Chapitre 8 (partie 2)

Cri d'effroi. Je sens la terreur m'envahir aussitôt. Évidemment qu'ils me connaissent... Mon portrait n'est-il pas affiché partout ? Ils me connaissent, ironie. Un visage et un nom, rien de plus.

- Pas de secret, hein ? Insiste-t-il.

Le ton se veut blessant. Je suis toujours dans cette position désagréable, plaqué contre un homme à l'odeur fétide, aux mains moites enserrant mes poignets blancs. Et le temps semble s'être arrêté, dans un regard de défi que j'échange avec mon interlocuteur. Je m'énerve :

- Qui je suis, c'est un secret ?

C'est un mystère, peut-être. Mais jamais un secret.

- T'es l'empereur ? Demande l'un des hommes en écarquillant grand ses yeux.

- J'ai l'air d'un empereur ?

- Non, mais...

- Je m'appelle Alexis, c'est tout.

Surpris, on desserre la pression et je peux me dégager pour aller récupérer un tabouret. Je masse pensivement mes poignets en réfléchissant à ce que je peux dire.

- Il n'y a plus d'empereur et je ne suis pas l'empereur. On dit que je lui ressemble. On veut me pendre. Mais j'ai toujours dit la vérité. On ne me croit pas quand je dis que je ne connais pas le Tsar. Je lui ressemble, c'est vrai. Mais est-ce que je le connais ? Je fuis vers un lieu où on ne le connait pas.

- Tu mens, ricane l'un des hommes présent dans la caverne.

- Je ne le connais pas, répété-je doucement.

Mes mots réussissent à ébranler solidement les plus durs des bandits. Malgré tout, je ne suis pas sûr d'avoir réussi à les faire flancher.

- Ça ne change rien, crache l'un d'eux. Il lui ressemble beaucoup trop pour que les soldats ne se méprennent pas également. Nous le vendons, nous empochons l'argent et nous sommes riches.

- Non, réplique leur chef songeur tout en m'observant avec une curiosité dérangeante. Non, pas ça. Sortez tous un instant. Je veux lui parler.

La maison troglodyte se fait soudainement plus calme. Je jette un coup d'œil par la fenêtre par où l'on continue de m'observer avec intérêt. L'homme s'assit face à moi et m'observe sans rien dire pendant un moment. Je tente de dissimuler mon stress en rêvant. Il sourit :

- Tu as menti, n'est-ce pas ? C'était infime, mais tu étais crispé en proférant ce mensonge. Tu avais une voix trop assuré, un regard fixé sur moi, comme pour observer ma propre réaction. Tu as menti.

- Ce n'est pas une question, que voulez-vous que je réponde ?

- Ce n'est pas grave, Alexis. N'ai pas peur. Les sourcils crispés, le regard en alerte, inquiet, triste, jeune. Tu ne pourras jamais lutter seul contre le monde.

- Je ne lutte pas contre le monde.

- Mais moi, je vais te raconter une histoire.

- Il était une fois...

- Un pauvre, pauvre mendiant qui tomba amoureux d'une pauvre, pauvre mendiante. Ils eurent un fils et moururent.

Glaçant.

- Une pauvre, pauvre mégère recueillit le pauvre, pauvre avorton. Qui grandit. Et comme les temps sont durs, que les impôts pèsent lourdement sur les épaules, que la famine guette à chaque printemps, la pauvre, pauvre mégère abandonna l'enfant. À dix ans, il se retrouva seul dans la rue. Ce qu'il devint ensuite, nul ne le sait. Mais comme rien n'était plus normal que de jouer de la vie des pauvres, pauvres enfants, on le retrouve plus tard à la tête du plus terrible marché d'enfants. Et tous les pauvres, pauvres bandits que tu retrouves ici ne sont rien de plus que les pauvres, pauvres enfants arrachés à leurs parents, à leur avenir. Sans identité. Nous tentons de survivre, mais nous ne sommes personne.

- Marché d'enfants ?

- Nous n'étions rien, enfants. Nous ne représentions que de l'espoir. Maintenant, nous ne sommes plus des espoirs. Nous ne sommes rien. Parce qu'il a cédé à la tentation de l'argent que lui proposaient les concurrents de nos parents.

Toujours ce même frisson d'effroi.

- Nous n'avons pas eu de pauvres, pauvres mégères, pour nous aider à sortir de l'enfer. Nous n'avons pas eu l'audace de voler à notre tour les identités d'autres pauvres, pauvres avortons. Mais nous avons dû survivre, illégalement. On ne fuit pas la police. On ne veut pas non plus qu'on nous retrouve. Nous aimerions avoir de l'espoir.

- Quel espoir ?

- L'espoir d'un homme prodige qui mettrait fin à la corruption de l'État. De l'État qui ferme les yeux.

- Mais, aujourd'hui...

- Aujourd'hui, le pauvre, pauvre avorton, qui se disait victime de la pauvreté en créant des victimes sans identité, est assis sur ton trône.

Quoi ? Je me lève d'un bond, serre entre mes doigts un pan de dague et me crispe tout entier.

- Qui ?

- Piotr... Piotr Riminiv.

Rimini. Petite souris voleuse...

- Toi, tu n'es rien. Tu as tout à reconstruire. Toi, tu ne sais plus qui tu es. Je ne sais même pas si tu as déjà su qui tu étais, car tu sors à peine de ton amour-propre aveuglant.

- Vous voulez quoi ?

- Toi, tu peux prétendre au trône. Tu es jeune. La vie ne t'a rien fait encore.

- Non, rien, répété-je ironiquement.

- On ne te connait pas : on n'a aucune image figée de ta personne.

- Sinon celle d'un enfant pourri gâté élevé au milieu des diamants et des habits de soie.

- Non. Nous t'aidons à passer la frontière. Laisse le temps passer et profite de la vie, la vraie vie. Puis reviens. Nous serons là, nous t'aiderons à reprendre ton trône.

- Pourquoi ?

- Moi aussi je rêve de changer le monde et d'en créer un meilleur. Tu n'es pas le tyran qu'ils décrivent là-haut. Qui es-tu ? Je n'en sais rien. Mais le jour viendra où tu pourras t'assoir à nouveau sur ton trône en te souvenant des pauvres, pauvres malheureux qui ont croisé un soir ton chemin. Moi aussi je rêve de trouver ce grand homme qui créera un monde meilleur.

- Moi ?

Je suis le tsar méprisé, déchu et en fuite. Je suis l'être ignoble qui n'a toujours vécu que dans l'adoration de lui-même... Qui est le fou qui se moque de moi en me parlant ainsi ?

- Moi aussi, j'avais tout pour être heureux dans une famille aimante. Moi aussi, Riminiv m'a arraché à ce bonheur. Tu as dix-huit ans, Alex. Il est peut-être temps de comprendre que tu n'es pas seul.

Les rejetés, les misérables, les bandits des grands chemins. Les pauvres, les méprisés, les fugitifs et les malheureux. Les enfants trop heureux qu'un désastre a frappés... Qui est la foule dans cette grotte qui gémit vers moi ? Pourquoi dois-je répondre à leur appel ?

- Ce n'est pas dans le tsar que nous croyons, Alex. C'est dans l'enfant qui a tout à apprendre.

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