Chapitre 5 (partie 1)

- Le chaos, c'est-ce que tu veux ? Le pays éclate en quelques secondes, si tu fais ça.

- Tu l'as entendu, Arthur. Si je ne fais rien, le pays éclate. Si je l'emprisonne, le pays éclate. Si je le tue... Je pense encore pouvoir frapper les esprits.

- Parles-en à ton père. Il saura quoi faire.

Je me suis assis à la table de mon bureau, couvert de papiers de toute sorte. Je n'aime pas cette position, mais elle accroît ma légitimité aux yeux des misérables conseillers et vautours qui me tournent autour. Je joue machinalement avec la petite clé que j'ai récupérée par réflexe en quittant le bureau de mon père ce matin. L'heure tourne, 20 heure approche. Je n'irai pas au rendez-vous qu'il m'a fixé. Mais je compte bien prendre mes responsabilités pour faire tenir l'empire encore un peu.

- Qui est-ce ? Finis-je par demander.

Arthur hausse les épaules, mais son regard brille méchamment. Je vois qu'il me cache quelque chose et cela n'augure rien de bon. Je marmonne pour moi-même.

- Une sorte de magicien, n'est-ce pas ? Mais il est apprécié.

- Un représentant du peuple, intervient un jeune homme qui dit s'appeler Paul. En tant que représentant, l'attaquer, c'est attaquer le peuple.

Je ne comprends pas :

- D'où lui vient ce statut ? Ce n'est qu'un comédien. Je l'ai vu jouer dans la cour. Un saltimbanque de la pire espèce qui n'hésite pas à voler ou tuer suivant ses intérêts...

- Vous jugez sans savoir, rétorque Arthur.

Je vois dans ses yeux le regard de celui qui craint le tyran. Il me juge à l'aune de mes absences, de mes violences, de mes paroles méprisantes. Des années qu'il ère à mes côtés, mais est-il un ami ? C'est comme si je ne le connaissais pas et je croise dans ses yeux d'espion une lueur passionnée. Il admire ce mystérieux comédien comme il hait son prince.

J'ai soudain le cœur lourd. Je vois l'ombre du voleur rôder au-dessus de l'empire, prête à s'emparer de tout ce qui pourrait le détruire. J'imagine l'anarchie disloquant peu à peu ce poids large et puissant que la couronne traine derrière elle. J'entends l'Espoir faire monter des rues son despotisme et la foule vouloir prendre en main sa misère. Et s'ils y arrivaient ? Si l'on m'écartait brusquement de l'équation, laissant la place ouverte aux espoirs les plus fous ? Il s'assoirait sur mon trône. Il traverserait mon palais. Il se mirerait dans les mêmes miroirs que moi. On acclamerait l'artiste sans voir le hors-la-loi.

- Je sais qu'il est dangereux, dis-je.

- Non.

- Qu'en savez-vous ?

- Et vous ?

- J'ai mes renseignements.

- Jamais vous ne sortez du palais. Jamais vous ne quittez votre rêverie. Vous ne l'aimez pas, voilà tout. Et vous prenez le chemin de votre père, celui d'un tyran.

- Je ne suis pas un tyran.

- Le peuple a besoin d'un bon roi.

- Je ne suis pas un tyran.

Je commence à comprendre. Le peuple veut me chasser quand je suis le seul à pouvoir le protéger et pousse sans le savoir à l'autodestruction. Si je tue le voleur, je suis un tyran. Si je ne le fais pas, un tyran prendra ma place. Révolution... On la sent gronder et j'hume l'odeur de la fumée du haut de mes tourelles dorées. Que faire ?

J'ai entre mes mains la vie de cet homme. Mais le pouvoir glisse entre mes doigts. Tout fuit, tout coule, insaisissable présent.

Sur les toits de la ville qui se dessinent au loin, derrière les grilles du palais, une mer de tuiles et d'ardoises. Je plonge mon regard au-dessus des courbes ascendantes et glissantes. J'aurais aimé avoir le regard du devin, l'œil du mathématicien, l'esprit du philosophe. Mais je n'ai que des vies qui s'éloignent et le mienne qui s'échappe. L'horizon fuit devant moi, qu'y a-t-il derrière l'horizon ? Qu'est-ce qui se cache derrière la mer de toits aux courbes fuyantes ? Des réponses ? Des angoisses ?

Quoi que je fasse, je prendrais une mauvaise décision. Je suis perdu.

- Laissez-moi.

Je ressors la petite clé. Apporte-t-elle des réponses ? Pourquoi mon père s'est-il empressé de la cacher quand je suis entré dans son cabinet ce matin ? Je la sers très fort entre mes doigts et je me glisse hors de ma chambre, longeant les murs jusqu'au bureau de l'empereur. J'entre comme un voleur ; je cherche le trésor qu'elle ouvre.

Les papiers continuent d'encombrer la petite table de travail. Les fleurs fanées ont été changées. De jolies narcisses, des tournesols et un pavot. Demain, elles seront fanées à leur tour. L'horloge s'est arrêtée de tourner.

Je passe une main rêveuse sur les meubles de la pièce, comme si leur simple contact pouvait me révéler leur secret. La clé est trop petite pour entrer dans aucune de leurs serrures. Je cherche d'autres indices. Je m'amuse. C'est ma chasse au trésor.

L'horloge est bloquée sur le huit. Sur son flanc, une petite serrure attend que ma clé y pénètre pour la remonter. Je suis un peu déçu. Je m'attendais à plus de richesses, mais je m'effectue. Si la serrure résiste un peu, la clé permet d'ouvrir le cadran. Mais je me penche sur la portière et je trouve.

Un morceau de papier est coincé derrière un revêtement en cuir. Ni trésor, ni richesses, mais des secrets. Je sers le papier contre mon cœur et je quitte rapidement la pièce. 

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