14. Dead Swamp
Dans les sous-sols de la base des Mozami, Celerino coachait ses sbires. Au fond de la pièce, Gustavo frappait les murs pour s'entraîner. Ses mains ne s'ouvraient pas contre le crépit et chaque choc faisait trembler la salle.
- Il est plutôt fort, dit Valerio les mains dans les poches. Je n'aimerais pas l'avoir comme ennemi.
- Moi non plus, répondit le boss du clan. C'est d'ailleurs pour ça qu'il est avec nous.
- Comment tu as intégré les Mozami ? lui demanda Dorian, curieux.
Celerino soupira et s'approcha du gamin.
- Ce n'est pas le genre de question auquel la concurrence pourrait te répondre. Tu es trop bavard petit.
- C'est bien le contraire de Gustavo, sourit Valerio.
Sans qu'il ne le voit arriver, le barbu se fit attaquer. La tranche de la main de l'aveugle était collée à sa gorge.
- Un centimètre de plus et tu étais mort, ricanait Celerino. Il n'aime pas parler de son passé ni y penser. Cet homme a vécu des choses que vous ne pourrez jamais imaginer, croyez-moi.
En entendant ces mots, l'homme concerné se sentait partir dans une autre dimension. Quelque chose l'absorbait dans les ténèbres. Une lumière qu'il ne pouvait pas voir. Des souvenirs...
Il avait tout juste dix ans quand ses parents l'ont abandonné. Dans une rue, seul, il marchait à des kilomètres de Verremburg. Un ours en peluche à la main, il fixait le ciel s'assombrir.
Pas à pas, il marcha lentement jusqu'à la barrière faisant office de bord de route. Il se tenait en haut d'une falaise. Il y avait de nombreux arbres en-dessous.
- Que fais-tu, petit ?
Un homme asiatique avec une longue barbe se tenait derrière lui.
- Mon père et ma mère sont partis... Ils ne m'aiment plus parce qu'ils n'ont plus d'argent.
- Voyons, ce n'est pas qu'ils ne t'aiment plus.
Une voiture passa à toute vitesse devant lui sans s'arrêter. En voyant ça, le vieillard décida de l'emmener avec lui dans un temple reculé. Pendant de longues heures, l'enfant observait les grenouilles jouer dans l'eau. Puis, au bout d'un moment, son sauveur le frappa au visage avec un baton.
- Aïe, ça fouette !
Une grande marque s'était imprimée sur son visage.
- Ne crois-tu pas qu'il faudrait que tu te rendes utile ? Deviens un homme bon. Un sage. Fais quelque chose de ta vie.
- Je n'ai que dix ans...
- Plus jeune on commence, plus tôt on apprend.
Depuis ce jour, son entraînement intensif débuta. Les premiers jours, il se faisait souvent frapper. Il devait porter des poids lourds, courir avec et ne pouvait jamais se reposer. Lorsqu'il ne tenait plus du tout sur ses jambes, il rampait mais ne devait point s'arrêter.
Gustavo ne mangeait plus à sa faim et il devenait de plus en plus fin. Ses bras étaient quelque peu musclés mais le reste de son corps était émacié. Parfois, il n'avait pas de repas. Au bout d'un an, il décida de se rebeller.
- J'en ai marre, vieil homme. Je veux rentrer chez moi.
- Ne sois pas sôt. Tu n'as plus de maison.
- En tout cas, j'en ai assez de rester ici.
D'un coup de pied sous la mâchoire, l'homme le fit taire. Du sang sortit de la bouche du garçon car il venait de se mordre la langue. Il baissa les yeux et vit quelque chose tomber. Elle était sectionnée.
- Au moins, tu ne pourras plus déblatérer d'idioties.
Pendant encore de longues années, il était piégé avec cet homme. Cependant, après tout ce temps à souffrir, il est devenu bon. Fort. Sage.
- Ta dernière épreuve, mon garçon, sera de repérer tes ennemis les yeux bandés.
Avec un foulard sur la tête, il essayait d'éviter les coups de bâton du vieillard. Cela durait des heures mais il n'était pas capable d'y arriver.
