7. Prince de Valachya
Vladimir n'avait pas menti en affirmant que Dmitri servirait dans leurs entrainements. Le jeune vampire encaissait les coups portés par Aleksandr, sous l'œil vigilant du Saigneur qui n'ouvrait la bouche que pour donner un conseil sur le maintien, la force à mettre dans tel ou tel type de coup ou encore la manière de l'arrêter. S'il y avait une bonne dose de technique, le prince comprit rapidement que l'art du combat sollicitait principalement un instinct guerrier – en cours de développement- qu'il était parfois obligatoire de sortir des sentiers battus. Aussi, il devenait de plus en plus vicieux dans ses frappes et y prenait de plus en plus de plaisir.
Définitivement, la violence constituait un excellent exutoire.
Tout à sa formation guerrière, Aleksandr négligeait les aspects politiques de sa nouvelle fonction. Après tout, Vladimir lui répétait suffisamment qu'il était un prince de Valachya. Cela signifiait également qu'il devait apprendre l'étiquette propre à sa race. Jamais il n'aurait cru que son oncle soit de ce genre-là, pourtant il maniait sa langue aussi bien que ses poings. Un atout le rendant d'autant plus redoutable. Depuis combien de temps arpentait-il la non-vie ? La question ne manquait pas de souvent traverser son esprit, sans qu'il ose la poser...
Debout devant une psyché dont le contour était parsemé de dorures, Aleksandr observait son reflet. La croyance populaire voulait que les vampires en soient dépourvus, mais Vladimir avait été prompt à lui expliquer que cela, en plus de quelques autres points de détails, constituaient un ensemble de rumeurs lancé par les immortels eux-mêmes. Pour avoir la paix, avait-il précisé. Et brouiller les pistes.
Le prince pouvait donc se rendre compte de la magnificence avec laquelle il portait l'habit pourpre laissé en évidence sur son lit et promptement apporté par son dîner.
— Comment me trouves-tu ? demanda-t-il à son laquais.
Dmitri aspirait quelques gorgées de liquide vital sur la jeune fille qui avait déjà perdu connaissance. Il releva les yeux, sans ôter ses canines de sa chair. Lui aussi avait fière allure, depuis qu'on lui avait coupé les cheveux, autorisé à se laver et qu'il portait des vêtements de meilleure facture. Somme toute, il restait vêtu simplement mais un monde séparait le Dmitri actuel du vampire frénétique qu'Aleksandr avait rencontré des semaines auparavant. Contrairement à ce qu'avait craint Vladimir, son œil d'un beau bleu s'était régénéré et il aurait pu passer pour un noble. Ou au moins un bourgeois, car son teint buriné disparaissait dans la pâleur de la mort et ses mains portaient un peu moins chaque jour les traces de son pénible travail aux champs.
Un grognement frustré s'échappa de sa gorge, obligé qu'il était de laisser son repas pour répondre.
— Comme un noble.
— C'est l'idée.
— Alors c'est bien.
Le prince roula des yeux.
— Tu pourrais travailler tes compliments. Me dire que la couleur va bien avec mes yeux ou avec mes cheveux, que je suis irrésistible, quelque chose du genre...
— Je ressemble à une femme ?
Dmitri se classait dans la catégorie des serviteurs impertinents, mais Aleksandr n'en avait jamais eu auparavant pour comparer et il s'en moquait. Son protégé lui obéissait quand il exigeait quelque chose et les remarques qu'il pouvait se permettre ajoutaient du piquant à leur relation. Après tout, le prince ne voulait pas un esclave, il cherchait surtout une compagnie. Rehaussant le col de son justaucorps, il en profita pour ajuster les manches évasées sur lesquelles étaient brodées des fils d'argent. Aux pieds, il avait opté pour des bottes noires à jabot qui se fondaient presque avec ses chausses de la même couleur. Dessous son justaucorps, sa chemise blanche lui interdisait de manger salement. Ses progrès en la matière lui permettaient d'oser cette expérience vestimentaire, à ses risques et périls.
— Tu devrais t'en trouver une, d'ailleurs, conseilla Dmitri.
— De ?
— Femme. En me promenant dans le château, j'en ai vu à couper le souffle !
— Puisqu'en tant qu'immortel, la respiration est devenue superflue, je pense que l'argument est caduc.
— Oh tu m'as compris !
L'agacement pointait dans sa voix, contribuant à accentuer le sourire d'Aleksandr. Tournant sur lui-même, il se jugea prêt et présentable et ce même s'il n'éprouvait aucune envie de se rendre à cette réception. Selon le Saigneur, il était pourtant grand temps qu'on le présente de manière officielle. Actuellement, même si certains l'avaient aperçu, Aleksandr n'avait pas échange un mot avec qui que ce soit, excepté Dmitri. Entre ses entrainements, il se cloitrait dans ses appartements. Si ses fantômes commençaient à devenir des souvenirs qu'il pouvait ignorer de plus en plus facilement, le prince de Valachya n'avait de toute façon jamais été un garçon sociable. En tant qu'humain, il vivait en marginal à cause de ses parents qui ne recevaient que des gens comme eux. Avec Mircae, il occupait la fonction de serviteur aussi se cantonnait-il au silence et à l'observation. Si son ego appréciait d'être qualifié de prince, il n'était pas aveuglé au point d'oublier qu'il restait ignorant dans beaucoup de domaines importants.
