Chapitre 4

La première chose que Benjamin découvre en ouvrant se réveillant sont les grands yeux verts de Milena qui le regardent avec tendresse. S'apercevant qu'il se trouve à moitié allongé sur le lit de sa bien-aimée, il se redresse maladroitement, encore tout engourdi après sa sieste involontaire. Quelque chose d'épais glisse le long de son dos et un petit frisson parcourt Benjamin. Il s'agit d'une couverture rose à pois mauves dont une gentille infirmière l'avait couvert, afin d'éviter qu'il ne prenne froid. Intrigué de ne pas avoir entendu quiconque entrer dans la chambre, Ben jette un coup d'oeil sur le réveil. Quelle ne fut pas sa surprise de constater que son combat avait duré plus de trois heures !

Néanmoins plus préoccupé par l'état de Milena après sa rencontre avec le serpent de fumée, il se retourne presque immédiatement vers elle afin de savoir comment elle se porte. Malgré une mine très fatiguée, elle ne semble pas avoir de quelconque lésion visible.

– Milena, comment te sens tu ? lui demande-t-il d'une voix douce tout en prenant sa main.

– Comme si j'avais fait un volathlon dans lequel je me serais cogné à tous les obstacle. Ou alors, comme si un troupeau de petits frères et soeurs m'avaient attaquée toute une journée...

– Si ce n'est que ça, un bon repos te fera le plus grand bien, répond Benjamin soulagé. Et te souviens-tu de quelque chose depuis ta rencontre avec le narval ?

– Même si je ne pouvais rien faire, j'ai pu suivre tout ce qui se passait autour de moi, tant dans l'endroit sombre où se trouvaient ces monstres nébuleux que dans cette pièce. C'était très particulier, comme si j'avais projeté hors de mon corps et que j'avais un oeil et une oreille dans chaque réalité. C'est un peu comme l'expérience qu'on avait dû faire, lorsqu'on devait mettre une feuille entre nos deux yeux et qu'il y a deux objets différents de chaque côté de cette séparation.

Benjamin se rappelle de cette fameuse expérience : c'était lors d'un cours de sciences, il y a plusieurs années quand ils étaient encore à l'école. C'était normalement une manipulation que chacun devait réaliser seul avant de répondre à un certain nombre de questions. Cependant, une alarme anti-tornade avait retenti et ils avaient dû aller se réfugier dans l'abris spécialement prévu à cet effet. Ne me regardez pas comme ça, je n'y suis pour rien ! J'essayais juste d'aider un elfe, une fois de plus, et ce n'est pas de ma faute si leur école se trouve au sommet d'une montagne à fort trafic aérien...

Donc suite à cette alerte, leur maître leur a demandé de finir l'exercice chez eux et nos deux tourtereaux s'étaient retrouvés chez Milena pour terminer ce travail plus rapidement. Ils avaient décidé de mettre une plaque de chocolat à droite de la feuille et un livre à gauche. Quand ils fermaient un oeil, ils ne voyaient qu'un seul objet alors que lorsqu'ils ouvraient leurs deux yeux, la plaque de chocolat et le livre pourtant séparés par la feuille de papier étaient tous deux visibles.

« Ben ? » La voix cristalline de Milena sort immédiatement Benjamin de son voyage temporel. Il plonge son regard émeraude dans celui ceruléen de son amie d'enfance.

– Si je ne t'ai pas attendu cette fois-ci, c'est à cause de la dernière phrase de l'oracle, que je ne t'ai pas révélée pour que tu ne m'empêches pas d'y aller. Elle disait : « Mais pour découvrir enfin la personne que tu cherches, tu devras te rendre seule à cet endroit ». Et je vais respecter ma promesse : j'arrête ma quête insensée. Je crois bien avoir compris qui...

Un brouhaha de plus en plus puissant venant du couloir interrompt Milena au milieu de sa phrase. Inquiet, Benjamin décide d'aller voir ce qu'il se passe. Le spectacle qui l'attend dans le couloir le surprend au plus haut point : des soigneurs courent dans tous les sens, passant d'une chambre à l'autre. Des cris de surprises, de joies et d'inquiétudes résonnent dans tout l'étage. Les secrétaires paraissent débordées, répondant chacunes à trois ou quatres appels en même temps. Quelques familles commencent à envahir les lieux tandis les vigiles tentent de maintenir un minimum d'ordre et de calme dans ce qui ressemble maintenant plus à un hall de gare qu'à un hôpital. Par chance, un aide-soigneur s'arrête trente petites secondes à côté de Benjamin pour reprendre son souffle et en profite pour lui expliquer la raison de toute cette agitation : tous les patients de l'étage se sont enfin réveillés.

