Chapitre 18 - Première Partie

— Le garçon s'est réveillé, Madame la Duchesse.

Lorsque le jeune page était venu lui annoncer la nouvelle, elle avait sauté sur ses pieds si vite qu'elle en avait renversé sa tasse de thé. Elle avait abandonné son petit-déjeuner encore intact, sa femme de chambre qui patientait pour terminer de la préparer, et avait filé à travers les couloirs pour rejoindre l'aile ouest.

Arrivée devant la porte de la chambre, sans accorder un regard au garde en poste, elle marqua un temps d'arrêt et inspira profondément pour calmer son impatience. Aedam serait certainement encore confus et effrayé, elle devait le mettre en confiance avant de l'encourager à parler. Elle plaqua un petit sourire sur son visage fatigué et entra dans la pièce.

Les fenêtres étaient ouvertes, baignant la chambre dans l'agréable tiédeur du petit matin. On avait positionné quelques oreillers supplémentaires sur le lit, permettant à Aedam de se redresser suffisamment pour pouvoir manger et boire par lui-même. Rassurée, Elmande le vit mordre dans un quartier de pomme avec des gestes lents et précautionneux, mais le regard plein d'entrain. L'expression de joie factice qu'elle avait collé sur ses lèvres se transforma en un sourire sincère. Elle était heureuse de le voir vivant, plein d'appétit malgré son visage hâve et encore marqué par les sévices subis.

— Bonjour, Aedam.

Le garçon reposa sa nourriture sur le petit plateau placé sur ses genoux et se dépêcha d'avaler sa bouchée pour pouvoir lui répondre.

— Bonjour, Madame la Duchesse.

— Comment te sens-tu ?

— Je... me sens vivant, au moins. Je crois que je dois vous remercier pour ça.

— Ce n'est pas la peine.

Elle s'approcha du lit mais résista à l'envie de s'asseoir près de lui, refusant de donner aux domestiques présents dans la pièce de nouveaux ragots à colporter.

— N'hésite pas à continuer à manger, ajouta-t-elle en désignant du regard les restes de sa pitance. Tu dois reprendre des forces.

— Ce n'est pas l'envie qui m'en manque, Madame, mais je ferais mieux d'y aller doucement. Le médecin a dit que je devais manger de toutes petites bouchées, et prendre beaucoup de temps. Mon estomac n'est plus habitué à la nourriture solide.

— Le médecin est venu te voir ?

— Oui, Madame. Je crois avoir compris qu'il a été prévenu dès mon réveil, selon les ordres que vous aviez laissés.

— Depuis quand es-tu réveillé ?

— J'ai ouvert les yeux au milieu de la nuit, je crois. Je ne saurais pas dire exactement. Le médecin est arrivé un peu après le lever du soleil.

Elmande hocha la tête, sans laisser paraitre sa contrariété ; elle aurait aimé que quelqu'un vienne la réveiller afin de pouvoir s'entretenir avec le médecin.

— Il a eu l'air confiant, ajouta le garçon sans qu'elle ait besoin de le relancer. Il m'a conseillé d'attendre encore avant de me lever, de manger de petites quantités à la fois, de continuer à boire les tisanes qu'on me faisait ingurgiter pendant mon sommeil, et de bouger mes membre petit à petit. Je pense que d'ici quelques jours, je serai sur pieds.

Elmande sourit de plus belle, amusée. Malgré tout ce qu'il avait traversé, ce jeune garçon restait le même moulin à paroles qu'elle avait rencontré quelques semaines plus tôt. Elle s'efforça malgré tout de calmer ses ardeurs :

— Ne sois pas trop pressé, Aedam. Tu as subi de graves blessures, et ton corps va avoir besoin de temps avant de retrouver toute sa vigueur.

— Je m'en doute...

Il laissa sa tête se renfoncer confortablement dans l'oreiller.

— Mais je ne vous cache pas, Madame, que j'ai hâte de rentrer chez moi.

Le sourire d'Elmande se crispa et elle détourna les yeux, mal à l'aise. Aedam s'empressa de se justifier :

— Non pas que je trouve désagréable de me reposer dans ce lit si confortable, entouré de tous ces gens qui s'occupent de moi ! Je vous serai pour toujours reconnaissant de ce que vous faites pour moi. Mais je... Je veux dire que...

