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Le matin, Konoha était toujours d'un calme surprenant, et même légèrement angoissant sur les bords. Pas un chat dans les allées, aucun mouvement si ce n'était celui des arbres que le vent faisait bouger. Tenten frissonnait dans la rue déserte, commençant à se dire qu'elle aurait peut-être dû emporter de quoi se couvrir les épaules. Ses tresses brunes s'agitaient doucement au passage de la brise matinale, et la jeune femme décida qu'il était temps de se réchauffer un peu.

Lâchant le pinceau qu'elle tenait dans la main droite pour le poser dans le pot de peinture en équilibre très précaire entre le bord de la gouttière et le toit, la kunoichi s'essuya les mains avec le torchon posé non loin qui menaçait de s'envoler, attrapa son matériel sans se soucier du poids et sauta à bas de son échelle pour contempler son travail, une main sur la hanche.

Le panneau d'ordinaire immaculé qui annonçait l'entrée de son magasin d'armes avait pour l'occasion pris une teinte bien plus joyeuse, tout orné de cœurs rouges. Elle sourit, satisfaite de son travail. Avec un peu de chance, aujourd'hui serait un bon jour pour les affaires : ses jolis kunais roses et blancs n'étaient ils pas, après tout, le parfait cadeau romantique ? Elle, en tout cas, n'aurait certainement pas dédaigné un shuriken de Saint Valentin.

Mais la vie rendait parfois impossible la célébration de ce genre de bonheur simple, quand l'être aimé avait pour nom Hyuuga.

Neji de son prénom, qui étrangement s'arrangeait toujours pour trouver une excuse à ce moment de l'année, celle-ci étant le plus souvent, comme c'était le cas actuellement, une mission ne pouvant être refusée.

Tenten fit la moue en y pensant, mais rejeta les épaules en arrière en soupirant. Que pouvait-elle y faire, si son -adorable au demeurant- fiancé persistait dans son aversion presque maladive du quatorze février ?

La brune, malgré ses doigts gelés, ne fit pas tomber ses clés. Elle les inséra avec une précision redoutable, d'un lancer comme si il se fut agit d'une arme, dans la serrure. La porte ouverte, elle la poussa du pied, ses outils plein les mains, et son échelle de nouveau scellée dans un parchemin. L'intérieur de la boutique était plongé dans le noir, le chauffage allumé rendait la température à l'intérieur bien plus agréable, et l'odeur famillière de métal, d'encens et de bois relaxa considérablement la jeune femme.

Elle alla ranger la peinture et laver le pinceau dans l'arrière boutique, attendant patiemment que le sang se remette à circuler dans ses membres transis. Un coup d'oeil vers l'horloge l'informa de l'heure beaucoup trop matinale.

Tenten s'étira comme un chat, une fois ses tâches accomplies, et hésita à prendre sa place habituelle au comptoir. D'ordinaire elle n'avait déjà pas beaucoup de clients, en temps de paix et avec les nouvelles technologies se développant, les armes ayant servi lors de la guerre n'intéressaient plus personne. Le temps semblait toujours long ici, enfermée entre ces quatre murs alors qu'elle avait encore tant à faire et à voir. Cependant, il fallait bien qu'elle gagne sa vie. La paix était fragile encore mais pour le moment installée, et bien que la kunoichi ne puisse que s'en réjouir, elle savait que les périodes paisibles de l'histoire n'étaient pas propices aux ninjas. La jeune femme avait essayé d'enseigner à l'académie, mais Iruka et Shino étaient bien plus pédagogues qu'elle. Elle s'était donc résignée à partir en mission de temps en temps seulement, pour tenir son magasin quand il n'y avait rien d'autre à faire.

Seulement, elle devait se l'avouer, commerçante n'était pas un métier qui lui allait. Du moins, pas à plein temps. Tenten était une kunoichi, et surtout une élève de Gaï, habituée à l'exercice physique et l'action. Elle aimait l'adrénaline et la sensation de ses muscles roulant sous sa peau. Gérer une échoppe ne lui donnait pas ce dont elle avait besoin.

La brune fit de nouveau la moue, ses pensées se dirigeant une fois encore vers le cousin d'Hinata, son habituel partenaire d'entraînement, et accessoirement son futur partenaire de vie. Eut-il été là qu'il se serait offert de la sortir de son humeur un peu morose en s'exerçant aux terrains d'entraînement, mais justement, il brillait par son absence.

Lee avait assuré qu'ils seraient de retour aujourd'hui, et elle les savait capables de boucler cette mission en deux fois moins de temps que nécessaire, mais Tenten émettait quelques doutes quant à la motivation de Neji à revenir dans un Konoha décoré de fleurs et de cœurs en papier. Ino avait tenu à assurer la décoration, et Sai n'avait pu lui refuser son aide : ce qui devait être de simples ornements avaient vite changé pour se transformer en véritables œuvres d'art.

