4. Saigneur de Valachya


Le vampire sentit au plus profond de lui-même que le soleil se couchait, ses rayons mortels disparaissant à l'horizon afin de lui restituer ce souffle qui animait son corps mort. Il papillonna des paupières, se retrouvant dans une chambre dont l'odeur ne lui disait rien. Son dernier moment de conscience remontait à... Quand, déjà ? Il avait regardé pendant des heures l'endroit où s'était tenu son Sire pour la dernière fois, il avait perdu la notion du temps et il se réveillait dans un lit, non pas dans un cercueil. Son premier réflexe fut de chercher les fenêtres, ce qui était ridicule. Sa seule conscience prouvait que le soleil ne risquait pas de le tuer, mais il n'était pas immortel depuis très longtemps. Avant cela, il était un serviteur humain.
Mircae.
Un étau lui comprima la poitrine et l'image de sa sœur agonisante lui percuta la rétine. Recroquevillé sur lui-même, il bougea dans les draps satinés et heurta quelque chose. Ses canines s'étirèrent hors de sa bouche tandis que l'odeur alléchante venait enfin lui chatouiller les sinus, occultant petit à petit ses vicieux démons.

— Messire, puis-je vous nourrir ? demanda-t-elle d'une voix claire et calme.

Aucune odeur de peur n'émanait d'elle, rien si ce n'est l'hémoglobine qui chantait dans ses veines et l'appelait, lui susurrait de venir la chercher. Cédant à ses instincts pour éviter de trop penser, il se jeta sur elle en une fraction de seconde et pénétra sa chair de ses crocs, perforant la veine de son cou. Le sang coula à flot, un nectar superbe, sucré...
Et l'image de Natasia égorgée se superpose.
Il gémit, mais le monstre était affamé et Aleksandr impuissant. La dualité le rendait fou. D'un côté, cet animal qui réclamait sa dose quotidienne de nourriture vitale et de l'autre, sa raison, sa conscience, obsédée par ce qu'il avait fait quelques nuits plus tôt... Combien, exactement ? Il n'en avait aucune idée.

— Doucement, tu vas la tuer.

Une main l'agrippa par la nuque, comme s'il était un vilain chien, et l'attira loin de la donneuse consentante. Elle gémissait, il l'entendit soudain comme si tous les sons avaient été jusqu'ici occultés. Douleur ou plaisir? La question lui traversa vaguement l'esprit.
L'homme qui l'avait écarté lécha la blessure de son cou, qui se referma immédiatement, puis il claqua des doigts. Deux humains en livrée rouge entrèrent et emmenèrent la jeune fille. Sa gorge toujours en feu, Aleksandr voulut se jeter sur eux mais le vampire –car il en était un- l'en empêcha.

— Tu as bu assez pour l'instant, petit prince. Tu dois apprendre à dompter ta Soif, avant qu'elle ne prenne le contrôle sur toi.

Une fois que la porte fut refermée dans le dos des serviteurs, la prise sur sa nuque se relâcha et Aleksandr sauta de l'autre côté du lit, pour mettre de la distance entre lui et son hôte. La chambre était plongée dans la pénombre, de lourds rideaux en velours dissimulaient les fenêtres étroites. Quant au mobilier, il était relativement simpliste et Aleksandr comprit rapidement pour quelle raison lorsqu'une pulsion rageuse le poussa à enfoncer son poing dans la commode. Un craquement sinistre plus tard et elle était coupée en deux, tandis que des échardes s'enfonçaient dans sa chair. L'élancement douloureux lui permis d'avoir les idées un peu plus claires.

— Qui... Où...

Juste un peu.

— Je suis le frère de Mircae, Saigneur de Valachya. Tu peux m'appeler Vladimir, après tout nous sommes de la même famille désormais. Je vais prendre soin de toi.

Tout ce que retint le vampire était que le frère de son Sire lui faisait face. Détaillant l'homme, il eut du mal à trouver des ressemblances. Ils partageaient les mêmes cheveux noirs mais Vladimir semblait plus rude, moins raffiné que Mircae alors même que ses vêtements étaient taillés sur mesure et dans un tissu de bonne qualité. Sa vision d'immortel lui permettait de déceler le moindre détail, le moindre défaut. Son hôte avait sur le nez une bosse et une série de cicatrices visibles qu'il devait probablement à une vie humaine mouvementée. Peut-être un guerrier. Mais le plus surprenant là-dedans restaient ses yeux, d'un bleu gris comme un ciel d'orage qui luisaient faiblement dans l'obscurité.

— Tu vas être désorienté pendant un moment. Ton humanité va se battre avec les désirs du vampire. Mon frère t'aurait dit de laisser les deux cohabiter, mais il a tort. Tu dois écraser ce qui est encore mortel en toi. Tu dois effacer les sentiments qui te hantent, devenir un être habité uniquement par le désir.

