment bizarre. Elle hésita longuement avant de répondre. Pouvait-elle vraiment lui faire confiance ? En même temps elle avait besoin de changer et elle ne savait comme s'y prendre. C'était une chance à saisir ! Et puis si ça ne marchait pas ce ne serait pas un drame.

-Alors ? relança-t-il. Tu acceptes de faire un pacte avec moi ?

-Très bien, céda-t-elle avec un soupir. J'accepte de faire de toi un bad boy mais à condition que tu ne parles à personne de mon rêve.

-Ça marche ! dit-il avec un immense sourire. Je promets de tout faire pour que tu deviennes originale.

Ces mots dits, il tendit son petit doigt. Abbie le regarda sans comprendre. Il lui expliqua qu'elle devait l'attraper avec son propre petit doigt, que c'était un geste pour marquer leur promesse. Elle s'exécuta en s'esclaffant, répétant pour la énième fois qu'il était décidément bizarre.


Je ne pouvais pas vous laisser sur un premier chapitre pas terrible donc voilà la suite.
Que serait une histoire clichée sans gobelet rouge hein ? (il aura un rôle à jouer par la suite, c'est pas gratuit non plus). D'ailleurs, je suis bien consciente de forcer un peu le trait sur la préférence pour les bad boys. Mais l'histoire est censée se dérouler dans le même univers que ces histoires qui monopolisent le haut des classements alors c'est normal. Enfin même dans la réalité j'ai l'impression que ça a tendance à se passer comme ça aussi. Bref.

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