2.2

Après avoir prévenu Ilona de la durée indéterminée de mon absence et déposé mes affaires sur le pas de la porte, j'ouvris un plan de l'île que Ruben avait trouvé et l'étendis sur le plan de travail de la cuisine. Trois paires d'yeux me regardaient avec attention, ne comprenant pas pourquoi je ne pourrais pas faire confiance en leur sens de l'orientation.

- Ce n'est pas que je n'ai pas confiance, commençai-je à expliquer en prenant un marqueur et en imposant une croix sur MJ. C'est un repaire pour moi, pour savoir vers où on se dirige. Je suis humaine, j'ai besoin de voir où l'on va avant d'entamer un quelconque voyage. Vu qu'on ne peut pas prendre de voiture à cause de la magie constante qui semble régner sur le reste de l'île et que la technologie et la magie ne semblent pas spécialement bien s'entendre, nous allons faire cette expédition à pied. D'où la préparation.

Ruben hocha la tête, compréhensif. Kael regarda la carte avec attention, l'air de voir où nous passerons plus tard. Seul José avait reposé la tête sur ses pattes avant et fermé les yeux. Mon explication lui n'avait fait ni chaud ni froid. J'observai le plan et je compris vite quelque chose que je voulais absolument éviter.

- Ruben... Pourquoi ne m'as-tu pas dit que pour sortir de Vy, l'unique porte vers le reste de l'île était derrière le manoir des Vamps ?

- Je ne pensais pas que ça pouvait être un problème, fit-il lentement.

En théorie, il ne devrait pas avoir de problème. En pratique, j'en avais un. J'essayais depuis ma présence ici d'éviter le plus possible Isotz Hautz. Chaque fois que je le croisais, mon envie de lui arrachait la tête augmentait. En revanche ma peur elle ne cessait de croitre aussi. J'aurais pu croire qu'avec le temps et beaucoup d'ignorance, je serai seulement énervée contre lui mais non. Il fallait que je sois énervée et effrayée. Et l'une des choses que j'avais appris avec le grimoire de mamie Belevitch était que les créatures magiques se délectaient majoritairement de la peur.

Je n'avais aucune espèce d'intention de nourrir l'un des êtres les plus puissants de ce monde.

- N'existe-t-il pas un autre moyen ? J'aimerais vraiment éviter de passer par là.

- Tu ne pourras pas l'éviter toute ta vie.

- Mais je peux essayer, m'entêtai-je.

- On ne peut pas. On doit l'informer qu'on quitte le territoire de Vy et quelles sont les raisons qui nous y poussent. Il régit les allés et venus de Vy et du reste de l'île magique. On ne peut pas passer outre.

Je soupirai de désespoir.

- D'accord, on passera par là. Maintenant, il faut savoir où se trouve la meute des Ours ou en tout cas, la meute de l'alpha des Ours.

Kael posa une patte sur le plan, là où il semblait y avoir une montagne.

- Sur le sommet de la montagne ?! Je ne suis pas si sportive les enfants.

Le renard jappa, mécontent et retapa plusieurs fois sur la carte au même endroit.

- A l'intérieur ? Pourquoi, nom d'un artichaut chaud, quelqu'un voudrait vivre dans une montagne, marmonnai-je.

Un grognement sourd raisonna dans la pièce et je décidai que juger les habitudes d'autrui était bien impoli.

Puisque le point indiqué par Ruben semblait relativement long, je pris en compte dans mon trajet une étape repos. Je dus prendre en compte le fait que cette carte n'était peut-être pas à jour : un détour vers une ville était nécessaire. Je comptais deux jours, voire trois, de marche. Je ne sus jamais vraiment pourquoi mais je sentais que ce voyage allait bouleverser ma vie.

Et je savais que je n'allais même pas être choquée : après tout, la magie avait tendance à faire ça.

