4. Now it's like you miss the sun

J'ouvre les yeux en discernant le léger martèlement des gouttes de pluie sur les carreaux de la fenêtre. Je me lève et m'étire en faisant craquer mes muscles endoloris par le sommeil avant de de me poster devant la vitre et observer l'état du ciel.

Les nuages sont gris sombre, et je distingue facilement le bruit de la pluie se fracassant sur le macadam. Malgré ce temps humide typique de cette fin d'automne, je souris. Ce n'est pas quelques gouttes d'eau qui vont m'arrêter.

J'enfile rapidement un sweat à capuche épais, et me précipite à l'extérieur.

Contrairement à d'habitude, les rues de Rouen sont presque vides. Les rares personnes que je peux croiser ne font que courir en espérant échapper à la pluie du mieux qu'ils le peuvent. Et je ne parle pas du parc: je ne vois même pas un chat lorsque que je m'assois sur mon banc en bois, resté sec sous la protection du saule pleureur. C'est étrange de voir ce parc presque laissé à l'abandon, de ne pas entendre ni l'effervescence des jeunes ni les rires des enfants. Il ne reste rien que le battement de la pluie, qui semble avoir fait fuir tout être vivant ayant l'habitude de venir ici. Lorsque je me dis que ce n'est peut-être pas plus mal, j'entends soudainement un bruissement quelques mètres derrière moi puis quelqu'un m'interpeller:

- Hé! La fille seule sur le banc du parc!

Je me retourne et reconnais une tignasse bouclée qui m'est à présent étrangement familière. Enfin, si on peux encore appeler ça bouclé: ses cheveux complètements trempés sont aplatis sur son crâne, ce qui le fait plutôt ressembler à un mouton mouillé, vision qui me fait pouffer mentalement. Le mystérieux métisse me sourit et s'avance vers moi.

- C'est fou ça, même sous la pluie tu continues à venir ici, rit il en me toisant, inquisiteur.

- La pluie ne me dérange pas contrairement à beaucoup de gens, je réponds en haussant les épaules. Et puis c'est pas ça qui va gâcher mes habitudes.

- Je sais pas comment tu fais.

Il avait déclaré cela le visage tourné vers le ciel, une étrange lueur dans le regard.

- On dirait que le soleil te manques, je dis simplement.

Le métisse se tourne à nouveau vers moi, et me lance un petit sourire étrange dont je ne comprends pas la signification.

- Peut-être que c'est le cas.

Un petit silence s'installe tandis que j'écoute la pluie se heurter contre le feuillage des arbres autour de nous. Non, la pluie ne m'a jamais dérangée. Je pourrais même dire que j'aime ça; j'ai toujours l'impression que c'est le résultat du ciel qui craque et qui se laisse aller, que c'est une sorte de délivrance afin de pouvoir se reconstruire et ainsi afficher le soleil à nouveau. C'est peut-être cette espèce d'empathie pour les cieux qui me fait aimer ces gouttes descendant des nuages, c'est une sorte d'affranchissement que la nature se permet et cela me donne ainsi l'impression de mieux comprendre, comme si la faune et la flore avaient ce côté indéniablement humain.

- T'es toujours pas décidé à me révéler ton prénom?, je demande innocemment.

Il rit et secoue la tête négativement, tout en s'asseyant sur le banc à mes côtés.

- Par contre t'as le droit de me donner le tien, il revendique tout aussi niaisement.

Contrairement à lui, je n'ai aucune raison de ne pas le lui donner.

- Melody.

Il fronce les sourcils, étonné que je capitule si facilement. Mais sa frustration est vite remplacée par une expression d'admiration véritable.

- Wouah, t'as vraiment un beau prénom, il avoue d'une voix que je devine être sincère.

Je souris en le remerciant, gênée. Il place son coude sur le dossier du banc, pose son menton dans la paume de sa main et me demande, en me regardant dans les yeux:

- Alors mademoiselle Melody, que faîtes vous donc toujours ici assise seule sur ce banc?

Il a pris un ton chevaleresque complètement ridicule qui me fait rire à gorge déployée.

- Arrête, j'ai l'impression que tu me suis maintenant.

C'est à son tour de rire mais je note qu'il ne me contredis pas. Il se contente d'insister:

- Nan sérieux, qu'est ce que tu peux bien faire pendant des heures sur ce banc?

- Ça, je lui répond en lui tendant mon manuel d'anglais que je viens de sortir de mon sac.

Il attrape le volume et l'examine attentivement.

- C'est pas comme ça que tu sauras parler couramment l'anglais, il me taquine en me rendant le livre.

- Tssss, t'as fait comment toi pour le parler aussi bien? je grogne.

- J'ai pris des cours, il déclare simplement en s'étirant. T'as bien choisi ton banc en tout cas, on est bien au sec.

En effet, lui et moi sur le petit banc sommes parfaitement protégés de l'humidité par l'immense saule pleureur. Je note la concordance étrange entre le nom de l'arbre et le temps qu'il fait.

- Sérieusement, tu voudrais bien m'aider?