Trois coups frappés à sa porte lui indiquèrent que le moment était venu. Cherchant une dernière dose de courage dans son reflet, il appela Dmitri d'un signe de tête. Son laquais s'essuya le coin de la bouche du revers de la main, qu'il plaça ensuite dans son dos. Marchant derrière Aleksandr, tous deux descendirent les premiers escaliers mais seul le Prince pouvait entrer par la grande porte. Après tout, dans la hiérarchie vampire, la différence de statut était trop importante pour qu'on l'ignore ou même qu'on la tolère dans ce genre de cérémonie.
Les portes s'ouvrirent sur une grande salle aux murs de pierre foncée. Vaste, elle était parcourue par une série de colonnades créant un chemin jusqu'au trône, posé sur une estrade tout au fond. Du plafond pendaient des corps s'agitant faiblement. Des entailles sur leurs poignets ou leurs cuisses, en fonction de s'ils étaient ou non présentés la tête en bas, laissaient échapper des filets de sang remplissant les coupes des hôtes. Lorsque l'un des plats décédait, il était immédiatement remplacé par les serviteurs.
La salle dégageait une odeur ferreuse, à la fois écœurante et enivrante. Remplie par plus de deux cent vampires, elle offrait un tableau hétéroclite de la culture européenne en ce milieu du 18e siècle car il n'y avait évidemment pas que des slaves.Cela se voyait à leurs vêtements et s'entendait à leur accent.
Tout à son observation, Aleksandr mit plusieurs secondes à se rendre compte du silence ayant ponctué son arrivé. La foule se scinda en un couloir pour laisser passer le Saigneur qui, pour la première fois, ressemblait davantage à un monarque qu'à un chef de guerre. Sa tenue était semblable à celle d'Aleksandr, du moins dans les teintes et cela lui permis de remarquer que personne d'autre n'arborait de rouge pourpre. Quant à son front, il était coiffé d'une couronne en argent surmontée d'une pierre grenat. Se plaçant à côté d'Aleksandr, il posa sa main sur son épaule et parla d'une voix forte, qui porta jusqu'au fond de la pièce.
— A vous tous qui, cette nuit, êtes présents en ma demeure, contemplez le nouvel infant des Ténèbres.
Un murmure parcourut l'assemblée et des réactions diverses se lurent sur les visages, allant de la stupeur la plus totale au dégoût profond, passant par une curiosité plus ou moins malsaine. Si la rumeur avait couru, si on l'avait préalablement aperçu, les sceptiques continuaient à dominer l'opinion. Après tout, Vladimir et Mircae n'étaient-ils pas stériles ? Incapables de garder un infant vivant et ce depuis plusieurs siècles? Quel était ce ténébreux miracle qui les toisait depuis l'entrée?
Et dire que nous sommes deux, songea Aleksandr avec amertume. Il avait condamné sa sœur à la nuit, elle qui aimait tant le soleil. Il espérait que Mircae prenait soin d'elle, mais tâchait de les garder loin de son esprit. Les questions, soulevées par Vladimir lors de leur discussion sur le sujet, étaient trop perturbantes. Lâchement, il préférait les enterrer tous les deux, fuir, se complaire dans cette nouvelle existence. C'était bien plus facile.
Revenant au présent, il se rappela juste à temps que c'était à son tour de prononcer les paroles rituelles.
— Je suis Aleksandr, prince de Valachya, infant des Ténèbres ayant reçu l'étreinte de Mircae, frère du Saigneur. Je me tiens devant vous dans la non-vie, arborant fièrement la pureté de mon sang et de ma lignée, jurant fidélité au Saigneur, mon oncle. Je suis Aleksandr, prince de Valachya, et vous me devez obéissance absolue, car seul un commandement du Saigneur vaut plus que le mien. A genoux, maintenant.
La cérémonie semblait réglée comme une horloge. Malgré quelques regards mauvais, tous obéirent immédiatement et le prince en conçut une ivresse délicieuse. L'adrénaline se répandit dans ses veines, ses canines pointèrent entre ses lèvres et son sexe, dur, lui donnait envie de tenir compte de la suggestion de Dmitri. Il n'avait jamais couché avec une femme, son seul partenaire sexuel ayant été son Sire, mais pour la première fois, il l'envisageait sérieusement. Laissant son regard couler sur les cous gracieusement offerts en signe de soumission, il repéra une vampire aux cheveux aussi noirs qu'une nuit sans lune. Il chercha à contempler son visage mais elle restait obstinément en position, comme tous les autres, attendant qu'on les autorise à se redresser.
— Levez-vous, ordonna Vladimir. Cette nuit, nous allons célébrer notre prince comme le veut la tradition.
Clignant des paupières, les sourcils légèrement froncés, Aleksandr se désintéressa de l'inconnue. Personne ne lui avait évoqué la tradition en question.
Et il comprit, lorsque le Saigneur se tourna vers lui, un sourire satisfait dessiné sur ses lèvres, qu'on avait voulu lui laisser la surprise.
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