En général, traverser la partie Sud de la capitale ne m'enchantait pas mais ça ne m'inquiétait pas non plus. Cette fois, avec un ours entouré d'un python et d'un renard à mes côtés, l'impression de me savoir scruter grandissait au fur et à mesure. J'avais bien conscience que notre petite troupe était inédite, que j'avais rarement l'habitude de me promener avec des métamorphes dans les rues, ou que j'avais l'air d'une exploratrice avec mon accoutrement mais tout de même. Un peu de discrétion ne tuait personne. Cependant, les alters avaient pour habitude de n'avoir honte de très peu de chose. Bien que l'affluence normal de la partie Sud ne fût toujours pas au beau fixe, nous nous sentîmes tous observés. Nous nous dépêchâmes d'atteindre le point de frontière de Vy. Ce qui pourrait être appelé une douane était constituée des habituelles tiges de fer mais aussi d'une petite maisonnette beige. Le poste de sécurité. Des frissons parcoururent mon dos : penser à Isotz Hautz ne me rendait pas encline à être détendue.

Mais aussi surprenant soit-il, quelqu'un y était là avant nous. Des chaussures de randonnés aux pieds, un sac sur son dos que je devinais semblable au mien dans le contenu, des vêtements plus pratiques que tape-à-l'œil, une canne devant soi, Arty De Chantaine se tenait fermement un peu avant le poste de sécurité. Oh, j'espérais que ce n'était pas ce que je croyais mais j'avais la sensation bizarre que si, ça l'était.

- Monsieur De Chantaine, fis-je en m'approchant pour m'annoncer, bonjour. Que faites-vous donc ici ? Il me semble que vous n'habitiez pas là.

- Madame Rowtag, bonjour. Eh bien, figurez-vous que j'ai entendu dire que vous partiez aujourd'hui. Je me suis dis que j'allais vous accompagner.

Oh, j'en doutais fortement.

- Monsieur De Chantaine, sans vous offensez, mais vous ne pouvez pas venir avec nous.

- Êtes-vous en train de m'insulter d'incapable avec ma condition ?

Je restai bouche bée cinq secondes avant de m'offusquer.

- Certainement pas ! Je parlais du fait que je suis en train de travailler et que je ne vais pas prendre avec moi n'importe quel individu qui décide de m'engager dans mes missions.

- Écoutez, je vous ai attendu pour que nous fassions le chemin ensemble. Si vous refusez, je partirais de mon coté et me débrouillerais pour vous rejoindre.

Je croisai les bras sous ma poitrine.

- Vous n'avez aucun justificatif. Vous ne pourrez pas sortir.

- Au risque de vous décevoir, j'ai bien réussi une fois, je réussirais une deuxième fois.

Il avait ce sourire malicieux. Il savait ce qu'il faisait, et il était déterminé. Baisant les bras et levant la tête vers le ciel, je comptais jusque dix, me rappelant qu'en soit, comme je l'avais si bien expliqué à Ruben, il n'y avait aucun danger.

- Il faut que vous sachiez que j'ai avec moi l'ours métamorphe, un serpent et un renard, expliquai-je en lui prêtant mon coude pour le guider.

- Métamorphes ? Quelle drôle d'association.

- Rajoutons à cela un déficient visuel et une humaine avec une surdité peu présente, je trouve que nous formions l'une des meilleures troupes.

Chacun de mes compagnons approuvèrent en poussant un son, faisant ainsi sursauter Arty. J'eus un petit sourire. L'année passée m'avait permise d'être moins à cran lorsque mes compagnons se trouvaient à mes côtés. Le temps d'adaptation avait été relativement long cela dit. Une bouffée de compassion pour Arty embrassa mon cœur.

Plus nous approchions du poste de sécurité, plus un malaise s'installa dans le creux de mon ventre. Je n'avais pas eu conscience jusqu'ici que rencontrer l'un des hommes les plus puissants dans le monde magique et l'un des hommes qui me poussaient le plus à la violence, me rendait si nerveuse. J'aurais pensé que je serais plus énervée par le fait que je sois dans l'obligation de rendre des comptes.

Arrivant à la fenêtre du poste de sécurité, je constatai qu'il existait une autre personne que je ne souhaitais éviter. Soyons sincère : je ne voulais pas l'éviter, je rêvais de rayer son existence de la surface de la terre. L'univers même. Serrant les dents et croisant les bras, je fusillai du regard l'homme de l'autre coté de la vitre. Ce dernier remarqua ma présence, puis, en constatant qui le dérangeait, sourit. Son sourire n'atteignit pas ses yeux et respira la malice. Et pas dans le bon sens du terme. Il émanait toujours autant de violence de sa personne. Ses cheveux coupés à ras ne faisaient qu'accentuer ce point ainsi que son visage aux traits durs.

- Depuis quand t'occupes-tu des frontières ?

