5. Ulfr Berserkir


Aleksandr ne supportait plus d'être enfermé dans cette pièce qu'il avait trop de fois détruite. Il évoluait au milieu des éclats de bois et des tissus déchirés, qui redevenaient comme neufs après chaque longue journée de sommeil. Même le mobilier le narguait...

Le jeune vampire avait ouvert en grand les deux fenêtres et s'était installé sur le balcon. Non pas dans l'idée de sauter, un essai infructueux lui avait appris que c'était récolter beaucoup de souffrances pour très peu de résultats. Non, il désirait se sentir entouré par la neige qui lui rappelait sa Russie natale et, ironiquement, le teint de sa petite Natasia. L'enfant adorait jouer dans la poudreuse. Aleksandr, quant à lui, se contentait de dessiner des motifs du bout de l'index tandis que son dîner gisait sur son lit, toujours en vie. Ses progrès se montraient rapides depuis qu'il avait cessé de lutter contre sa nature, mais ça n'avait pas été simple. Certes, il avait désiré cette transformation mais vivre à Valachya n'était pas dans ses projets d'avenir en tant qu'immortel. Naïvement, il avait espéré rester aux côtés de Mircae pour toujours mais cette possibilité lui était désormais refusée. C'était de sa faute, il ne se faisait pas assez confiance pour être avec elle et il ne la blesserait plus, il se l'était juré.

Sa douleur constituait son expiation et ce même s'il avait lâchement tenté d'y mettre fin. Heureusement pour lui, le cœur n'y était pas vraiment et ses tentatives ressemblaient davantage à des expériences ratées.

Au loin, le hurlement d'un loup interrompit le fil de ses pensées. Rien d'inhabituel dans cet endroit. A vrai dire, il les distinguait depuis son arrivée mais n'avait jamais aperçu un seul de ces animaux, ce qui l'intriguait beaucoup. Il savait à quoi ils ressemblaient pour les avoir vu dessinés dans des livres mais ça n'allait pas plus loin et l'heure était peut-être venue d'en apprendre davantage. Se redressant, il inspira profondément l'air glacé puis pesta, se souvenant de ce que Vladimir lui avait encore répété la veille : cesse de te comporter comme un humain. Expirant l'air et bloquant sa respiration pour ne pas réitérer son erreur, il grimpa sur la rambarde mais plutôt que de simplement sauter, il se servit de sa vitesse surnaturelle pour descendre. Encore peu habitué, il termina sa course dans une superbe roulade, tête la première dans la neige qui lui rentra dans le nez et dans la bouche, déclenchant une toux qui avait tout d'un réflexe conditionné. Chassant la poudreuse qui collait à sa peau, il pouvait se réjouir que personne ne soit là pour le voir. L'agitation régnait au château cette nuit-là à cause de nouveaux arrivants dont le jeune vampire avait vaguement senti l'odeur. Tous étaient concentrés à l'intérieur, alors il pouvait se promener dans les bois, voir si le loup y était. Et s'il se montrait trop agressif, rien ne l'empêchait d'inverser les rôles de la comptine et de le manger.

Les hêtres et les chênes poussaient au milieu des sapins, mélangeant une odeur doucereuse à celle, beaucoup plus forte, des résineux. Fronçant le nez, Aleksandr éternua. S'il s'était rapidement habitué aux fragrances du château, celles-ci étaient toutes autres et son odorat sensible allait être mis à rude épreuve. Plus curieux que gêné, le vampire continua sa randonnée et mit plusieurs minutes à comprendre que quelque chose clochait. Son sentiment de malaise s'intensifia, jusqu'à ce que la lumière se fasse dans son esprit.

Il n'entendait pas d'animaux.
Aucun piaillement d'oiseau, de frémissement d'insectes, aucun souffle de vie. Rien si ce n'était le chant du vent dans les arbres...
Et le craquement d'une brindille dans son dos.

Aleksandr se retourna juste à temps pour voir une fourrure sombre lui sauter dessus. Se laissant tomber, il parvint à esquiver les pattes aux griffes mortelles. S'éloignant d'un bond en arrière, il toisa la créature qui se ramassa sur elle-même, ses babines dégoulinantes de bave. Comme il n'avait jamais vu de loup auparavant, le vampire ne pouvait affirmer avec certitude qu'il semblait beaucoup trop gros pour être un animal standard. Mesurant un bon mètre vingt au garrot, son pelage était noir parsemé de gris argenté. Ses yeux à la pupille jaune le toisaient avec une malveillance qui témoignait d'une conscience bien présente. Aussi, il comprit rapidement à quoi il avait affaire.

— Je suis sur ton territoire, c'est ça ? demanda Aleksandr avec prudence, détachant les syllabes pour s'assurer d'être compris. Il n'était pas certain du pourcentage d'humanité qu'il restait à son agresseur sous cette forme. Désolé, j'ai dû trop m'éloigner... Je viens d'arriver en Valachya, je n'étais pas-

Le loup-garou s'en moquait. Il se jeta à nouveau sur Aleksandr et cette fois, il parvint à plaquer le vampire dans la neige. Se protégeant le visage avec son bras, il subit la morsure tandis que son radius se brisait douloureusement. Poussant un hurlement, il se débattit et parvint à gratifier la créature d'un coup de genoux qui, grâce à sa force de vampire, lui cassa une côte. Profitant de son avantage temporaire, Aleksandr le repoussa et se redressa, tenant contre lui son membre sanguinolent et mâchouillé auquel il manquait un morceau.

