1. Lettre tâchée de sang
Verremburg. 1995. Tout commença un soir de pluie. Le dîner était servi et celui-ci refroidissait. Avec le plus consternant des silences, une femme et son fils fixaient leurs assiettes. L'homme de la maison ne devrait plus tarder, pensaient-ils.
Une cigarette se consummait lentement dans un cendrier de verre. La fumée s'élevait jusqu'à l'ampoule de la cuisine. La mère saisit sa fourchette et poussa un long soupir.
- Ton père ne rentrera peut-être pas ce soir. Tu peux manger.
L'adolescent de seize ans se leva en faisant reculer sa chaise. Les pieds furent traînés contre le parquet et un grincement s'en échappa. Le garçon aux cheveux laqués et noirs ouvrit le micro-onde puis posa son assiette à l'intérieur.
Sa mère alluma une autre cigarette et tira dessus une seule fois avant de la laisser se désagréger entièrement dans le cendrier. C'était du gaspillage.
- Dorian, est-ce que tu peux faire la vaisselle ce soir ?
Les yeux bleus du fils luisaient. Il sentait l'alarmante détresse de sa mère. Il était capable de percevoir ses émotions négatives. Quelque chose la tracassait.
Plus tard dans la soirée, lorsque le dîner fut terminé, Dorian fit couler de l'eau dans l'évier et le boucha avec de l'aluminium. Tout en versant du produit sur les assiettes, il saisit son éponge et sursauta. La sonnette de leur maison venait de le surprendre.
- Je vais ouvrir !
Sans s'inquiéter, il fit son travail et n'écouta point la conversation que sa mère entretenait avec un homme. L'adolescent entendait légèrement certains mots mais rien pouvant expliquer la raison de sa présence. Il savait juste une chose : cette voix lui était inconnue.
Le jeune homme frottait les assiettes avec entrain jusqu'à ce qu'il entende la porte se claquer. Curieux, il laissa couler la vaisselle, essuya ses mains et alla dans le couloir où sa mère s'était effondrée. En larmes, elle gémissait sans répondre aux attentes de son fils.
- Mère ! Que se passe-t-il ?
Elle tenait une lettre qui lui était destinée. Son prénom était écrit à l'encre. Rapidement, il l'arracha des mains de sa mère et ouvrit grand ses yeux. Ce message n'était pas terminé car l'auteur succomba peu de temps après l'avoir commencée.
"Mon fils. Je n'ai jamais été un père exemplaire et je ne le serai pas en te demandant ceci. Protège ta mère par tout les moyens. Intègre la famille des Luziano. Retrouve ce type qui m'a poignardé... Il a un tatouage sur la nuque. Il représente"
Aucun détail supplémentaire. Aucun au revoir. Un de ses collègues venait de déposer cette lettre afin d'annoncer à sa famille que s'en était fini de lui. Silvio Jiliardo quitta la famille des Luziano pour toujours.
Dorian était collé au mur du couloir. Sa respiration était saccadée. Inexistante. En fait, il suffoquait. Les mains sur le torse, les joues aussi rouges qu'une tomate et les yeux au bord de l'explosion, le garçon se mit à genoux. Ses lèvres s'asséchaient. Un liquide visqueux sortait de ses narines et sa mère ne prêtait plus attention à son enfant. Il pouvait bien mourir, elle n'en avait que faire. Son mari était décédée et c'est tout ce qu'elle retenait.
Son cœur battait de plus en plus vite. Puis tout devint noir. Pensant qu'il était désormais mort, Dorian s'allongea sur le carrelage de l'entrée et se laissa partir. Le brun avait l'impression de planer. De voler. Il quittait ce monde significatif de souffrance et de pourriture. Pour lui, tout était enfin fini.
Hélas, il se réveilla à l'aube dans son lit et tout allait pour le mieux. Sa mère l'avait tout de même ramené dans sa chambre. Les rideaux virevoltaient, emporté par le vent. La fenêtre ouverte laissait la brise du matin pénétrer la pièce et caressait la peau du garçon.
Je ne veux plus bouger, songeait Dorian. Je veux cesser d'exister.