Son sourire disparut. Oh, il n'y avait aucun doute, il ne m'aimait pas du tout. Ça tombait bien, moi non plus. Après tout, je le jugeais responsable du dévoilement des êtres magiques.

- Toujours propriétaire de la « Taverne du Dragon » ? rétorqua le second d'Isotz Hautz, Arthur.

Je tiquai. Il savait que je n'étais pas la propriétaire de l'enseigne quand nous nous étions rencontrés pour la première fois.

- Oui. Ce fait n'a pas bougé depuis l'année dernière. Et ce, même après que tu es donné une vidéo compromettante. Tant d'efforts pour gâcher la vie d'autrui, mais tu n'as presque pas eu d'effet sur la mienne. N'est-ce pas triste ?

Se penchant vers la fenêtre ouverte du poste, Arthur se rapprocha de moi et chuchota, me donnant l'impression d'être dans une confidence.

- Ça peut s'arranger. Il me semble qu'à chacune de mes interventions dans ta vie, tu n'étais pas dans un état physique des plus optimales.

Je l'abhorrai. Alors que je m'apprêtais à l'enchainer, Kael tira sur mon pantalon, me rappelant à l'ordre instantanément. J'eus un peu honte que De Chantaine aies assisté à ce dialogue.

- Pourrais-tu ouvrir la porte s'il te plait ? J'ai du travail à faire, comparé à d'autre. Un qui ne nécessite pas d'envoyer à l'hôpital quelqu'un, dis-je en souriant.

Il me sourit chaleureusement, nullement honteux de ses attitudes contre moi. Il lança un regard peu amène à mes compagnons puis riva une nouvelle fois les yeux vers moi.

- Décris-moi ton « travail » et la raison pour laquelle tu es accompagné d'autant de personne.

Un silence suivit cette déclaration. Tandis que Ruben sifflait en discontinue, se redressant sur son corps, fusillant du regard Arthur, j'haussai les sourcils.

- Il me semble que tu n'es pas Hautz et si je dois rendre des comptes à quelqu'un, tu ne serais pas cette personne.

Son sourire revînt, jetant un froid en moi. J'essayai de ne pas lui montrer qu'il m'effrayait, mais je savais qu'on ne pouvait mentir à un vampire. Le battement de mon cœur devait être frénétique.

Arthur disparut de mon champ de vision avant d'y réapparaître juste à côté de moi. Il avait ouvert la porte avec une lenteur mesurée, histoire de faire monter en flèche mon angoisse. Il savait y faire, il devait même savoir à quel point les Vampires n'avaient pas une bonne place dans mon cœur. Il savait que je m'attendais à ce qu'il utilise sa vitesse que je pensais surhumaine.

- Je remplace Hautz le temps de son absence et je tiens à faire mon travail comme il se doit.

- Où est-il ? me coupa Arty.

Se faisant, il me rappela qu'il était là. Ce qui signifiait que je ne pouvais décemment pas mettre mon poing sur le visage d'Arthur. Et ce, malgré le vampire qui ne daigna pas répondre. Ou regarder mon compagnon de voyage.

- Où allez-vous ? insista-t-il.

- Voir l'alpha des ours, finis-je par avouer. Après tout, je n'avais pas tout le temps du monde.

- Pourquoi ?

- C'est confidentiel.

- Pas pour moi.

Je souris sans répondre. J'avais certes peur de lui, mais je ne voyais aucun problème à le prendre pour un abruti. Je devenais téméraire quand le stress coulait dans mon sang. Il croisa les bras et son regard devint glacé.

- Je te pose la question pour ta sécurité, pour le protocole et par obligation, déclara-t-il avant de laisser un silence s'éterniser. Mais, il se trouve que ta sécurité m'importe autant que l'existence des humains.

La grille contrôlée par le poste s'anima. Le vampire n'avait rien dans les mains et je compris qu'il n'y avait personne qui l'accompagnait à l'intérieur de la bâtisse. Me pencher sur les pouvoirs qu'obtenaient les vampires me sembla soudainement une idée brillante, une idée que j'aurais dû avoir depuis un moment. Je gardais cette dernière dans un coin de ma tête alors que j'aidai De Chantaine à passer la barrière. Je me retournai une dernière fois pour lui demander où était passé son chef bien aimé. Il me fixa.

Connard.

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