- Si tu ne veux pas d'effort, je vais devoir t'y forcer.
Avec ses pouces, il creva les yeux du pauvre adolescents qui hurlait de douleur. Son cœur battait de plus en plus vite. Il ne voyait plus rien et la douleur s'acharnait. Ses mains étaient sur sa tête et il essayait de se broyer le crâne afin d'ignorer ce tiraillement. Il sentait son sang couler sur ses joues.
- Maintenant, relève-toi.
- Vous êtes malade !
- C'est toi qui a voulu tout ça. Je suis ton esprit, Gustavo...
Il comprit à ce moment que l'homme était issu de son imaginaire car jamais il ne lui avait donné son identité.
- Alors... J'ai tout inventé ?
- J'existe réellement, l'ami. En fait, je me suis renseigné sur ce que j'étais moi-même.
Les sons étaient plus faciles à percevoir. Cette fois, malgré la souffrance, il était capable de repérer son maître.
- Je suis ce que les humains appellent un Écho. Lorsque tu étais sur le point de sauter de cette falaise, tu as fait une crise de panique sans t'en rendre compte. Tu es mort, Gustavo...
- Hein ?
- Enfin, tu as vaincu la mort. C'est comme ça que je suis arrivé.
Furieux, l'adolescent se releva en faisant glisser ses pieds sur les gravillons et saisit le bâton en chemin. Puis, il traversa la gorge du type avec. Cette action s'est alors répercutée sur lui. Au bord du décès, Gustavo luttait. Il ne souhaitait pas mourir.
Son vœu fut exaucé. Il s'en est sorti indemne avec un nouvel Écho remplaçant ce vieil homme qu'il désirait effacer de tout son cœur.
Un soir, il est revenu à Verremburg afin d'assassiner ses parents. Depuis ce jour, il décida de rester dans cette ville.
- Bon, on est venu vous chercher pour affronter les dinos à la base.
- Partez devant. On vous rejoindra après.
- D'accord. Allons prévenir les Suarez.
Farenzo chargea son pistolet et fronça les sourcils.
- Moi, je vais commencer.
- Dans tes rêves, répondit Basilio. Tu n'iras pas seul au front.
- Je n'ai pas besoin de vous pour en tuer quelques-uns.
Ses collègues essayaient de le raisonner en chemin mais l'homme décida de s'enfuir en courant dans des ruelles labyrinthiques. Les autres allèrent alerter les Suarez le plus rapidement possible afin de ne pas le laisser seul trop longtemps.
En courant, le roux repensait à son frère. Il serrait ses poings et hurlait de toute ses forces. Puis, il arriva devant l'ancien entrepôt des Mozami. L'endroit était censé être abandonné mais trois lézard s'y trouvaient.
Est-ce que c'est ici qu'ils ont planqué leur bombe ? se demandait Farenzo.
Discrètement, il visa l'un d'eux et tira. Puis, il tua également le deuxième. Malheureusement, le dernier l'a vu et s'est baissé avant que celui-ci ne le touche avec son dernier projectile.
- Merde, j'ai dû faire tomber les autres munitions.
Il lâcha son pistolet et prit son couteau de poche.
- Sérieusement, tu veux me vaincre avec ça ?
Le lézard portait une armure de fer et un casque couvrant seulement le haut de sa tête.
- Moi, Tymaho Rodriguez, le général des reptiles...
L'homme écarta ses bras et leva les paumes vers le ciel de façon hautaine. Puis, il hurla :
- DEAD SWAMP !
Une sorte d'explosion souffla dans toute la zone. Farenzo avait ressenti cette étrange puissance suivie d'une vague de couleur. Puis, il baissa les yeux et vit que ses pieds pataugeaient dans une sorte de liquide à la couleur d'une noisette. C'était visqueux et sale. Ses pas étaient lourds. Le Luziano avait l'impression d'être attiré vers le sol.
- Qu'est-ce que c'est que ça ?
- Mon cimetière...
Une sorte de petite tornade se forma près du général et avec cette vase, quelque chose se matérialisa. Une sorte d'être humain. Il n'avait aucune couleur ni d'habit mais il y avait d'étranges reliefs. Des contours plutôt bien dessinés. Les traits rappelaient quelqu'un à Farenzo.