Les toits du village étaient couverts de guirlandes, toutes les boutiques avaient suivi le mouvement. Tenten était bien placée pour le savoir, elle venait elle-même de décorer sa devanture ! Cette ambiance un peu trop joyeuse, la première vraie célébration du quatorze février depuis des années, risquait fort de déplaire au prodige Hyuuga, pour qui rien n'était plus romantique que la sobriété.

La brune n'était personne pour s'opposer à cette vision, elle appréciait grandement que leur relation n'ait changé qu'à l'abri des regards, dans leur intimité. Mais elle se disait que peut-être, pour cette fois, jouer le jeu alors que l'occasion s'y prêtait ne leur ferait pas de mal. Enfin, malgré cette apparence presque indifférente, Tenten savait pertinemment que la vraie raison du refus en bloc du Hyuuga était son extrême pudeur. Il n'osait lui tenir la main ou la taille que devant Lee ou Gaï-sensei, alors s'afficher devant tout Konoha...

Tenten se demandait même comment, le jour de leur mariage, Neji allait supporter de l'embrasser devant leurs invités. Elle avait le sentiment que l'évanouissement sous la gêne deviendrait peut-être un trait de caractère commun aux deux cousins Hyuuga.

S'assurant que le panneau à l'entrée informait bien les passants de l'ouverture de l'échoppe, la jeune femme alla s'asseoir derrière le comptoir avec un sourire un peu distant, la joue appuyée sur sa main droite où elle sentait sa bague de fiancailles s'enfoncer légèrement dans sa peau. Tenten jeta de nouveau un coup d'oeil à l'horloge. Perdue dans ses pensées, elle n'avait pas vu le temps filer et il était déjà dix heures. Les clients allaient arriver, avec un peu de chance.

... Chance qu'elle fut forcée reconnaître ne pas posséder, après deux heures sans une âme à franchir le seuil de sa boutique. Son ventre commençait à gargouiller et elle sentait également l'impatience poindre. Alors quand la porte de l'échoppe s'ouvrit en fracas, Tenten pensa qu'elle allait enfin recevoir un peu d'attention dans cette journée qui y était normalement destinée.

Mais le costume moulant vert qui enveloppait la jambe posée sur son paillasson ne laissait pas à la kunoichi grande place au doute. Un sourire s'étala cependant sur son visage, même si elle n'avait pas eu un client depuis le matin, car elle était heureuse de voir une figure familière.

« — Tenten ! la salua avec enthousiasme le fauve de Jade de Konoha en entrant dans l'échoppe. »

Comme d'ordinaire, Lee était joyeux. Tenten vit avec satisfaction qu'hormis quelques égratignures sur les phalanges et sur le visage, son ami ne semblait pas blessé. Ni trop fatigué d'ailleurs, mais on ne pouvait vraiment dire. La kunoichi répondit au salut avec un beau sourire qui illumina son visage auparavant ennuyé, en sortant de derrière le comptoir.

« — Lee ! Vous êtes déjà de retour ? Tout s'est bien passé ? interrogea t-elle, cherchant à apercevoir Neji derrière l'épaule de son partenaire, sans succès cependant. »

Elle haussa les épaules en ne le voyant pas. Peut-être avait-il décidé de faire son rapport au Hokage, ou alors les décorations étaient décidemment trop pour lui et il restait en dehors des barrières de Konoha, effrayé de ce qu'il pourrait trouver parmi tous ces cœurs en papier.

Lee commença à raconter avec force mouvements des bras et bruitages douteux comment à deux ils avaient réussi à maîtriser toute une bande de déserteurs, et comment il avait sauvé la vie de Neji en protégeant son côté aveugle, et comment ce dernier lui avait rendu la pareille avec un lancer de kunaï digne d'elle. Tenten souriait. Si l'époque de la guerre ne lui manquait pas du tout, en revanche celle où ils partaient en mission tous ensemble la rendait nostalgique. Elle n'était peut-être pas un monstre de puissance comme ses deux coésuipiers, mais elle ne manquait certes pas de force ou de vivacité d'esprit : elle était beaucoup plus utile au village en tant que kunoichi plutôt qu'ici, plantée derrière un comptoir dans une échoppe désespéremment vide. La voix de Lee la tira soudainement de ses pensées.

« — ... Et pour finir on est allés faire notre rapport à Kakashi-sensei, puis Neji est parti se changer, et me voila ici ! termina de raconter, avec un sourire beaucoup trop étincelant emprunté de Gaï, le jeune homme visiblement survolté.