Alors, il observait sa bouteille d'eau. Malgré son envie de disparaître, il ne souhaitait pas terminer sa vie déshydraté. Le bras tendu, la main en direction de son bureau, il soupira. C'était à quelques mètres de lui, beaucoup trop loin. Pourtant, l'objet qu'il convoitait s'approcha de lui a grande vitesse.
- Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? s'exclama Dorian, déboussolé.
Il venait d'attirer sa bouteille comme par magie. C'était impossible et il le savait. Peut-être qu'il rêvait encore. De ce fait, il s'allongea et ferma les yeux. Son père était son unique pensée. Il le hantait. Comment dormir correctement après avoir lu cette fameuse lettre ?
Finalement, Dorian se leva et descendit dans le salon. Grâce à Silvio, ils n'étaient pas malheureux. Sa femme et son fils avaient tout pour vivre comme ils le désiraient. De la bonne nourriture, une maison chaleureuse, des vêtements de qualité et de nombreux appareils électroménagers. En voyant tout ce qu'il leur avait offert, l'adolescent fondait en larme. Sa mère, sur le canapé, faisait de même depuis des heures.
- Bonjour, mère.
Il sécha les larmes de celle qui lui restait. C'était la dernière personne de sa famille encore vivante.
- Ne pleurons plus. Avançons sans lui. C'est ce qu'il aurait voulu.
Elle le gifla et Dorian tomba, surpris. Lors de sa chute, son coude heurta la bouteille de vin sur la table basse et celle-ci se brisa au contact du sol. Le liquide rouge aux nuances très sombres s'étendait sur la moquette grise. La tâche était grande.
- Qu'est-ce que tu en sais ? hurla-t-elle. Tu crois que c'est facile d'oublier ton père ? Cracher sur dix ans de mariage ?
- Je suis désolé, mère.
- Retourne dans ta chambre.
Sans ajouter le moindre mot, le brun se leva, la tête baissée, les yeux dirigés vers la lettre sur la table. Il repensait à ce que son père lui demandait. Dorian avait un objectif. Cependant, il ne se sentait pas capable d'entrer dans une organisation criminelle. Faire partie des Luziano ne lui plaisait guère. La question qu'il se posait, aussi, était la suivante :
Comment leur demander de les rejoindre ?
Dans son lit, l'adolescent ressassait le passé. Silvio n'était pas toujours présent mais ils se sont créés d'inoubliables souvenirs. Dorian sentait la haine l'envahir. Une personne lui étant inconnue avait ôté la vie de son père. Ce type au tatouage s'était permis de retirer un membre de la famille Luziano.
Les paupières du jeune homme s'ouvrirent en grand. Il tremblait d'excitation ou bien de peur, mais il tremblait. La lettre était dans sa main gauche et il ne s'en était pas rendu compte. Le problème n'était pas là, en revanche. Comment se l'était-il procurée ? Elle était posée sur la table et personne ne l'a touchée, pas même lui.
- Ai-je un pouvoir ?
Avec hâte, l'adolescent enfila un nouveau caleçon, des chaussettes noires, un jean sobre et une veste mauve par dessus un t-shirt simple. Puis, il descendit en courant. Sans prévenir sa mère, il enfila ses chaussures de ville et se mit à courir de si bon matin.
Pour aller où ? Dorian ne le savait pas. Il fallait d'abord trouver un membre des Luziano et assumer jusqu'au bout. Fuir n'était pas une option. Pour sa vie. Pour son père. Ce ne fut pas très difficile. Au bout d'une heure de marche dans la ville, il se fit arrêter par un homme barbu, blonds et aux yeux bleus également.
- Dis-moi, gamin. Tu ne serais pas le fils de Silvio ?
Que dois-je répondre ? se demanda l'adolescent. Est-ce l'assassin de mon père ? Son collègue ? Juste un ami ?
Un hochement de tête suffit pour faire sourire cet inconnu.
- Enchanté, Dorian. Ton père nous a beaucoup parlé de toi. Tu connais sa dernière volonté ?
- Je dois tuer cette ordure, hein ?
- Exactement. On pense qu'il fait partie d'une famille ennemie. Tu es prêt à me suivre ?
Le brun aux yeux bleus acquiesça. Il monta dans le véhicule du type. C'était une belle voiture pour l'époque. Assis à l'avant, Dorian n'osait pas parler.