J'ai lâché ça en me remémorant sa proposition de l'autre soir. Apparemment ravi que je m'en souvienne, il sourit:

- Bien sûr. Mais je ne pense pas que tu veuilles tellement apprendre l'anglais à cause des clients anglophones que tu risques de croiser, si?

Je secoue la tête négativement.

- T'as l'air bien désespérée pour demander à un inconnu de te donner des cours, il constate en me jaugeant. Pourquoi tu tiens autant à apprendre l'anglais?

- Top secret.

Il croise les bras et marmonne quelque chose à propos de tricherie, puis je lui rappelle qu'il n'a toujours pas accepté de me dévoiler son prénom, ce qui est d'autant plus grave. Lorsqu'il admet que je venais de marquer un point, je sens mon portable vibrer dans ma poche. Je me lève et prend l'appel un peu plus loin, en demandant au métisse de bien vouloir m'attendre quelques secondes et de garder mes affaires. Ce dernier me souffle un "Pas de problème" avec un sourire, et je me dirige vers un autre arbre sous lequel je peux répondre tranquillement au sec.

- Hey frangin, comment ça va?

- Salut Melo, me répond mon petit frère à travers le micro du téléphone d'une voix maussade.

- Valentin? Qu'est ce qu'il y a?

- Rien de grave t'inquiète, c'est juste que Papa est insupportable depuis que tu es partie.

Je soupire. Le sable semble commencer à me rattraper.

- Écoute Val, je t'ai déjà dit que dès que tu as marre, tu me le dis et tu viens passer quelques jours chez moi.

- Je sais bien, mais il reste mon représentant légal et je suis sûr qu'il serait capable de porter plainte contre toi pour kidnapping, il marmonne amèrement.

- Je suis tellement désolée, Val. Dis-toi qu'il ne te reste plus que deux petites années, et tu seras enfin majeur et libre.

- Tu sais très bien que c'est impossible d'attendre deux ans dans cette situation sans perdre la boule.

- Je sais, petit frère. Je sais.

On discute encore un peu, notamment de mon déménagement et de mon ressenti sur ma nouvelle vie. Mais je sens cette atroce culpabilité me dévorer tandis que je discute avec mon frère, celui que j'ai lâchement abandonné en fuyant mes responsabilités et en estimant que j'avais le droit d'être égoïste.

Je regarde l'horizon tout en terminant la conversation avec l'être qui m'est le plus cher, en réalisant que la morosité de la pluie semblait finalement m'avoir atteinte, moi aussi.

Je raccroche et soupire, histoire d'évacuer les résidus de cet infâme sentiment qu'est la culpabilité, puis me dirige vers le banc où le bouclé m'attend patiemment. Il fronce les sourcils lorsqu'il remarque mon expression anxieuse.

- Tu t'es disputée avec ton petit ami?

Sous son sourire qui se veut blagueur se cache une certaine crainte en attendant ma réponse.

- Mais non! je ris pour détendre l'atmosphère. C'était juste mon frère.

Il cache très mal son soulagement. On échange encore quelques mots avant qu'il ne se lève brusquement en me précisant qu'au départ il était juste sorti faire quelques courses urgentes, et que sinon il ne se serait pas aventuré dehors par un temps pareil (il est vrai que je viens à peine de remarquer qu'il tenait un petit sachet en plastique dans la main, mais j'étais trop occupée à contempler son visage singulier ou ses cheveux qui prennent une forme étrange en séchant).

- On se voit bientôt Melody!

Puis il part en me laissant dans mon cocon sec tandis qu'il affronte courageusement les torrents de pluie. Je me contente de le fixer, bouche bée, en me demandant ce qui a bien pu le pousser à partir si vite. Mais alors qu'il allait disparaître dans la bruine, je le vois se retourner vers moi, me sourire et faire le geste de téléphoner en me désignant du doigt. Je lui fais une grimace indiquant que je n'ai absolument rien compris, je le vois rire puis s'éloigner en courant, histoire d'éviter d'être plus trempé qu'il ne l'est déjà.

Même si le bouclé à disparu depuis longtemps de mon champ de vision, je reste encore un long moment à guetter le dernier endroit où il se trouvait avant de s'éclipser, complètement incrédule.

On aurait dit qu'il s'était presque enfui. Mais pourquoi? Je n'ai même pas eu le temps d'ouvrir la bouche qu'il était déjà loin sous la pluie. Quel était donc le sens de ses mimiques? "On se revoit bientôt, Melody!". Mais comment? Je ne connais même pas son nom...

Puis je baisse les yeux. Je constate que, posé sur le banc, mon livre d'anglais est grand ouvert à la première page, et qu'il y a quelque chose écrit dessus au crayon de papier qui n'y était pas auparavant. Je le ramasse et souris quand je lis les quelques mots griffonnés à la hâte:

"Appelle-moi pour les cours d'anglais. Ah et au fait, moi c'est Rilès"

Suivi d'un numéro de téléphone qui doit être le sien.

Ok, Rilès. Bien reçu.

En ce jour de pluie, seule sur le banc en bois protégé par un saule pleureur, je me met à rire. Et je me répète une fois encore qu'il est bien étrange, ce métisse à qui le soleil manque.

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