— Tu es en train de me dire que tu ne t'es pas lavé encore ? Hors de question que tu ailles t'entraîner dans cet état. À la douche ! imposa la brune en pointant l'arrière-boutique du doigt, qui servait la plupart du temps de vestiaire aux membres de l'équipe. »

Lee fit la moue, tentant de lui expliquer à quel point il était urgent pour lui de tenter de maîtriser cette nouvelle attaque à laquelle il avait pensé durant leur mission, et à quel point il était cruel de le forcer ainsi, et...

« — J'ai dit à la douche, Lee. »

En grommelant, un filet de sueur froide lui coulant le long de l'échine à cause du regard de sa partenaire, le fauve de jade de Konoha s'exécuta. Tenten lui lança une serviette éponge par dessus la cloison de la douche en souriant doucement, secouant la tête. Le temps avait passé, mais certaines choses ne changeaient pas.

Allant se poster de nouveau derrière le comptoir, dans le cas illusoir où quelqu'un arriverait, la kunoichi sentit une bulle de joie pure exploser dans sa poitrine, alors que le son de l'eau coulant contre le carrelage parvenait à ses oreilles. Ses équipiers étaient revenus sains et saufs, elle allait pouvoir profiter de la présence de Neji pour la première fois depuis longtemps, et Sakura l'avait invitée à dîner le soir même, elle pourrait donc clouer le bec d'Ino qui aimait la charrier à propos de l'absence de son fiancé à chaque jour de Saint-Valentin. Elle s'en réjouissait d'avance ! Tenten étouffa un rire. C'était peut-être enfantin de sa part d'agir ainsi, mais elle ne pouvait s'empêcher de penser que la blonde devrait trouver autre chose pour la taquiner sur ses relations amoureuses, et que pendant ce temps là elle aurait du répit.

Parce qu'elle pouvait bien parler de Neji et sa pudeur, mais la brune n'était pas beaucoup plus à l'aise en public. Ino ne ratait pas une occasion de le leur rappeler. Depuis qu'elle faisait découvrir à Sai la notion d'amour, elle avait pris quelques unes des habitudes -trop- franches du jeune homme.

Quand le carillon annonça l'arrivée de quelqu'un, la kunoichi pensait être préparée. En voyant Neji arriver, les cheveux encore humides, son vêtement blanc si merveilleusement ajusté sur ses épaules carrées musclées par l'entraînement, un très léger sourire flottant sur ses lèvres pâles, la jeune femme sut qu'elle s'était fourvoyée. Après une semaine d'absence, elle n'était décidemment pas prête à encaisser ainsi la magnificence du prodige Hyuuga.

Ce qui ne l'empêcha pas de sortir de derrière le comptoir avec un grand sourire, de ceux qui faisaient briller les yeux, et de marcher vers son coéquipier avec la plus douce des expressions. Ils s'arrêtèrent tous deux à une coudée l'un de l'autre, et prirent le temps de se dévisager, longuement. Le silence coulait entre leurs corps, confortable et rassurant. Ils ne voulaient pas, et ne pouvaient de toute manière car il n'existait aucun mot qui fusse assez puissant, s'exprimer sur leurs sentiments de se retrouver là, en vie et ensemble.

Après avoir survécu à une guerre et frôlé la mort de si prêt, les retours de mission de l'un ou de l'autre prenaient toujours cet aspect iréel. Comme si ils ne pouvaient vraiment croire mériter tant de bonheur.

« — Je suis rentré. »

Il avait parlé assez bas, à la limite du chuchotement, mais sa voix était naturellement assez puissante pour que les paroles restent audibles. Tenten sourit franchement, et n'hésita pas un instant à l'entourer de ses bras pour poser le menton au creux de sa clavicule, appréciant doucement la chaleur qui se dégageait de Neji, et son odeur de savon.

« — Bienvenue, répondit elle alors que le shinobi posait un léger baiser sur le haut de sa tête. »

Elle le sentit sourire plus qu'elle ne le vit, et s'écarta, le laissant respirer. Une étincelle de malice particulière au fond de ses yeux, ou bien quelque chose dans son expression dut alerter Neji puisqu'il leva directement un sourcil, un signe chez lui d'interrogation... Et parfois de méfiance. Les lèvres de Tenten s'étirèrent avec candeur alors qu'elle s'asseyait sur le comptoir, en faisant tourner un kunai entre ses doigts.

