1. Errances
Média : No roots d'Alice Merton
Un an ! Cela fait presque un an qu'elle n'a plus emprunté cet itinéraire ni pris le bus. La dernière fois c'était pour... Non ! Elle ne veut pas se souvenir ! Décidée à s'occuper, elle saisit son paquetage militaire et sort de la poche latérale la liasse de papiers que lui a remise le commandant Braxton avant son départ. Elle essaie de se concentrer sur les pages portant le tampon de l'US Army mais les lignes dansent devant ses yeux sans qu'elle en saisisse le sens. En désespoir de cause, elle abandonne l'idée d'étudier les documents et les range. Plus les miles s'égrènent, plus elle se rapproche de sa destination et plus elle éprouve des difficultés à contrôler ses pensées. Elle prend son MP4, glisse ses oreillettes dans ses conduits auditifs et lance la fonction aléatoire. Coïncidence ou acte manqué, c'est No roots, la chanson d'Alice Merton qui démarre. Roxanne ne peut s'empêcher d'en fredonner les phrases.
I like digging holes and, hiding things inside them
J'aime creuser des trous et cacher des choses dedans
When I grow old, I hope I won't forget to find them
Quand je vieillirai j'ai l'espoir que je n'oublierai pas de les retrouver
Cause, I've got memories and travel like gypsies in the night
Parce que j'ai des souvenirs et je voyage comme des gitans dans la nuit
I build a home and wait for, someone to tear it down
Je construis une maison et attends que, quelqu'un la démonte
Then pack it up in boxes, head for the next time around
Ensuite la ranger dans des boîtes, en route pour la prochaine fois
Cause, I've got memories and travel like gypsies in the night
Parce que j'ai des souvenirs et je voyage comme des gitans dans la nuit
And a thousand times I've seen this road
Et mille fois j'ai vu cette route
A thousand times
Un millier de fois
(Chorus:)
I've got no roots
Je n'ai pas de racines
But my home, was never on the ground
Mais ma maison, n'a jamais été sur le sol
I've got no roots
Je n'ai pas de racines
But my home, was never on the ground
Mais ma maison, n'a jamais été sur le sol
I've got no roots
Je n'ai pas de racines
I've got no roots
Je n'ai pas de racines
I've got no roots
Je n'ai pas de racines
But my home, was never on the ground
Mais ma maison, n'a jamais été sur le sol
I've got no roots
Je n'ai pas de racines
But my home, was never on the ground
Mais ma maison, n'a jamais été sur le sol
I've got no roots
Je n'ai pas de racines
I've got no roots
Je n'ai pas de racines
I like standing still for, that's just the wishful plan
J'aime rester immobile, ce n'est qu'un projet idéaliste
Ask me where I come from, I'll say a different land
Demandez-moi d'où je viens, je dirai un pays différent
But I've got memories and, travel like gypsies in the night
Mais j'ai des souvenirs et je voyage comme des gitans dans la nuit
I count gates and numbers, then play the guessing game
Je compte les portes et les numéros, puis joue au jeu des devinettes
It's just the place that changes, the rest is still the same
C'est juste l'endroit qui change, le reste demeure inchangé
But I've got memories and, travel like gypsies in the night
Mais j'ai des souvenirs et je voyage comme des gitans dans la nuit
And a thousand times I've seen this road
Et mille fois j'ai vu cette route
A thousand times
Un millier de fois
(Chorus)
I like digging holes, hiding things inside them
J'aime creuser des trous, cacher des choses dedans
When I grow old, I won't forget to find them
Quand je vieillirai, je n'oublierai pas de les retrouver
I like digging holes, hiding things inside them
J'aime creuser des trous, cacher des choses dedans
When I grow old, I won't forget to find them
Quand je vieillirai, je n'oublierai pas de les retrouver
(I've got no roots!)
(Je n'ai aucune racine!)
(No roots!)
(Aucune racine!)
(Chorus)
(No!)
(Non!)
Chaque mot trouve un écho dans son cœur et dans ses pensées. Elle non plus n'a pas de racine. Ou plus exactement, elle n'en a plus. Lorsque le bus bifurque et emprunte la Sumpter Stage Highway, l'appréhension s'infiltre dans son cœur.
