1. Tepito, Mexico.

VALENTINA


— Je termine de te couper les pointes et tu pourras y aller.

Ma tante rassemble délicatement mes longs cheveux noirs et fait passer son peigne sur toute la longueur. Du bout de ses doigts, elle pince les extrémités, avant d'agiter ses ciseaux.

— Je te fais confiance, Tía.

Néanmoins, je pose un regard anxieux sur ses mains à travers le miroir, et juste avant qu'elle coupe, je lui précise précipitamment :

— Pas plus de deux ou trois centimètres, hein ? Juste les pointes. 

Elle s'esclaffe, puis lance un regard amusé à ma grand-mère qui nous observe paisiblement, assise dans le canapé.

— À chaque fois, j'ai l'impression que cette petite pense que je serais capable de lui faire du mal.

Avec un sourire malicieux, ma grand-mère réajuste le poncho coloré qui enveloppe ses épaules. Après avoir avalé une gorgée de café, elle répond d'une voix douce :

— Sois indulgente, elle te confie son bien le plus précieux.

Même si Abuelita se moque de moi, je refuse d'avoir une coupe affreuse devant mon miroir le matin.

Tía Carmen pose une main réconfortante sur mon épaule, puis m'adresse un clin d'œil. Je sais que je stresse pour rien. Je lui confie mes cheveux depuis mes cinq ans et elle ne m'a jamais déçue. Malgré ça, mon cœur se serre légèrement à l'entente du bruit des ciseaux coupant la pointe de mes cheveux.

Je détourne alors le regard vers le crucifix accroché au mur par ma grand-mère. Il est entouré d'un tableau représentant une coupe de fruits et de la photo de ma quinceañera. Récemment, de nouveaux cadres se sont ajoutés aux murs. Ma cousine, Paloma, m'a offert un appareil photo d'occasion le jour de mon dix-septième anniversaire. Alors depuis deux ans, je capture moi-même les moments de vie que je partage avec elle, tía Carmen, ma grand-mère et nos voisins.

— Où est Paloma ? demande Abuelita.

— Au travail, répond ma tante sans se laisser perturber.

Elle lisse mes cheveux de sa paume, puis examine le résultat avant de raccourcir une mèche rebelle.

— Elle va se tuer à la tâche, soupire ma grand-mère.

— Elle a eu de la chance de trouver ce poste, proteste Carmen.

À moi aussi, elle me manque et je m'inquiète quand elle n'est pas là. Seulement, nous avons besoin de cet argent. Les cours à l'université ne sont vraiment pas donnés, je te rappelle.

Je perçois une pointe d'amertume dans sa voix, ce qui me fait immédiatement baisser les yeux. Elle ajoute :

— Toi aussi, Valentina, il faut que tu fasses attention quand tu es dehors. Tepito ne pardonne pas, tu le sais.

Ses traits sont maintenant déformés par l'inquiétude.

— Je le sais, Tía. Je suis toujours prudente.

Elle soupire doucement comme si mes mots ne suffisaient pas

pour la rassurer. Alors qu'elle continue de me couper les pointes, je sais qu'elle pense à Fernando, mon oncle, et Rafael, leur fils. Tous les deux nous ont été arrachés par la violence qui règne dans nos rues. Il suffit d'être au mauvais endroit, au mauvais moment.

— C'est juste que...

Sa voix se met à trembler. Elle doit prendre une lourde inspiration pour contenir son sanglot.

— Juste... Enfin, chaque fois que je vous vois sortir, toi ou Paloma, je m'inquiète. Vous savez, je prie beaucoup pour vous, pour qu'il ne vous arrive rien.

Je n'en doute pas, nous sommes la seule famille qui reste à tía Carmen.

— Ne la stresse pas, intervient ma grand-mère. Valentina est forte, comme toi. Elle s'en sortira.

Ma tante s'arrête un instant de me couper les cheveux, hésitante.

— Je ferais attention, Tía, murmuré-je, dans l'espoir de la rassurer.

Je sais que mes mots ne seront jamais suffisants, malheureusement. La peur ne la quittera pas tant que nous serons toutes à Tepito. Voilà pourquoi Paloma et moi faisons tout ce qui est possible pour nous offrir un meilleur avenir.

Nous avons été élevées ensemble, toujours l'une avec l'autre. Pas de Paloma sans Valentina et pas de Valentina sans Paloma. Nous avons passé nos journées à jouer dans les rues de Tepito et nos nuits à partager tous nos secrets. Honnêtement, je n'imagine pas ma vie sans elle. Donc, ça tombe bien qu'elle et tía Carmen habitent juste en face de chez moi !