Au même moment, et avant qu'il n'ait pu vraiment lui demander ce qu'elle avait pour afficher une telle expression, Lee arriva. Sortant de l'arrière boutique et lavé du sang de ses égratignures ou de ceux qu'il avait rencontré, le fauve de jade de Konoha avait bien meilleure mine. Affublé de sa sempiternelle combinaison verte moulante et de ses affreuses guêtres oranges, ses cheveux noirs gouttaient sur la serviette éponge qu'il avait passée autour de son cou. L'examinant d'un œil critique, la kunoichi le força à s'asseoir pour poser un bandage sur la plaie qui lui couvrait la joue, le tout sous le regard moqueur de Neji qui avait bien pris soin auparavant de se panser lui-même pour éviter les menaces de Tenten. Depuis qu'il avait failli mourir et que Gaï-sensei avait perdu une jambe durant la guerre, la brune était devenue plus protectrice envers ses coéquipiers. Ce qui ne voulait pas dire qu'elle les étouffait d'attentions, loin de là. Simplement quand ils commençaient à négliger leur santé comme ils en avaient pris l'habitude, ils pouvaient être sûrs de la trouver pour rectifier leur comportement, quand bien même il fallait pour cela les immobiliser à l'aide de kunaïs plantés dans les vêtements.

Une fois cela fait, Lee fut forcé de se ranger à côté de Neji alors que la jeune femme, qui agitait l'index devant leurs nez avec une main sur la hanche, leur demandait d'accéder à sa requête. Sans préciser la-dite demande, évidemment.

« — Qu'est-ce que tu mijotes encore, Tenten ? interrogea Neji en fronçant le nez, sceptique car bien placé pour connaître la mine qu'arborait sa fiancée. »

Ces yeux scintillants et ce sourire en coin voulaient dire que quelque soit ce souhait, elle allait arriver à ses fins et ce sans aucun remord quant au moyen utilisé pour les plier à sa volonté. Comme attendu, la kunoichi croisa les chevilles, de nouveau assise sur le comptoir, un nunchaku innocemment posé à portée de main.

« — Et bien j'ai reçu une invitation de Sakura dans la semaine, et étant donné que c'est la Saint-Valentin, je me suis dit que ce serait une bonne occasion d'apprécier la compagnie des autres, puisque c'est le moment où jamais. Donc j'ai dit que si vous étiez rentrés j'amènerai mon adorable fiancé et mon si gentil coéquipier qui seraient ravis de partager un repas avec ceux qu'on voit peu, expliqua calmement Tenten, ricanant machiavéliquement intérieurement. »

Son plan parfait de Saint-Valentin incluait un dîner en seule à seul avec Neji et une nuit entre ses bras, mais pour cette fois-ci elle se disait que l'idée de Sakura était meilleure. Après l'avoir épousé, elle pourrait profiter de la compagnie du prodige Hyuuga autant que désiré, mais il était rare que tous leurs amis soient disponibles et rassemblés autour d'une même table. C'était une belle occasion, à ne pas manquer.

Lee se grattait le crâne, l'air de planifier les heures de la nuit auxquelles il devrait déplacer son entraînement, et Neji la regardait, bras croisés, comme s'il était tenté d'user de son Byakugan pour s'assurer qu'elle ne cachait pas un piège sous cette invitation à dîner presque trop belle pour être vraie. Mais son sourire était si chaleureux, et elle était si belle avec ce bonheur au fond des yeux, que même si elle avait effectivement concocté un plan tordu, il voulait bien y sauter à pieds joints, rien que pour contempler encore cette aura de félicité l'entourant.

Ils acceptèrent donc, sans trop de réticences, et Lee décida immédiatement qu'il lui fallait cuisiner le plus de chocolats possibles pour les amener le soir même. Il partit en coup de vent avec un grand salut enthousiaste, sur un sourire qui aurait pu les éblouir tant il était lumineux. Les deux ninjas de la team Gaï restant échangèrent un regard amusé.

Un sourire en coin creusa une fossette dans la joue de Neji quand il observa, une main posée sur la hanche :

« — Tu as été étonnament gentille, pour une Saint-Valentin. »

Tenten se retourna pour lui faire face, après avoir tourné l'écriteau pour indiquer que la boutique était fermée. Elle avait un sourcil levé, dans une attitude adoptée après trop de temps passé en sa compagnie, et un demi-sourire presque joueur aux lèvres. Elle s'approcha lentement de lui, levant une main pour effleurer sa joue, avant de passer les bras derrière son cou et de lever vers lui un visage narquois.

« — Ne t'en fais pas, tu n'échapperas pas si facilement au dîner aux chandelles, promit-elle avec un léger rire. »

Neji fronça le nez, ses yeux pâles s'étrecissant alors qu'il souriait. Ses mains trouvèrent le chemin de la taille de la kunoichi, et il se pencha pour déposer sur ses lèvres un baiser, presque un effleurement, avec toute la tendresse du monde. Tenten fondit dans son étreinte, trop heureuse d'y répondre.

Ç'avait le goût du bonheur.

Ç'avait le goût du foyer.

C'était ça de vivre.

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