Stimulé par l'afflux d'adrénaline, son regard se mit à briller d'un vert émeraude profond et, sifflant dangereusement en montrant ses canines, il attaqua à son tour. Les deux corps roulèrent dans la neige, la chaleur dégagée par le loup la faisant fondre tandis qu'elle s'accrochait à la peau glacée du vampire. Aleksandr mordit son adversaire à la gorge, tandis que la mâchoire bestiale se ferma sur son épaule. Goûtant son sang, il eut l'impression de boire de l'alcool plutôt fort. Le goût était sucré et puissant, il aurait aimé s'arrêter sur cette sensation mais d'un coup de tête, le loup le repoussa puis assura sa prise sur l'épaule du sa victime. Les mains du prince tentèrent de s'en débarrasser mais l'os émit un craquement sinistre. C'était affreux et enivrant à la fois. Jamais il n'aurait cru que se battre lui procurerait de telles sensations. Quelle extase ç'aurait pu être, avec un meilleur entrainement. Proche de la vraie mort, l'adrénaline lui donnait l'impression de vivre comme jamais auparavant. Cela étant, il n'était définitivement pas assez puissant pour faire face à son adversaire, qui aurait tôt fait de lui déchiqueter la gorge une fois son amusement terminé.

Un cri de guerre retentit dans son dos et la silhouette floue de Vladimir fondit sur son agresseur. Le loup effectua un vol plané, s'écrasant sur les branches d'un sapin. Secouant la tête, il grogna un avertissement vers le Saigneur, ses dents couvertes du sang d'Aleksandr.

— Nous règlerons ça, Hansel, prévint le souverain d'un ton dur et menaçant.

L'animal hésita une fraction de seconde, fixant ses pupilles dans celles du Saigneur. Puis il émit un jappement qui avait tout de la moquerie et lui tourna le dos, s'enfonçant dans la forêt. Vladimir s'agenouilla à côté du prince et constata avec horreur qu'il avait mordu le loup-garou, comme le témoignait l'hémoglobine salissant ses lèvres.

— Oh ça c'est très, très mauvais...
— Pas tant que ça. C'est sucré, on dirait un genre d'alcool, répondit Aleksandr en gémissant.

Il essaya de se redresser mais la douleur l'en empêcha, le condamnant à salir la neige avec son hémorragie. Le tableau semblait déplacé, outrancier, et le visage de Vladimir n'annonçait rien de bon. Il ne semblait pas en colère, non, plutôt inquiet.

— Comment ça, sucré ?
— Sucré et fort, oui. Pourquoi ma blessure ne guérit pas ?
— Elle le fera mais tu vas devoir boire, tout ton repas est étalé sous toi, quel gâchis.

Vladimir l'attrapa sous les aisselles et le remit sur ses pieds, le soutenant du côté de son épaule intacte pour l'empêcher de glisser. Sorti en chemise, cette dernière n'était plus que lambeaux. Ils arrivèrent rapidement au château, le Saigneur utilisant sa vitesse surnaturelle pour ne pas perdre une seconde. Allongeant Aleksandr dans son lit, il constata que son dîner était encore sagement assise sur une chaise et lui ouvrit le poignet à l'aide de son épée pour verser le contenu de son sang entre les lèvres de son protégé. Le vampire n'eut pas besoin de tourner la tête pour savoir que cela fonctionnait. Sa chair se refermait, provoquant une série de picotements désagréables.

— Je ne savais pas que vous aviez des loups-garous, je pensais que c'était un royaume vampire...
— Valachya est plus un sanctuaire pour les êtres surnaturels, dont je suis le chef suprême. J'offre ma protection à ceux qui le veulent, en échange de leur fidélité. Nous avons de bons rapports avec les garous de manière générale, excepté une famille en particulier... Les Originels. Les premiers de leur espèce ou plutôt, les descendants directs des Premiers.
— Un peu... Comme vous ?
— C'est ça. Mircae et moi avons été transformés par les Ténèbres, nous sommes l'équivalent d'Hansel pour les siens et toi, tu es la seconde génération, un sang presque pur, il n'y en a plus vraiment.
— Vous ne transformez plus, c'est ça ?
— Non, nous sommes plus ou moins devenus stériles si on peut dire. Nos infants directs ne se réveillaient plus...

Interdit, Aleksandr observa Vladimir pour chercher toute trace de mensonge sur ses traits, qui en étaient évidemment dépourvus. Voyant son trouble, le Saigneur préféra changer de sujet, peu désireux de s'étendre sur les expériences de son frère.

— Bref, nous sommes en guerre ouverte avec le clan des premiers. Celui qui t'a attaqué s'appelle Hansel, c'est l'Ulfr Berserkir, l'équivalent de mon propre titre.
— J'ai pénétré son territoire ?
— Ce n'est pas son territoire, rétorqua-t-il, agressif. Il n'avait rien à faire là, il n'est plus le bienvenue sur mes terres, c'est un rebelle.
— Éliminons-le.
— Tu t'en crois capable ? railla-t-il. Il t'aurait dévoré sans mon intervention.
— Je me suis senti... Vivant, quand je me battais.
— Ce n'est pas se battre, ce que tu as fait.
— Alors apprenez-moi ! Forgez-moi ! Je n'en peux plus d'être enfermé. Vous m'avez qualifié de Prince, alors faites en sorte que je devienne un vrai prince de Valachya, avant de sombrer dans la folie.

Le Saigneur sourit, dévoilant ses canines.

— J'attendais ça depuis des semaines. On se revoit au crépuscule, petit prince.






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