Une calvacade retentit dans le fond du couloir : Ben découvre une jeune dame, d'une trentaine d'années, qui est poursuivie par une aide-soigneuse. « Madame, retournez dans votre lit. Nous devons vous faire des examens pour voir si tout va bien.... » La voix aiguë de l'ancienne endormie lui répond vivement. « Cela fait presque deux mois que je n'ai pas senti le vent sur mes ailes ! Je veux redécouvrir ce... »

Pour une raison inconnue, elle s'arrête net au milieu du couloir et laisse sa phrase en suspent. Sa course l'a menée juste devant Ben. Alors que des soigneurs la prennent par les bras pour la ramener de force jusqu'à sa chambre, elle reste ébahie quelques instants. Puis un immense sourire apparaît sur son visage tandis elle se met à crier : « C'est lui ! Laissez moi aller le voir ! Je dois lui parler... C'est lui que j'ai vu, je l'ai reconnu... C'est le Combattant de l'Espoir, le Vainqueur des Ténèbres... Il est ici !... »

Alors qu'elle prononce ces mots, toutes les chambres commencent à s'agiter et de nombreuses personnes tentent à leur tour de sortir pour voir celui grâce à qui elles sont sorties de l'univers d'horreur où elles étaient prisonnières. Alors, par précaution, on demande à Benjamin de retourner auprès de Milena, le temps que la frénésie des occupants des autres chambres se calme.

Le reste de l'après-midi passe à une vitesse folle. Tandis que Ben et Milena profitent d'être seuls pour parler de tout et de rien, l'ambiance du reste de l'étage est à la fête. Le flux de visiteurs continue de déverser de nouvelles personnes dans les couloirs. Afin de faciliter le travail du personnel hospitalier et leurs vas-et-viens, la voie des airs initialement réservée aux urgences leur a été ouverte. De temps à autres, on entends quelques radios parler de l'incroyable événement qui vient de se dérouler et s'interroger sur l'identité du héro tant cherché, râlant un peu de l'impossibilité d'aller recueillir quelques témoignages des réveillés dans les hôpitaux.

Même si l'heure des visites est passée depuis longtemps, nul n'a le cœur de demander à toutes ces familles retrouvées de quitter les lieux. Alors, ils autorisent exceptionnellement à une personne par famille de rester dormir sur place auprès de l'ancien endormi. Cependant, n'ayant pas assez de matelas ou de couverture, c'est aux visiteurs de se charger de ce côté matériel. Ainsi, petit à petit, le flux se tarit et les occupants des chambres se préparent pour la nuit. Benjamin, lui, décide de ne pas aller chercher quelque chose pour être confortablement installé pour la nuit, refusant de laisser Milena seule même quelques instants.

Il s'installe donc sur le fauteuil et remet sur ces épaules la couverture qui lui avait été prêtée lors de sa sieste improvisée. Une vive douleur parcourt son dos au moment où ses ailes touchent le dossier, probablement due à son violent combat contre le serpent nébuleux.

Le lendemain, alors que Milena dort encore, le jeune elfe part faire quelques achats afin d'avoir un copieux petit-déjeuner à partager, plus attrayant que celui proposé par l'hôpital. La journée vient tout juste de commencer mais il y a déjà quelques visiteurs. Dans le but de fluidifier la circulation dans les couloirs, les fenêtres des chambres des anciennes victimes des narvals ont été spécialement ouvertes comme entrées pour leurs proches. Si jusqu'à présent cette entrée était interdite, c'était pour respecter les mesures d'hygiène nécessaire dans tout hôpital.

Ben avait choisi de voyager par voie terrestre à cause de ses nombreuses courbatures, dues à son combat de la veille. Ainsi, les personnes qu'il croise sont majoritairement des elfes d'un certain âge, ayant du mal à voler ou ne le pouvant plus, ou des soigneurs commençant leur service du jour. Il revient aux côtés de Milena une vingtaine de minutes plus tard armé de deux volatines croustillantes, dont les deux barres de chocolat fondent au milieu de la pâte feuilletée dorée au four.

Lorsqu'il entre dans la chambre, il voit la jeune elfe plongée dans la lecture d'un magazine qui traînait sur sa table de nuit. Levant les yeux vers Benjamin, elle s'étonne de le voir revenir à pied alors que sa chambre est dorénavant accessible en vol. Benjamin lui explique donc que ce passage lui est pour l'instant impossible à cause de ses courbatures suite à son terrible combat.

Amusée, elle lui appelle une infirmière afin de se plaindre elle-même de certaines courbatures. Cette dernière part alors à la recherche d'une crème permettant d'apaiser cette douleur.

Une fois le remède réceptionné, Milena attends quelques instants que l'aide-soignante sorte avant se tourner vers un Benjamin ébahi par cette mascarade. Elle lui propose de d'étaler elle-même la crème sur la partie douloureuse de son aile, puisqu'il s'agit d'un endroit compliment à atteindre sans aide. Ben, encore sous le choc de ce qu'à fait Milena pour lui, ne prononce pas un mot mais se tourne avant de s'assoir sur le lit pour lui faciliter la tâche.

