1. You've been escaping the desert
Je me frotte les mains, satisfaite.
J'admire le résultat de mes longues dernières heures de travail acharné. Les mains sur les hanches, je contemple fièrement toute l'étendue de mon nouvel appartement que je viens à peine de finir de meubler et de ranger avec mes maigres possessions. Les cartons, vides dans un coin, semblent à présent bien ridicules maintenant qu'ils n'ont plus aucune utilité. Mais je dois avouer que c'est ce que je redoutais le plus au début de la journée encore, avec leur poids monstrueux et l'immensité de babioles à trier qu'ils détenaient. Je pensais vraiment que je n'en finirais jamais. Mais à présent, le plus dur est derrière moi.
J'ai enfin un endroit pour moi toute seule. Ce rêve d'indépendance me trottais dans la tête depuis bien longtemps, et j'y suis finalement parvenue. Dès que j'ai mis les pieds dans ce charmant studio (je devrais plutôt appeler ça un minuscule taudis, mais après tout c'est proportionnel à mon budget actuel), une immense euphorie m'avait envahie et cela avait eu comme l'effet d'une gigantesque vague d'eau glacée qui m'aurait aspergée sous une chaleur torride. C'était ça, la définition du soulagement.
A présent, complètement vidée de toute énergie, la seule idée qui me vient en tête est celle de prendre l'air. En mettant précautionneusement la question de mes moyens financiers (qui devenait d'ailleurs très inquiétante) dans un coin de ma tête, j'attrape hâtivement mon petit sac à main et je me précipite dans la cage d'escalier pour finalement me retrouver rapidement au pied de mon immeuble, où j'inhale une immense goulée d'air frais qui me fait frissonner de bien-être. En cette fin d'après midi ensoleillée, les rues de Rouen sont loin d'être vides; que cela soit des groupes de jeunes qui trainent sur les bas-côtés en riant, des personnes d'un âge mûr qui balaient le paillasson de leurs habitations ou alors la vision type de l'homme d'affaire qui sort du boulot, Rouen est une ville bondée et pleine de vie. Ayant vécu dans un petit village de campagne toute ma vie, je n'ai pas encore l'habitude de l'ambiance mouvementée typique de la ville et cela me surprend toujours de croiser tellement de gens. Je ris mentalement en me disant que je devais probablement ressembler à un gros ours sortant de sa caverne au fond des bois pour la première fois de sa vie.
Tout sourire, je traverse les rues de cette ville qui est maintenant la mienne, en analysant minutieusement chaque indication, chaque immeuble, chaque coin de rue pour tenter de trouver mes marques et mieux m'y retrouver. Je déambule comme cela durant quelques minutes, jusqu'à arriver finalement dans un petit parc à l'allure très calme et attrayante. C'est un endroit simple, à la verdure luxuriante, délimité par des dizaines d'arbres au feuillage riche qui n'a pas encore été touché par le triste sort que leur réserve l'automne. Quelques bancs en bois sont parsemés un peu partout dont un sous un énorme saule pleureur qui me paraît particulièrement attrayant. Je n'y réfléchis pas à deux fois avant d'aller m'y assoir. En tailleur et bien installée, je prend une grande inspiration et me met à observer les environs.
Le soleil est à présent bas dans le ciel, et un petit courant d'air frais vient me chatouiller doucement la nuque. Il fait pourtant encore relativement bon pour un début d'automne en Normandie.
Je devine que le vieux couple de personnes âgées assis sur le banc d'en face n'est apparemment pas du même avis que moi: ils viennent de se lever et quittent le parc à la hâte tout en se frottant mutuellement les bras pour tenter de se réchauffer. Je vois également une jeune mère trainer son fils de force par la main, alors que ce dernier, les larmes plein les joues, implore sa mère de rester encore quelques minutes afin de pouvoir continuer à jouer avec un autre petit garçon qui semble l'attendre, assis dans l'herbe à côté d'un modeste terrain de jeu. J'entends justement quelques enfants rire depuis les balançoires, puis des parents leur crier qu'il est temps de rentrer. Le parc paraît se vider peu à peu, au même rythme progressif de la tombée de la nuit.
