J'espère sincèrement que tu ne seras pas trop éperdu quand tu découvriras la vérité. Plus elle arrivera rapidement, moins longtemps tu pataugeras dans l'espoir. Après avoir fait plusieurs hôpitaux, l'elfe désemparé finit par trouver un établissement où il restait suffisamment de magie à un guérisseur pour examiner Milena. L'auscultation n'a commencé que depuis quelques minutes ; cela semble néanmoins durer une éternité à Benjamin (puisque toute notion du temps m'est totalement inconnue), ajoutant ainsi une dose de stress supplémentaire à celle qu'il emmagasine depuis la funeste prédiction de Lau RatCle.

Afin de ne pas gêner le travail du guérisseur, l'amoureux empli de peur attend dans une petite salle ovale accolée à la salle d'examen. Malgré les nombreuses revues proposées, Ben n'a pas du tout le coeur à se plonger dans l'une d'entre elles. Il se concentre plutôt sur les bruits qui pourraient sortir de la pièce d'à côté. Malheureusement, les murs sont équipés d'un isolant très puissant et aucun son n'est audible. Cependant, il perçoit les va-et-vient du personnel hospitalier ainsi que les lointaines remontrances d'une mère à son fils, lui demandant d'arrêter de voleter dans tous les sens et de se tenir correctement. Un petit sourire nostalgique naquit sur son visage, cette scène lui rappelant de nombreux souvenirs en compagnie de sa chère Milena.

Une fois tous les examens effectués, le soigneur fait entrer le jeune elfe afin de lui communiquer le résultat des analyses et les dispositions à prendre. Bon, je vous passe le dialogue et les explications scientifiques entre Benjamin et le guérisseur, et on passe directement à la sui... QUOI ? Comment ça, je vous empêche de profiter de l'histoire ??? Ainsi, vous voudriez connaître leur discussion... Ne savez-vous pas que c'est mal poli d'écouter à la porte ? Eh bien, puisque vous insistez, vous allez pouvoir suivre leur conversation (mais ne venez pas vous plaindre après que c'est incompréhensible, j'aurais essayé de vous prévenir) :

– "Pour faire simple, ses sinus sont bouchés, l'épiderme se situant au niveau de l'impact s'est invaginé, rigidifiant ainsi l'embouchure de la notochorde. De plus, le scincyciothrophoblaste et les synapses sont complètement entrelacés alors que les récepteurs canaux devraient normalement les tenir à distance l'un de l'autre. Ensuite, l'allantoïde empêche le développement de la membrane cloacale. La caspase 8 ne peut donc plus fonctionner, rendant l'annexine V totalement inutile ...

Maintenant que vous en avez eu un petit aperçu, accepteriez-vous que j'accélère ? Je vous avais pourtant averti que ce serait intéressant et barbare, non ? Le personnel soignant tient toujours le même discours à chaque nouvelle annonce, à croire qu'ils apprennent le texte par coeur ! Mais je ne dis pas que je ne comprends pas... Après tout, c'est aussi dur pour la famille que pour le guérisseur, puisque ce dernier subit souvent la colère des proches de la victime qui se superpose à sa frustration de soigneur que cette maladie incurable engendre en lui. Alors, si ce petit texte leur permet de passer outre cette pression temporairement, ça ne me dérange pas. Venez, je vous emmène à la fin des explications scientifiques :

– ... Tous ces éléments empêchent le liquide céphalo-rachidien de s'écouler normalement entre l'occiput et la queue de cheval des neurones, ce qui ralentit énormément les fonctions vitales. C'est à cause de cela que votre amie est actuellement endormie. Benjamin, ces différents points mènent à un diagnostic sans appel : c'est effectivement un narval qui est à l'origine de son état. Comme vous le savez, il n'y a malheureusement rien à faire et aucun traitement n'est connu à ce jour. Nos chercheurs travaillent tous les jours d'arrache-pied pour parvenir à une solution. Je suis désolé pour vous... Je vous présente mes condoléances...

– Elle n'est pas encore morte ! J'ai toute confiance en vos chercheurs pour arriver à trouver un remède. Merci infiniment d'avoir fait tout votre possible. J'aimerais rester quelques minutes avec elle, si c'est faisable.

– L'espoir fait vivre, comme on dit... Les chambres des patients ont été aménagées de telle sorte que leurs occupants puissent recevoir de la visite. Après tout, on ne sait rien de ce qu'ils perçoivent du monde qui les entourent ; certains pensent qu'ils sont au seuil de la mort et sont complètement déconnectés tandis que d'autres supposent qu'ils peuvent ressentir tout ou partie de leur environnement. Je vous mène tout de suite dans à sa chambre, qui se situe à l'étage réservé aux victimes des narvals. Elle y sera installée d'ici une dizaine de minutes. Vous pourrez revenir aussi souvent que vous le souhaiterez."

Perdu dans ses pensées, l'elfe écoute d'une oreille distraite les informations données par le soigneur tandis qu'ils se dirigent vers la future demeure de Milena. Même s'il sait qu'il devrait prêter attention à ces données, l'esprit de Ben préfère se perdre dans de très anciens souvenirs. Il se revoyait venir ici, pour accompagner sa chère amie qui venait rendre visite à sa mère. Elle s'était faite opérer des ailes, à cause d'une sévère déformation due à un accident de travail. Elle était restée près d'un an dans le service des opérations très complexes, également appelé l'aile irisée.

En effet, dans cet hôpital, tous les couloirs se ressemblent, mais chaque service possède une couleur spécifique. Ainsi, la couleur principale de celui vers lequel se dirige Ben est le vert. Savez-vous pourquoi ? Les fondateurs de cette aile voulaient transmettre beaucoup de courage et d'espoir, tant aux malades qu'à leur famille, et le vert était la couleur qui remplissait le mieux cette tâche. Après quelques minutes de marches, les deux hommes finissent par arriver devant une porte blanche, que le mur émeraude fait ressortir. La seule chose qui la différencie de ses voisines est le numéro qui la surplombe, le soixante-quatorze.

Tandis que Ben s'installe dans la pièce afin d'attendre sa douce, le guérisseur s'éclipse en silence. Ben, mon petit, tu ne t'es pas encore totalement fait à l'idée que jamais plus ta moitié ne te répondra, n'est-ce pas ? De là où je suis, je ne peux malheureusement rien pour vous... On m'a fait bavard, mais uniquement pour répéter ce que je vois et entends. Tout ce que je peux faire, c'est porter quelques oiseaux devant la grande fenêtre de la pièce. Peut-être leur chant traversera vos ténèbres à tous les deux, pour venir vous réconforter un petit peu...

Portée par deux aide-soignants, Milena arrive à son tour dans son nouveau palais. Installée délicatement sur le lit sous l'oeil attentif de celui qui l'aime tant, elle semble dormir d'un sommeil paisible. Une fois leur mission terminée, les deux assistants s'éclipsent le plus discrètement possible, permettant à Ben de rester plongé dans sa contemplation.