Chapitre 18 (partie 1)
Ce n'est plus la maison troglodyte, mais une cave sombre et humide. Les bandits m'ont pourtant laissé le coin le plus accueillant. Ils ont mis si facilement leurs espoirs en moi.
Combler un manque. Venger celui qui a créé ce manque, cette solitude. Leurs rêves ont quelque chose de naïf. Ils pensent pouvoir être heureux en vengeant celui qui leur a tout pris, en repassant du côté de la légalité, en s'approchant du pouvoir. Peut-être ont-ils raison.
Le chef des bandits s'approche, incline brièvement sa tête... Je crois qu'il prend plaisir à se savoir proche d'une figure du pouvoir. L'ombre est plaisante quand elle est si puissante.
- Tu avais raison. L'attaque a été lancée par Dimitri dans la nuit.
Je jette un coup d'œil à la rai de lumière, seule interstice ouverte sur le jour. L'éclat timide me fait dire que l'aube pointe tout juste.
- Et ?
- Piotr a été étranglé dans son sommeil. Ses compagnons ont résisté quelques heures. C'est tout.
- La ville est en paix ?
- Les habitants se réveillent peu à peu. Doucement, les rues s'emplissent d'une joyeuse populace. Ils sont timides encore. Il y a trop longtemps que la guerre dure.
- Mais cette fois, la paix est réelle.
On me jette un coup d'œil surpris. On plisse des yeux, suspicieux. N'ont-ils pas deviné ? Ils ne tarderont pas à comprendre.
Ensuite ? Une semaine passe. Dimitri est couronné. Il est content. Mais un sacre n'a pas la même importance qu'une chasse à mes yeux. Celle-ci vient vite, ouvrant la reprise du quotidien de la cour, de la capitale et de l'Empire de Russie. Je m'apprête. Il faut être beau pour chasser. Je me coiffe. Il me faut une prestance royale. Je ne pense à rien d'autres qu'à chasser.
Il y a si longtemps que j'attends ce moment ! Mais il vient comme si l'engrenage continuait simplement de tourner. Comme s'il ne s'agissait que de faire un pas de plus dans le chemin que ma chère fatalité m'indique. Pourquoi est-ce que je me répète tout cela ? Il faut bien que je comprenne mes actes, pour que je sache que je n'agis pas selon une fatalité extérieure à ma volonté. Alors je me répète. Je me répète que la fatalité guide mes actes. Et cela me satisfait. J'agis ainsi, parce que je n'ai pas le choix. Ma détermination n'en est que plus affermis. Prince, prince... On attend toujours l'empereur.
Tic-tac. L'engrenage du temps tourne et les choses se répètent. Tic-tac.
C'est jour de chasse aujourd'hui. Les chevaux piaffent en battant les pavés de la cour. Fabuleux spectacle. Je suis seul à ne rien faire et à observer. Seul à les observer, des bois où je me trouve. Relégué dans l'ombre, mais je sais prendre mon mal en patience.
Il monte à cheval le premier, Dimitri. Sombre et fier. Empereur, il guide la chasse.
Nul ne fait attention à cette chaleur qui monte, échauffe les esprits. Nul ne fait attention à cette brise silencieuse qui alourdit l'atmosphère plus qu'elle ne l'allège. Nul n'hume l'odeur âcre qui sonne déjà pour moi comme une promesse. Promesse d'un futur trop chargé d'événements pour que je puisse les énumérer.
Et je suis seul, plongé dans mes pensées, face à cette vision étrange que constitue cette préparation tumultueuse à la chasse, surmontée par Dimitri.
Celui-là, ce soir, pourrira loin d'ici.
La troupe de chasseurs s'ébranle. Je lance mon cheval au galop, veux être le premier à fendre les bois, à écraser le tapis printanier et, pourquoi pas, à ne voir devant moi qu'une nature sauvage offerte à mes ardeurs de solitaire. C'est un sentiment d'ivresse et déjà la vitesse me fait tourner la tête. Ce sont peut-être les dernières minutes où je vis cette illusion de solitude dans une course frénétique au milieu de nulle part.
Je file dans les bois, en parallèle de la course dominée largement par Dimitri. Mais on ne me voit pas. Dimitri ne me jette aucun regard et scrute attentivement les bois dans l'espoir de trouver, lui aussi le premier, le gibier recherché. Il file, l'insolent, et disparaît sans cesse derrière les buissons. Il file, près de moi.
Je veux ma solitude... Au sommet.
Mais le voilà enfin, ce cerf que mon fugitif poursuit. Le noble animal est déjà à sa merci. Il faut isoler Dimitri, loin de la troupe armée.
Je quitte les fourrées et apparaît clairement, loin devant Dimitri. J'accélère. Le paysage se noie dans un flou grisonnant. Et je retiens ma respiration.
Je sais que Dimitri me voit. Je l'entends accélérer subitement. L'idiot a laissé son instinct parler pour lui : Dimitri veut me rejoindre à tout prix, n'a pas conscience du danger. Pauvre imbécile précipité dans une course qui le dépasse trop largement.
Celui-là, ce soir, pourrira mort loin d'ici.
Le cerf. Une tâche brune. Elle file vite, mais Dimitri la rattrape. Ses doigts serrent le pistolet et se crispent sur la détente. Un coup, un sursaut. La course s'arrête.
- Il n'est pas mort, lâché-je simplement.
Il m'observe silencieusement. Juste un peu d'inquiétude, mais il veut encore paraître confiant.
- Je sais. Je vais l'achever.
C'est dit doucement. Il a la prudence des rois et l'inquiétude des vaincus. Mais il veut faire comme s'il n'y avait rien d'extraordinaire, comme s'il ne s'agissait que d'une simple chasse anodine. Peut-être veut-il ainsi réduire la portée de l'événement et anéantir, d'abord en son esprit, et peut-être ensuite par ricochet, ce qui se profile dans la réalité.
Il tire encore et décharge presque son arme dans le corps du cerf. Presque : il lui reste une balle. L'animal s'effondre sur le sol dans un dernier regard vers le ciel.
- Maintenant, il est mort.
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