Depuis qu'elle a décroché ce poste de serveuse dans un bar, nous passons de moins en moins de temps ensemble. Il faut dire que je suis moi-même très occupée entre les cours et mon travail à mi-temps dans un fast-food. On se voit à peine pendant le cours d'espagnol qu'on a en commun à l'université. J'avoue que cette séparation me pèse un peu. En fait, elle me manque beaucoup...

— Ça y est ! J'ai fini.

Je reviens sur terre quand les doigts de ma tante glissent entre mes mèches noires, maintenant lisses et brillantes.

— Merci, Tía ! Tu as vu, Abuelita, on dirait que rien n'a été coupé, m'extasié-je en lui montrant ma longueur.

Pendant que ma grand-mère pouffe dans son journal, ma tante prend mon visage entre ses paumes et dépose quelques baisers sur mes joues, mon nez et mon front.

— Bon, ris-je en me détachant d'elle, je dois vraiment y aller. Bisous, Abuelita ! Bisous, Tía !

Je dépose un baiser sur leur front - un rituel depuis que je suis toute petite -, puis je file vers la porte d'entrée. Après avoir mis mes chaussures, je sors mon mascara et en applique une dernière touche.

— Décidément, rit ma grand-mère en secouant la tête, cette petite est bien de la famille. Carmen, tu te rappelles quand ta sœur et toi, vous vous maquilliez dans mon dos ? Vous nous rendiez fous, votre père et moi !

Même si ma passion pour la beauté est née avec Paloma, j'aime me dire qu'elle me vient aussi un peu de ma mère... Et Abuelita sait que j'adore quand elle nous compare, toutes les deux. J'ai perdu mes parents à l'âge de trois ans, et tout ce qui me reste d'eux est quelques souvenirs flous, et ces bribes d'informations que ma grand-mère me donne parfois.

Après un dernier sourire à l'attention de ma famille, j'attrape mon sac en cuir noir un peu gonflé à cause de mon uniforme de travail, et je sors de l'appartement.

En avançant sur le trottoir, je prends un instant pour observer mon quartier. Nous sommes coincées dans ces ruelles étroites entre des casas délabrées qui témoignent de nos vies assez pauvres. Les bâtiments ne sont pas hauts, mais ils sont divisés en plusieurs familles. On s'entasse dans quelques petites pièces pour survivre, le temps que la vie nous offre de meilleures opportunités. La peinture s'écaille sur ces façades colorées, maintenant par- semées de graffitis. Ici, les cartels commencent lentement à refaire la loi. Les trafics de drogues se profilent sournoisement sous nos yeux, et je vois des jeunes avec qui j'ai grandi sombrer dedans.

Alors que je tourne devant le marché, je manque de heurter M. Suarez, un de mes voisins. Il tient le Malu, la petite supérette du quartier où on a travaillé, Paloma et moi, quand on était plus jeunes. En guise de salaire, il nous donnait toujours une tonne de bonbons. On s'en contentait avec joie !

— Valentina ! Regarde où tu marches, je ne t'avais pas vue, s'exclame-t-il.

— Désolée, monsieur Suarez, j'étais perdue dans mes pensées.

Il grommelle dans sa large moustache contre les jeunes, ce qui me fait rire. Je l'adore, M. Suarez ! Paloma et moi, on a même essayé de jouer les entremetteuses entre lui et Abuelita, sans succès. On a vite compris qu'elle ne pourrait jamais oublier mon grand-père, son premier amour.

— Tu vas au travail, c'est ça ?

— Oui, je dois rejoindre mon arrêt de bus. Je suis même un peu en retard.

M. Suarez écarquille les yeux et me pousse presque pour m'obliger à accélérer.

— Cours, alors, ma fille ! Et surtout, fais bien attention à toi, me conseille-t-il.

Je lui souris et presse le pas jusqu'à l'arrêt de bus, enjambant les déchets qui s'entassent. Alors que je monte de justesse dans le bus rouillé, je ne peux que constater que les rues de Tepito ont bien changé. Ce qui était déjà un quartier pauvre devient un lieu de misère et de peur.

Un lieu que je veux fuir.