A mesure qu'il parlait, Vladimir s'approchait. Le Saigneur semblait flotter à quelques centimètres du sol, comme si marcher était indigne de lui. Serrant sa main droite autour de la mâchoire d'Aleksandr, il le toisa comme le lui permettaient ses quelques centimètres supplémentaires.

— Je vais faire de toi un prince de Valachya, un grand vampire. Je vais effacer ta sœur et Mircae de ton esprit, je vais te libérer de ce qui te tourmente, mon beau petit prince. Mon instinct me dit que tu as le potentiel adéquat pour me satisfaire.

Il ôta sa main aussi brusquement qu'il l'avait placée là. Haletant, perdu, Aleksandr ne savait que dire ou que faire. D'un air hautain, Vladimir lui ordonna :

— Cesse de respirer. Les immortels n'en ont pas besoin. Oublie tout ce qui a fait de toi un humain. Tu ne respires plus, tu ne manges plus, tu ne bois que du sang et tu te moques des êtres inférieurs. Ils ne sont que des jouets, Aleksandr. Quand tu contrôleras ta Soif, je te montrerais.
— Comment ? articula-t-il avec difficulté, sa gorge toujours brûlante.
— Une question de volonté. C'est pour cela que j'ai arrêté ton repas, tu allais la tuer par accident et ce n'est pas acceptable. Si tu veux sa vie, prends la, mais fais le consciemment ou ne le fais pas. Le carnage est acceptable s'il est contrôlé. Tu y trouveras même une forme d'exutoire, ce sera ta thérapie.

Dans le brouillard de ses pensées, Aleksandr se demanda comment cet homme pouvait être le frère de son Sire et surtout, pourquoi Mircae, si différent, l'avait envoyé ici. Une punition, songea-t-il avec amertume. Ou un test ? Le vampire n'était pas certain de le réussir. Les mots de Vladimir résonnaient en lui comme un appel vicieux, tentateur, auquel il serait plus facile de céder que de combattre. Claquant à nouveau des doigts, le Saigneur de Valachya rappela ses serviteurs et une autre femme entra. Elle était blonde cette fois, en parfaite santé et ne portant qu'une simple robe en voile ne laissant pas grand-chose à l'imagination. Elle s'installa dans le seul fauteuil présent dans la pièce, après avoir humblement exécuté une révérence devant Vladimir et Aleksandr.

— Je reviens dans une heure. Si elle est encore en vie, je te la donnerais.

Le jeune prince déglutit péniblement, pendant que l'odeur du sang de sa visiteuse lui chatouillait les narines. Avant de partir, celui qui était désormais son oncle vampire utilisa une griffe à son index pour blesser la victime à l'épaule. Aleksandr gémit, se tenant la tête dans les mains, passant convulsivement sa langue sur ses lèvres. Elle n'avait pas peur, probablement maintenue sous hypnose et c'était tant mieux, parce qu'il n'était pas certain de se contrôler suffisamment si elle titillait ses instincts de prédateur avec ce genre d'émotions. Immobile, elle l'observait et lui faisait tout pour oublier son existence, se concentrant sur la décoration, détaillant un par un les meubles, les dessins dans le bois, les plis de ses couvertures, la couleur des objets, leur texture apparente. Il s'intéressa même au trajet d'une araignée sur le plafond. Mais l'envie était là, bien présente, de plus en plus forte alors que ses efforts restaient vains.
Une heure. Juste une heure. Tu viens de manger, tu peux le faire. Allez, s'encouragea-t-il tout en avançant vers elle.
Ce n'est rien, une heure. Elle peut vivre jusque-là. Je ne suis pas un animal.
Oh comme je la veux.

Ses genoux se dérobèrent sous lui lorsqu'il arriva à sa hauteur. Il enfouit son visage dans ses cuisses, humant son odeur tout en se frappant le crâne contre sa chair.
Juste une heure, juste une.
Il frotta sa joue contre sa peau si douce. Elle sentait comme un champ de blé, c'était apaisant. Oui, il se sentait mieux, il...
... venait de percer sa cuisse avec ses canines. Des larmes rosées roulaient sur ses joues, de bonheur, d'extase. Ce sang, c'était de cela dont il avait besoin pour se sentir mieux. De l'hémoglobine, toujours plus de liquide vital. S'il en buvait assez, il se noierait et son visage cesserait de le hanter.


Posté derrière la porte, Vladimir sut précisément à quel moment son protégé avait craqué. Poussant un soupir, il secoua la tête.

— Quel enfant brisé m'as-tu envoyé là, mon frère ? Et que veux-tu que j'en fasse ? Un monstre comme moi ? Tu trouveras encore le moyen de me le reprocher. J'espère que sa sœur en valait la peine.





Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top