« Je ne dois pas y penser, je ne dois pas y penser. »
Elle a beau s'efforcer de songer à autre chose, rien n'y fait. Et lorsque le bus quitte la voie principale pour s'engager sur la petite route qui mène à Baker City, elle sait qu'elle a perdu la bataille. L'angoisse lui étreint la gorge et elle cesse de lutter. Les yeux brouillés de larmes, elle fixe la haie d'arbres qui se profile au loin et laisse les souvenirs l'envahir et lui laminer le cœur. Les images et les sons qui hantent encore parfois ses nuits arrivent par flashs : la sonnerie stridente du visiophone, les phares de cette voiture inconnue qui illuminent le portail, les silhouettes des deux hommes en uniforme qui se détachent sur la lueur des lampes qui éclairent la terrasse, puis l'attitude froide du policier qui refuse de répondre à ses questions angoissées mais exige de voir ses papiers d'identité, son livret de famille et enfin... l'annonce. Brutale. Violente. Inhumaine. Elle entend encore la voix de l'officier de police judiciaire résonner dans sa tête : « Roxanne Brander ? Vous êtes bien la fille de Janice et John Brander ? J'ai le regret de vous informer que votre famille a eu un accident. Votre père et vos grands-parents ont été tués sur le coup dans une collision avec un camion. Votre mère a été transportée au Grande Ronde Hospital à La Grande. Voici le numéro du service d'urgence. Je vous conseille d'appeler avant de vous y rendre, inutile de faire une heure de route pour rien. »
Alors que l'autocar attaque la portion de route rectiligne bordée par les profonds fossés, Roxanne sent la nausée ramper dans sa gorge. Sous ses paupières, elle voit défiler les images qui peuplent ses cauchemars. Les traces de peinture rose fluo sur le bitume pour marquer la position des véhicules au sol. Et surtout cette voiture dont le côté semble intact mais dont l'avant n'existe plus, comme si tout avait été coupé à la limite de la portière conducteur. Elle se souvient avoir crié et être tombée à genoux en découvrant la voiture à la fourrière. Avec une précision douloureuse, elle revoit le pare-brise étoilé, le capot semblable à un éventail refermé, collé à la base du pare-brise et le moteur... pulvérisé, broyé, compacté sous le châssis. Elle ressent encore son effarement puis son incrédulité en découvrant l'intérieur de la voiture.
Ce ne sont pas les appuis-têtes coupés ni les fauteuils des banquettes à l'arrière, démontés par les secouristes pour extraire les corps qui l'ont marquée, mais l'habitacle avant. Mis à part les enveloppes blanches déployées des air bag, presque rien n'a bougé. Seul le siège conducteur a légèrement glissé sur ses rails. Le volant et la colonne de direction ont l'air un peu plus bas que la normale mais ce n'est pas flagrant. Une chose a immédiatement attiré son regard. Une seule. Cette vision était si surprenante, tellement incongrue... Aussi invraisemblable que les vitres intactes des portières. L'ordinateur de bord la narguait. Totalement vierge de tout impact. Même pas une fissure sur l'écran. C'est à ce moment-là qu'elle a craqué, frappée de plein fouet par l'incompréhension qui a ricoché sur la douleur qu'elle s'efforçait d'ignorer. Elle s'est mise à hurler, à taper du poing sur le tableau de bord avec un seul but : casser l'écran de ce foutu ordinateur de bord. Elle ne se souvient plus très bien de ce qu'il s'est passé exactement mais elle a dû arriver à ses fins puisque ses mains étaient ensanglantées. Elle se rappelle avoir été sortie de la voiture par le garagiste et sa collègue prof de gestion qui avait tenu à l'accompagner, puis s'être retrouvée à genoux sur l'herbe et le sol terreux de la casse, des éclats de verre la piquant à travers le tissu de son jean. Elle s'est recroquevillée dans les bras de sa collègue, les mains sur son visage pour étouffer ses sanglots et son envie de hurler. Et toujours ces deux questions qui tournent et retournent dans sa tête :
« Comment ont-ils pu mourir dans cet accident alors que l'habitacle de la voiture a été entièrement préservé ? Comment ont-ils pu avoir de telles blessures ? »
Un coup de klaxon, un coup de frein brutal et l'autocar fait une embardée avant de s'immobiliser. Le temps pour le chauffeur d'insulter copieusement les conducteurs des deux voitures qui faisaient la course. L'épisode n'a duré qu'une dizaine de secondes mais cela a été suffisant pour tirer Roxanne de ses souvenirs et lui faire ouvrir les yeux pour la recatapulter dans le présent. Pendant que le chauffeur fait le tour de son véhicule pour vérifier qu'il n'y a pas de dégâts, son regard se pose sur la ligne électrique qui longe la route. Machinalement elle suit le câble des yeux jusqu'au prochain poteau électrique. Ses pupilles s'élargissent brusquement, son souffle s'accélère, elle a l'impression de suffoquer. Elle le reconnaît ! Elle a attaché elle-même les bouquets de fleurs artificielles qui le ceinturent. Elle est à moins de dix mètres de l'endroit exact où sa famille a perdu la vie. Sans qu'elle puisse s'en empêcher, ses yeux dérivent vers le fossé. Ce fossé si profond qui est à l'image de sa souffrance. Cette dépression herbeuse est l'un des éléments du mystère qui la hante et qui l'empêche de faire son deuil. Ses iris larmoyants sont fixés sur lui comme s'ils pouvaient le fouiller et y découvrir ce qui s'y cache. Que s'est-il passé exactement ? Comment sa mère a-t-elle pu être retrouvée dans ce fossé alors que sa poitrine portait les traces de la ceinture de sécurité ? C'est aussi pour cela qu'elle retourne à Baker City. Elle a besoin de réponses, elle a besoin de connaître la vérité. Cette vérité que la police semble réticente à chercher et à mettre en lumière.