♣︎


En poussant la porte du fast-food, je constate qu'il n'y a pas beaucoup de clients. La soirée s'annonce tranquille. Je traîne des pieds jusqu'à l'accueil où je salue Perla, debout derrière la caisse, qui fait des bulles avec son chewing-gum. Elle me répond d'un hochement de tête en réajustant le petit micro devant sa bouche. Je passe le comptoir pour aller vers les vestiaires et remarque qu'elle est au téléphone avec son copain. Elle sait qu'elle n'a pas le droit, mais quand notre manageur, Enzo, n'est pas là, elle s'autorise pas mal de choses. J'aimerais avoir son audace.

— Ne perds pas ton temps à regarder le planning, m'annonce- t-elle, Enzo a demandé qu'on fasse l'inventaire.

— T'es pas sérieuse ? Il a dit ça quand ?

— Il y a dix minutes, sur le groupe.

Elle hausse les épaules avec une expression résolue, puis me tourne le dos pour reprendre sa conversation avec son petit ami. Dépitée, je pousse la porte des vestiaires et découvre qu'effectivement, le planning a été refait.

Bon sang... Je risque de terminer bien après minuit !

Un soupir de frustration m'échappe. Mais pourquoi s'étonner ? Bien sûr qu'Enzo allait profiter de son déplacement pour nous coller ça dans les pattes et y échapper !



♣︎



Quand je jette un coup d'œil à l'horloge, il est plus de 1 heure du matin et je viens tout juste de terminer de me changer dans le vestiaire. C'est rare qu'on finisse aussi tard, sauf les soirées d'inventaire. Au moins, je suis tranquille jusqu'à l'année prochaine !

Alors que j'enfile ma veste, je me sens lessivée par cette journée. J'essaie d'ignorer l'odeur de friture sur mes vêtements et d'oublier l'attitude désagréable de certains clients. Ce travail me pèse, mais pour le moment, je me dois de subir cette situation. Il faut bien que quelqu'un subvienne à nos besoins. Abuelita n'est plus en mesure de travailler avec son mal de dos, même si elle fait de son mieux pour m'aider. Depuis quelques mois, elle brode de petits ponchos pour les voisins. M. Suarez lui a installé un stand à l'entrée de sa supérette. Ce n'est pas suffisant, mais ça nous rapporte quelques pesos en plus.

Bientôt, tout ça va changer. Je suis plus que prête à quitter cette ville dans laquelle je me sens emprisonnée. Mon objectif est clair : obtenir mon diplôme d'architecte et partir aux États-Unis avec ma grand-mère, ma tante et ma cousine. Je nous offrirai une meilleure vie.

Une fois que j'ai fini de m'habiller, je traîne des pieds jusqu'à la badgeuse, puis quitte les lieux après un signe de main à Perla qui rejoint son petit ami sur le parking.

La brise fraîche caresse mon visage alors que je me dirige vers la station de bus. J'attends désespérément le moment où je plongerai enfin dans mon lit. Paloma doit bientôt finir son service, elle aussi. Je ne suis encore jamais allée la voir, car nos horaires ne sont pas vraiment compatibles, mais ce soir, j'aurai juste à faire un détour... Je sais qu'elle travaille dans le quartier Roma Norte, au Casa Ramba. Et puis, ce sera l'occasion de satisfaire ma curiosité !

Sans hésiter, je monte dans le bus qui passe par l'ouest de Mexico et m'assieds derrière le chauffeur. Un sentiment de malaise s'immisce sous ma peau, car les deux hommes installés dans le fond parlent fort et me semblent très alcoolisés. Tant qu'ils ne font pas attention à moi, tout va bien, mais je reste en alerte, comme chaque soir.

Bercée par l'allure du véhicule, je colle ma tête contre la vitre à ma gauche.

J'expire lentement. J'aurais probablement dû rentrer tranquil- lement chez moi, et passer chez Paloma demain matin. Je ne sais pas ce qui m'a pris...

En déglutissant, je me dis que dans cette ville, personne n'est à l'abri. Entre les règlements de comptes de cartels et les différents trafics qui incitent les plus jeunes à choisir l'argent facile, survivre à Tepito n'a jamais été facile.

Aujourd'hui, la ville est sous la coupe du cartel Rivera, mais celui des Cruz est en train de prendre de l'ampleur...




♣︎



Hey, 🥹 !


(Je stresse déjà des retours BYE !)


Mais c'est enfin le moment de commencer à vous dévoiler la nouvelle version de Valentina !

Jusqu'au 6 octobre, je publierais un chapitre tous les dimanches.

J'ai extrêmement hâte d'arriver au 9 octobre et que vous découvriez la version complète de Valentina T1 ! 😮‍💨

Bon, je vous laisse sur ça mes kunefettes 😙 !



À dimanche prochain !


xo, Azra. 🍓

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