— Tu as envie de retrouver tes parents, termina Elmande à sa place. C'est tout à fait normal. Je comprends, ne t'en fais pas. Dès que ce sera possible, nous nous arrangerons pour que tu puisses y retourner.

Elle marqua une pause, se demanda s'il était encore trop tôt pour aborder le délicat sujet de ses ravisseurs. Elle se mordit la lèvre inférieure puis, finalement, se décida :

— De plus, Aedam... Nous ne savons toujours pas qui sont les Serviteurs, où ils se cachent, ni quelles sont leurs intentions à ton sujet. Tu cours peut-être encore un grave danger.

Le corps du garçon se crispa tout entier à la mention de la secte, et ses mains agrippèrent la couverture. Elmande s'en voulut de l'avoir bousculé. Finalement Aedam haussa les épaules et répondit :

— Bof, ça m'étonnerait qu'ils me cherchent alors qu'ils m'ont laissé repartir.

— Ils t'ont libéré intentionnellement ?

— Oui. Je ne sais pas trop pourquoi.

Elmande fit un pas de plus vers lui et parla de la voix la plus chaude et douce possible :

— Aedam... Je ne te demanderai pas de me raconter les détails de ta captivité. En tout cas, pas tant que tu ne te sentiras pas prêt. Mais nos efforts pour démasquer les membres de ce groupe sectaire sont restés vains jusqu'ici et... s'il y a le moindre détail qui te vienne à l'esprit, qui pourrait nous aider à les identifier... cela nous serait très utile.

Aedam détourna le regard, sourcils froncés, comme en proie à de douloureux souvenirs. Il ne répondit pas tout de suite.

— Peut-être as-tu vu l'un de tes ravisseurs ? le relança-t-elle.

— Non, répondit-il d'une voix brisée. J'avais les yeux bandés tout le temps. Je n'ai rien vu.

Un soupir déçu s'échappa de la poitrine d'Elmande. Le garçon reporta son attention sur elle et poursuivit :

— Mais j'ai entendu... Beaucoup de choses. Ils ont un Maître. Un homme qui les guide et leur dit quoi faire.

— Sais-tu de qui il s'agit ?

— Non. Ils ne l'appellent pas par son prénom. Seulement « Maître ».

— S'est-il adressé à toi ?

— Non. Il n'a prêté aucune attention à moi, mais je l'entendais parler avec les autres. Il est vieux. Très vieux.

— Vraiment ?

— Oui. Il a une voix de vieillard sénile. Et il tousse. Beaucoup.

Elmande resta coite. Cette description...

— Vous pensez savoir qui c'est, Madame la Duchesse ?

Aedam la dévisageait. Son trouble ne devait pas passer inaperçu. Elle s'efforça de détendre les muscles de son visage, de ralentir les battements de son cœur. De ne pas se laisser aller à la panique.

Contrôle ta peur. Ne la laisse pas déborder.

Les paroles du Renard, malgré son emportement, résonnaient encore en elle. Il avait raison, elle devait bien le reconnaitre ; se laisser aller à des impulsions de colère et de terreur faisait d'elle une cible de choix pour les êtres noirs. Si elle ne voulait pas en voir surgir un dans la chambre du jeune Aedam, elle devait impérativement se maîtriser.

Elle ne put cependant masquer totalement son inquiétude lorsqu'elle répondit :

— Non, Aedam, je l'ignore. La façon dont tu en parles m'a rappelé quelqu'un, mais je me trompe certainement.

Le garçon hocha la tête. Son teint avait pâli, et ses paupières menaçaient de se fermer à tout instant. La fatigue le gagnait.

— Tu as besoin de dormir, mon garçon. Je vais te laisser te reposer.

— D'accord. Merci, Madame.

Elmande lui accorda un léger sourire avant de se détourner vers la porte. Mais au dernier instant, prise d'un élan soudain, elle s'arrêta :

— Aimerais-tu que je demande aux Sages de venir à ton chevet, Aedam ? Peut-être qu'une prière ou une bénédiction de leur part t'aiderait à recouvrer tes forces plus rapidement.

— Oh, oui je veux bien, Madame.

— Parfait. Je vais leur envoyer un messager. Ils devraient être là quand tu te réveilleras.

— Merci, Madame, de prendre aussi bien soin de moi.

Elmande ne répondit rien, une pointe de culpabilité dans le cœur. 

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