- Tu n'as pas d'écho, je suppose ! ricanait le reptile.
- Tu as visé juste. Alors, si tu pouvais effacer ce truc et te battre comme un homme, ce serait sympa.
- Je ne vois pas pourquoi je me retiendrais d'utiliser mon pouvoir.
Le pantin de boue se rua vers le roux qui compris à cet instant que celui-ci représentait son frère.
- Tonio ?
Avec une lame comme il détenait, l'homme venait de le poignarder. Un couteau dans le ventre, il fixait toujours le Rodriguez.
- C'est effectivement lui. Son âme erre à Verremburg et je peux donc m'en servir. Mon Dead Swamp me permet d'animer les morts et de leur rendre les mêmes capacités qu'ils détenaient avant leur décès.
- Espèce de fils de pute.
D'un coup de couteau, Farenzo trancha la tête de l'homme vaseux.
- Ce n'est pas mon frère. Tu ne me feras pas reculer.
Le général ne bougeait pas. Il se contentait de rire.
- Ce n'est pas un problème. Ce n'est pas comme s'il était de nouveau mort.
- Comment ça ?
- Tu ne peux pas tuer ce qui n'est déjà plus vivant.
Tonio se releva et créa un pistolet de boue. Puis, il tira. Étant blessé au ventre, Farenzo ne fit pas un très grand mouvement mais il évita la balle qui venait de partir à toute vitesse.
Je vais avoir besoin d'aide. Les gars avaient raison, je ne suis pas de taille.
Il tenta de lever un pied mais c'était difficile. Puis, il leva les yeux et vit d'autres pantins se former. Il y avait Fabio et d'autres lézards comme le bourreau, qui avait tué son frère.
- Il n'y a aucune limite à mon pouvoir.
Le Luziano jeta un œil autour de lui. Le marais s'étendait sur des dizaines de mètres. Il n'en voyait pas le bout.
- Je peux savoir pourquoi vous faites tout ça ? On veut juste protéger Verremburg. Je suis sûr qu'on peut trouver un terrain d'entente.
Certainement pas, songeait Farenzo. Je dois lui mentir afin de gagner du temps. J'espère qu'ils vont vite me trouver.
Tymaho sourcilla.
- Je ne vois aucun intérêt à te l'expliquer étant donné que tu vas mourir.
- Je sais bien que c'en est fini de moi alors exauce ma dernière volonté et réponds-moi.
Dans les ténèbres du marais apparut une lumière. Quelque chose qui déconcentra le général un instant. Un souvenir marquant.
Tout s'est passé il y a de nombreuses années à Verremburg dans cet entrepôt qui était autrefois le laboratoire du docteur.
- Non ! hurla le réptile en se sortant ces instants de la tête. Il est hors de question que je repense à tout ça !
Tonio visait son frère avec l'arme factice.
- J'en ai assez. Cet enfoiré nous a tous transformés en monstre ! On a vécu cachés pendant longtemps à cause de cette apparence !
Farenzo ressentait la peine de cet homme dans ses propos.
- On devait juste devenir plus forts. Tout est mort pour nous, désormais. Alors, notre mère supérieur, Alexa Rodriguez, qui était aussi ma femme...
Il s'écroula et versa une larme qui tomba dans la vase.
- Elle à décidé de tout faire exploser. Un suicide collectif en emportant avec nous la ville natale de cette ordure.
- Vous vouliez emporter des innocents pour une telle raison ? Foutez-vous en l'air si vous le souhaitez mais vous avez tué mon frère en nous mêlant à vos futilités.
- Luziano... TU NE COMPRENDS RIEN !
Valerio sentit une vague de frisson parcourir son échine. Il se tourna vers Basilio, Alessi et Dorian. Les garçons venaient d'entendre un coup de feu.
- J'ai un mauvais pressentiment. déclara le barbu.
Le sang de Farenzo coulait dans le marais. Il venait de se faire tuer par la réincarnation de son propre frère jumeau.
- Vous allez tous être emportés dans notre tombe, murmura Tymaho.
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