Je remarque pourtant qu'un groupe de jeunes d'à peu près mon âge ne semble apparemment pas décidé à partir. Ils ont beau être à une bonne distance de moi, je les entends clairement crier et rire de bon cœur. A cette vision, je souris amèrement, en me disant que je n'ai jamais eu la chance de faire partie d'un groupe d'amis tel que celui-ci.
Secouant la tête pour effacer ces mauvaises pensées, j'ouvre mon sac pour sortir mon petit livre d'anglais en jugeant que c'était le moment idéal pour réviser un peu et ainsi essayer de rattraper mon niveau lamentable. Je n'ai jamais réussi à m'en sortir en anglais, je n'ai même pas les bases. Mais j'ai besoin de le parler correctement si je veux avoir une chance de faire ce que je souhaite, c'est primordial. Alors dès que j'en ai l'occasion, je sors mon petit bouquin et j'essaye de m'améliorer.
La bande de jeunes particulièrement agitée a l'air d'avoir fait fuir les dernières personnes présentes dans le parc avec leurs cris. Ils semblent s'être rapprochés de moi à force de sautiller de partout, étant donné que je les vois plus distinctement maintenant. Je peux déduire qu'ils sont à peu près une dizaine, et que ce sont pour la plupart des garçons. Concentrée sur mon petit livre, je ne leur prête plus aucun intérêt jusqu'à ce qu'ils se mettent soudainement tous à hurler. Ce n'est pas vraiment des cris, mais plutôt une sorte d'acclamations qui me poussent à sortir de ma lecture et à les observer pour comprendre ce qu'il leur prend tout d'un coup.
Soit en train de crier, soit en train de siffler ou d'applaudir, ils semblent tous faire l'éloge à un seul et même jeune homme qui se dirige à grandes enjambées vers eux. Ils parlent tellement fort que j'arrive à les entendre d'ici:
- Oh la vache mec! T'es encore vivant?
- Ça fait longtemps! T'étais passé où?
- Ça fait trois semaines que t'as disparu de la circulation!
- Tu vas mieux?
Semblant un peu gêné sous les remarques et les accolades de ses amis, le nouveau venu reste silencieux et se contente de sourire. Métisse avec des cheveux bruns et bouclés dans lesquels il ne fait que de passer sa main, son look le démarque un peu des autres. Ces derniers continuent justement de lui accorder une espèce d'immense triomphe, ne cessant jamais de s'agiter autour de lui. Je soupire en me disant qu'ils n'ont jamais été aussi bruyant, et, la nuit étant presque complètement tombée, je décide qu'il est temps de rentrer dans mon nouvel appartement. Je me lève et quitte le parc tandis que la bande se met à chanter à tue tête un air que je ne connais pas.
Assez fière de me souvenir parfaitement du chemin pour rentrer chez moi, je marche avec assurance en détaillant tout ce qu'il se trouve autour de moi. Je tombe alors devant la façade d'un bâtiment qui attire mon attention. Je m'approche et lis sur la devanture:
"Auberge - Bar - Restaurant - La Rengaine des Artistes"
A côté de ces grandes lettres se trouve un beau et grand dessin peint sur la façade représentant une femme jouant de la guitare. Puis, scotchée sur la porte, une feuille disant:
"Cherche nouvel employé, notamment serveur/serveuse qualifié(e)..."
Et plus bas l'adresse et le numéro de téléphone.
Je me surprend à penser que c'est un coup du destin. Moi qui ai tellement besoin d'argent, c'est l'occasion rêvée. Surtout que mon intuition ne cesse de me susurrer à quel point cet endroit semble fascinant. Je cherche rapidement un stylo dans mon sac et griffonne les coordonnées de l'auberge sur mon poignet, avant de reprendre mon chemin en sifflotant joyeusement.
"J'ai échappé au désert, je songe en passant la porte de mon immeuble. Espérons que le sable ne me rattrapera pas".
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top