- Au fait, je ne me suis pas présenté. Valerio Milcchina. Membre de la famille Luziano depuis quelques années maintenant.
- Est-ce qu'il reste des Luziano au moins ?
L'homme rit en insérant la clé dans la fente prévue à cet effet.
- Évidemment. Le boss et son fils. Sinon, les autres sont morts lors d'une mission. C'est comme ça qu'on est arrivés. Choisis pour reconstruire cette famille. On est un petit paquet.
La voiture démarra. Ils roulèrent dans la ville, direction le Barouf. C'était l'un des bars les plus réputés de Verremburg. Là où la famille de mafieux résidait.
- ATTENTION ! hurla Dorian à plein poumons.
Un enfant venait de traverser la route. Ils étaient à deux doigts de le percuter. C'est alors que celui-ci fut repoussé par une sorte de champs de force. L'adolescent savait que cette fois, ce n'était pas son étrange pouvoir.
- Vous... Vous venez de le sauver ?
- Je sais que tu auras du mal à me croire mais certains d'entre nous ont des pouvoirs. Ils se sont développés lorsqu'un jour de notre enfance, nous avons subit une peur telle que nous étions sur le point d'en crever.
- Alors c'est ça, l'explication ?
- Je sais, c'est tiré par les cheveux, hein ? Silvio en avait un également.
Dorian soupira puis reprit la parole.
- Je vous crois. Moi aussi j'en ai un.
Arrivés à destination, les deux garçons descendirent du véhicule puis entrèrent dans le bar. Il y avait un tas d'homme saouls qui brallaient et riaient. Cet endroit sentait l'alcool et la joie de vivre.
- Suis-moi.
Valerio ouvrit une porte à l'accès restreint au personnel. Dorian entra avec crainte. C'était là, qu'il avait peur.
- Ne t'en fais pas, tout va bien se passer. Silvio était le meilleur alors tu auras un traitement de faveur, sois en sûr...
Ils marchaient quelques minutes dans un immense dédale. Il y avait trois étages, des escaliers et des salles partout. Enfin, ils entrèrent dans un bureau.
- Valerio, que me vaut cette visite ?
- Boss. Voici une nouvelle recrue.
Un homme était assis sur une chaise roulante, un cigare à la main. Ses cheveux étaient aussi courts et noirs que ceux de Dorian. Il avait des yeux marron et portait un costume plutôt serré de manière à laisser ses muscles apparents.
- Vous l'avez déjà trouvé ?
- Oui. Je vous présente Dorian Jilliardo.
Le boss de la famille se leva et avança jusqu'au nouveau. Il lui tendit sa main du haut de ses deux mètres.
- Je suis le chef de la famille. Ricard Luziano. Je te souhaite la bienvenue chez nous.
Dorian cachait sa joie. Au fond, il était ravi de suivre les traces de son père afin de le venger mais c'était un milieu mature. Pour lui, aucun sourire ne devait transparaître.
- Je pourrais toujours dormir chez moi ?
- Bien-sûr, tu as toujours ta maison. Parfois, tu devras passer des nuits ici mais ce sera rare, je te l'assure. Au départ, tu n'auras pas de mission. Tu iras avec les autres afin de découvrir le métier toi-même.
Ricard retourna à sa place et posa son cigare dans le cendrier.
- Je vais juste te faire un petit cours avant de te laisser partir.
Dans Verremburg, il y avait trois familles. Les Luziano, les Mozami et les Suarez. La première étant la plus connue et la plus respectée. Même le shérif de la ville était de leur côté.
- Il y a aussi les reptiles, riait Valerio.
- Les Dinos. Une famille que personne ne prend au sérieux. Ignores-les .
- Vous verrez quand ils décideront de passer à l'action, boss.
- Cela risque de prendre une tournure amusante. Bref, vous pouvez disposer.
Dans son lit, Dorian repensait à sa nouvelle famille. Il était devenu un Luziano mais c'était encore trop récent pour qu'il s'en rende réellement compte.
- Papa, je vais retrouver celui qui t'a tué. Je l'enverrais en enfer de mes propres mains. J'en fais la promesse.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top