Episode 1.3
— T'en fais pas pour moi, la vieille, rétorqué-je, les yeux rivés sur mes notes.
Voilà des mois que je planifie l'assassinat de ces Héros. Des mois que je peaufine tout dans les moindres détails. Depuis qu'ils ont arrêté Olga il y a huit mois, pour être exact. Je n'agis pas par vengeance ; plus la mère des triplés est loin de moi, mieux je me porte, j'agis par opportunité.
Après la capture d'une des plus grandes Vilaines du siècle, l'Ordre du Bien a tenu une conférence de presse pour se rengorger et montrer au petit peuple ô combien ils sont utiles et ô combien il fallait leur être reconnaissant d'avoir éliminer cette menace. Ils ont annoncé une peine de prison à perpétuité pour la terrible Olga Wasser. Ils ont également annoncé qu'en remerciement pour avoir évité de justesse la destruction des maternités de Colmar, Madame le Maire invitait L'Incantateur et L'Ensorceleuse a assisté à la fête de la musique.
Un séjour tout frais payé par les contribuables. Ces Héros sont tellement imbus d'eux-mêmes qu'ils ont rendu publics tous les détails de leur séjour : adresse de l'hôtel de luxe, déplacements en limousine avec traçage GPS, horaires, nombre d'agents de sécurité ainsi que leur localisation.
Ils m'ont fait gagner un temps précieux, ces idiots. Grâce à ces informations, j'ai déniché l'opportunité parfaite et pu me concentrer sur la partie ardue du plan : trouver leurs points faibles. Tous leurs points faibles, que ce soit dans leur vie privée ou dans leur manière de se battre ou même dans les mésententes de leur duo.
Parce que s'ils offrent l'image d'un couple heureux aux yeux des Français, ils se détestent en réalité. Malheureusement, j'ai eu beau étudier toutes les vidéos que j'ai pu trouver sur leur intervention, ils ne le montrent jamais. Si je n'avais pas pu l'observer de mes propres yeux, jamais je ne l'aurais soupçonné, d'ailleurs.
S'il y a une chose à savoir sur moi, c'est que je ne suis pas un perdant aux seuls yeux de ma famille. Non, l'Ordre du Bien aussi me voit comme un parasite inoffensif. Un peu comme une puce qui ne saurait pas comment mordre.
Voilà. C'est ça. Pour les deux, là, je suis une puce en pleine promenade. Je sautille, je gratouille. C'est un peu désagréable, mais ça ne vaut pas la peine de fournir des efforts pour s'en débarrasser.
Quoique... Elle voudrait bien m'écraser entre son pouce et son index, mais lui la rabroue pour me laisser partir. C'est arrivé chaque fois que je les ai croisés. Et elle finit immanquablement par le qualifier de bon à rien, de fragile et de minable.
Au début, ça m'énervait que lui me sourie avec gentillesse avant de partir en emmenant l'autre avec lui. À présent, je vois ça comme une force. Je leur cherchais une faiblesse, je SUIS leur faiblesse. Me sous-estimer sera la faiblesse qui les mènera à leur perte.
Du moins, si tout se déroule comme prévu. Si la faille que j'ai détectée dans la sécurité en est vraiment une. Et j'espère ne pas me tromper, parce que je n'aurais pas de seconde chance. Soit je réussis, soit je me fais tuer. Dans les deux cas, Olga ne pourra plus me dénigrer, Olivia cessera de se moquer et après des années de honte, je deviendrai enfin la fierté de mes parents !
Mieux vaut un Vilain mort qu'un Vilain Gentil.
— Depuis quand tu as besoin d'un plan de Colmar pour devenir Vilain ? Tu cherches les nouveaux supermarchés ?
Penchée par-dessus mon épaule, ma grand-mère me fait sursauter. La garce s'est approchée sans un bruit !
— Je vérifie juste une dernière fois mon trajet pour demain soir, laisse-moi tranquille, riposté-je avec agacement.
— Demain soir ?
Dubitative, elle se penche un peu plus sur mon épaule. Son détestable parfum à la fraise m'envahit les narines.
— Oui, demain soir.
Une pichenette dans l'oreille me fait grogner.
— Depuis quand tu fais la fête de la musique, toi ? Les princesses ont fini par imbiber l'éponge qui te sert de cerveau ?