Lorsque l'autocar redémarre, Roxanne reste le regard rivé aux fleurs orange et roses. Elle retient un sanglot étranglé en passant à côté du poteau électrique. Si près qu'elle aurait pu toucher les fleurs juste en tendant le bras à travers la fenêtre du bus. Au fur et à mesure que le bus s'éloigne du lieu de l'accident, la jeune femme commence à respirer plus librement. Elle renifle, passe machinalement ses doigts sur ses joues trempées. Elle sort un paquet de mouchoirs en papier de sa poche, en prend un et s'essuie le visage avant de le rouler en boule au creux de sa paume. Elle serre et desserre son poing convulsivement dessus jusqu'à ce que les muscles de sa main protestent. Lorsqu'elle commence à ressentir une sensation de brûlure, elle s'apaise enfin, la douleur physique ayant chassé la douleur émotionnelle.
Quand l'autocar arrive enfin à la gare routière, Roxanne est à nouveau calme, prête à affronter l'épreuve qui l'attend. Sans tergiverser, elle charge son paquetage militaire sur son dos et part à la recherche d'un taxi. Moins d'une demi-heure plus tard, elle est sur le perron de la maison familiale. La nostalgie la submerge un court instant quand elle pénètre dans la villa. Elle pose son bagage dans sa chambre puis erre de pièce en pièce. Elle fait le tour de la maison de son enfance, caresse un meuble, feuillette distraitement un livre, redresse un cadre avant de se laisser tomber dans le canapé. Le cœur étreint par la tristesse, elle contemple le salon vide de toute présence. L'album photo laissé sur la table basse l'attire irrésistiblement. Presque malgré elle, elle s'en saisit et en tourne les pages. Elle voit sa vie défiler devant elle, couchée sur papier glacé. Son enfance, son adolescence, ses premières années de jeune adulte. Tout y est : les anniversaires, les fêtes de Noël, les kermesses et spectacles d'école, les remises des diplômes, les vacances. Mais l'attention de Roxanne ne se porte pas sur la transformation de la fillette blonde potelée en une jeune femme brune élancée. Elle n'a d'yeux que pour les visages qui sourient à ses côtés, photo après photo. Son père, sa mère, ses grands-parents. Ils l'ont tous accompagnée, tout au long de sa vie. Toujours à ses côtés et cela depuis sa naissance. La douleur la submerge de nouveau et elle pleure, roulée en boule sur le canapé. Longtemps.
Une fois la douleur dans sa poitrine évacuée, elle relève la tête et regarde encore une fois autour d'elle. Même si la pièce est remplie d'objets, de souvenirs évoquant ses parents, ses grands-parents, elle a soudain une conscience aiguë de la réalité : elle est désormais seule. Sans famille. Orpheline. Et la situation est irrémédiable. Ses parents, sa famille font partie de son passé. Elle ne peut plus compter sur personne. Elle est désormais seule pour affronter la vie et se construire un futur. Une certitude se fait alors jour dans son esprit, comme une révélation. Son avenir n'est plus à Baker City, il est ailleurs. Dans l'armée. Mue par une impulsion, Roxanne se lève, va fouiller dans son paquetage et revient avec les documents donnés par le commandant Braxton et commence à les étudier. Elle s'endort, le dossier d'inscription serré contre son cœur.
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Je sais ce que vous allez dire... c'est pas trop tôt ! J'avoue que ça fait très longtemps que ce chapitre macère et je reportais le moment de l'écrire. Mais il est enfin sorti !
Vous découvrez donc le nom de notre nouvelle héroïne !
J'ai pas mal d'interrogations sur ce prologue et ce premier chapitre car ils sont écrits différemment d'unité d'élite car même s'ils sont toujours écrits à la 3e personne, ils sont essentiellement au présent et j'ai peur que ça dépareille par rapport à UE. Mais spontanément quand je les ai écrits ils sont sortis comme ça au présent et je n'ai pas réussi à les mettre au passé. Je ne sais pas ce qui est le mieux pour l'instant ?
Le premier jet wattpad n'est jamais la version finale donc je vais laisser un peu décanter et voir comment la suite arrive. Il n'est donc pas exclu que je revienne dessus et les retravaille pour les mettre au passé.
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