Cependant, au moment où Milena commence à appliquer la crème, Benjamin bondit à l'autre bout de la pièce. Son ami étant très dur à la douleur, Milena s'inquiète profondément pour lui, craignant un froissement de son aile. Elle lui propose même d'appeler un soigneur pour contrôler l'état de ses ailes. Mais Benjamin refuse, ne voulant pas leur rajouter une charge de travail supplémentaire. De plus, il lui explique qu'il va devoir partir bientôt, s'il veut arriver à l'heure dans son entreprise.

Alors Milena décide de prendre son mal en patience et d'attendre qu'il revienne dormir à ses côtés en fin de journée afin d'essayer de le convaincre à nouveau.

Malheureusement, lorsqu'il revient après sa journée habituelle de travail, il refuse encore la demain de sa chère amie. Alors, elle décide de faire ce qu'elle peut pour essayer de le soigner, même si elle doit aller à l'encontre de sa volonté.

Le lendemain, après le départ de Benjamin, elle explique le problème à une jeune soigneuse afin de lui demander son aide. Elle lui propose de mettre un sommifère dans son repas afin de pouvoir l'examiner sans son consentement. Et Milena propose même de signer une décharge, où elle prend l'entière responsabilité de tout cela.

Lorsque Benjamin rejoint l'elfe hospitalisée, tout se passe selon le plan qu'elle avait soigneusement mis en place l'après-midi. Il s'endort comme une souche à la fin de son repas, peu de temps avant que la complice de Milena entre dans la pièce avec une civière volante. Elle y installe Benjamin et l'emmène dans la salle reversée aux radios ; elle se situe au rez-de-chaussée, où toutes les couleurs des différentes ailes des l'hôpital sont visibles. L'aile dans laquelle un patient doit être envoyé est décidée à cet étage, d'où la présence sur les murs de toutes les couleurs utilisées dans l'hôpital.

Après plusieurs examens, le pronostic tombe sans appel : son aile droite n'est pas froissée, mais brisée. Malheureusement, les connaissances des soigneurs ne sont pas encore suffisante pour permettre de réparer une aile cassée. Il existe deux alternatives dans cette situation. La première consiste à immobiliser l'aile blessée à vie afin qu'elle ne soit pas douloureuse lors des différents mouvements de l'elfe ; l'elfe est alors obligé d'utiliser uniquement ses jambes pour se déplacer. C'est la proposition la moins douloureuse et la plus simple à mettre en place. La deuxième alternative, plus souvent choisie, est de couper l'aile blessée au niveau de son point d'accroche au niveau des homoplates. Puis, l'elfe doit enfiler une prothèse faisant office d'aile.

Cette machine mécanique est composée de deux ailes de métal dont l'une contiendra l'aile non blessée ; c'est pourquoi la forme de ces ailes artificielles a été choisie en fonction de celles du blessé, afin de convenir parfaitement au patient. Afin de permettre le mouvement de cette prothèse, l'aile valide doit être glissée dans la structure métallique. Un mécanisme ingénieux permet de reproduire en miroir les mouvements de l'aile sur celle de remplacement. Ainsi, le patient peut à nouveau voler malgré son unique aile. Cependant, il ne lui est plus possible d'utiliser ses ailes pour réaliser deux mouvements différents en même temps.

Bien que cette solution soit la plus intéressante, elle est très fatiguante pour son utilisateur puisque son unique aile doit réaliser le travail habituellement accompli par les deux. De plus, il peut y avoir un certain inconfort au début et des douleurs dues aux frottements de l'aile contre les parois de la structure métallique.

Consciente que le choix doit revenir à Benjamin, la soigneuse décide d'immobiliser son aile avant de le ramener jusqu'à la chambre de Milena. Elle lui explique tout et lui donne pour mission de lui exposer sa situation le lendemain, ce qu'elle ne manque pas de faire dès qu'il ouvre les yeux.

Atterré par cette nouvelle, Benjamin part travailler mécaniquement, sans réfléchir à ce qu'il fait. On lui reproche plusieurs fois son air absent pendant la journée et rien ne semble vouloir le ramener sur terre, ni les tasses de cafés qu'il enchaîne, ni mes courants d'air frais, ni les discours de ses collègues.

Le soir, il fait part de sa décision à sa chère moitié : il préfère continuer à voler, même si les sensations de vols seront un peu différentes. Alors, tout se met en place pour s'occuper convenablement et rapidement de ce héro national. Tous veulent le remercier d'avoir mis fin à la malédiction des narvals, d'autant plus que la plupart des hôpitaux commençaient à venir à bout de leur capacité d'accueil.

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