Je lui balance mon coude dans les côtes avant de répliquer :
— Si j'y allais pour flâner, tu me forcerais à prendre les pustulons. Je t'ai dit que je préparais un coup...
— Et de tous les jours de l'année, tu choisis celui où les deux imbéciles seront en ville... l'éponge est en décomposition ?
— Non. Ma cible, c'est eux. Je vais nous débarrasser d'eux.
Elle me tire sans ménagement pour me virer de ma chaise et y prendre place. Son index osseux suit les traces de surligneurs. Derrière ses lunettes de luxe, ses yeux se froncent. Un de ses sourcils se soulève. Sans même se tourner vers moi, elle murmure :
— Si jamais tu y arrives...
— J'y arriverai.
— Laisse-moi finir, jeune insolent ! Si jamais tu y arrives, je te fais du baby-sitting gratuit jusqu'aux dix ans des triplés et chaque fois que tu le désireras.
Une moue contrariée déforme ma bouche. Pour qu'elle propose ça, elle doit être certaine de mon échec. Il me faut déjà lui arracher des matinées de garde payante... Jamais plus d'une par mois. Et après, elle se plaint que je ne sors jamais. Comment le pourrais-je ? Je suis peut-être le descendant de renommés Vilains, néanmoins, laisser des gosses aussi jeunes sans surveillance s'avère au-delà de mes limites.
— Tu ne crois pas en moi, ronchonné-je.
— Évidemment que non. Ton plan n'a pas l'air mauvais, cela dit, mais que tu en sois l'élément principal fait chuter les chances de réussites à dix sur mille, et que Manuel soit une des cibles les fait chuter à une sur dix mille.
— Tu vas pas recommencer avec ça ! Manuel ou pas, c'est le Héros de la France maintenant et il mourra en même temps que Lola !
Manuel et moi ne sommes pas seulement dans des camps opposés. Nous avons été amis, dans une autre vie. Quand nous étions bambin. Quand il suivait encore les pas de son Super Vilain de père au lieu d'embrasser la voie de sa Super Héroïne de mère.
— Tu te dégonfleras. Mais le fait que Manuel se dégonflera tout autant peut te sauver la vie. Maintenant, venons-en au plus important...
Olivia s'étire comme un chat et se tourne vers moi avec un sourire démoniaque. Je le sens mal. Nerveux, je me passe une main dans les cheveux. Inutile de lui faire croire que je garde mon calme, elle me connaît trop bien.
— Quoi ?
— Le baby-sitting de demain soir.
— Tu avais accepté de me les garder, protesté-je avant qu'elle ne tente de me la faire à l'envers.
— Oh, et je n'ai pas changé d'avis, juste de tarifs ! Cinq euros par heure et par enfant.
— Pardon ? Mais je devais te payer cinquante pour la nuit, ça va me coûter au moins le double !
L'horrible mégère me dévisage, poings sur les hanches, sourire narquois.
— Tu préfères que ça te coûte le triple ?
— Pourquoi Olivia doit nous garder la nuit prochaine, Papa ?
Olivia contient un rire alors que je contiens un sursaut.
Avoir "peur" d'un de mes enfants ? Check. Bravo Valdrig, toujours plus loin dans l'autohumiliation.
— Et ça veut tuer des héros, s'esclaffe la vieille tandis qu'Alisa trottine du couloir vers nous.
Elle serre son doudou contre son cœur. Son adorable nez en trompette se fronce, comme chaque fois que l'inquiétude la dévore.
— Tu vas pas partir faire des vilaines choses, hein ? Tu vas pas être mis en prison, comme Maman, hein ?
Le battement trop rapide des cils, les yeux humides et écarquillés, les lèvres tremblotantes, la voix fluette chargée de sanglots : tout y est pour ramollir mon cœur de papa. Dommage que ce petit ange soit sincère, dans le cas contraire, quelle fabuleuse manipulatrice elle aurait fait ! Malheureusement, ma fille est la gentillesse incarnée : toujours polie ; jamais de caprice, ni pour se coucher, ni pour se laver les dents, ni pour s'habiller, ni quand on lui dit non ; elle ne crie pas, ne frappe pas son frère, n'insulte pas sa sœur et ses angoisses s'évanouissent avec de gentilles paroles et des câlins. Un cauchemar pour tout parent qui se respecte !
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