1.4

Je relevai la tête vers Arty. Sa mâchoire était tendue. Il ne tremblait pas, mais j'avais l'intime conviction qu'il l'avait fait chez lui, à l'appris de tout regard. Je croisai les bras.

- J'ai deux questions, énonçai-je. Il y a quelques semaines, j'ai eu affaire à une Hyène qui refusait d'opérer un changement. Ça compliquait ses relations avec les humains dans le sens où elle devenait de plus en plus agressive. Des humains ne cessaient de se plaindre au téléphone. L'Alpha des Hyènes refusait de la tuer pour diverses raisons, elle a alors fait appel à moi.

- Les métamorphes ont besoin de se transformer, sinon ils finissent par craquer et rien de bien n'en sors, expliquai-je. Soit, ils perdent toutes notions d'humanité, soit ils perdent toutes notions de sauvagerie. Si, nous en tant qu'humain nous ne voyons pas de problème au fait d'être tout à fait civil et sans once d'animalerie en nous, pour les métamorphes, c'est une toute autre histoire. Abandonner sa nature animale équivaut à se suicider dans notre cas. Ils donnent à tout métamorphes le droit d'attaquer le « maillon faible ». Ce n'est pas ouvertement dit, mais dans les faits, cela reste le cas.

- La Hyène refusait de se transformer. La première chose qu'elle m'a proposé lorsqu'elle m'a rencontré fut un jogging. Le fait qu'il n'arrête pas de demander qu'il souhaite courir me fait penser qu'il ne s'est pas transformé depuis très longtemps. Quand était-ce la dernière fois qu'il a changé ?

- Deux jours avant qu'il ne disparaisse, expliqua Arty.

- Deux jours ?! Impossible. Il n'aurait jamais eu autant besoin de se transformer en deux jours.

- C'est pourtant le cas, nous passions tous les deux jours à regarder un film chez nous. Moi en étant moi, lui en étant un Ours.

Bizarre. Pourquoi ressentirait-il le besoin de changer s'il l'avait fait deux jours auparavant ? Après avoir jeté un rapide coup d'œil à José, je regardai attentivement Arty, essayant de trouver une réponse à cette question sur son visage. Mon regard s'attarda sur la marque au cou d'Arty. Ah oui. Mes poings se serrèrent inconsciemment.

- Deuxième question : qui t'a serré le cou ainsi Arty ?

Il haussa les sourcils et recula légèrement. Ah. Je n'avais pas su garder ma colère pour moi. Je devais encore travailler sur la maîtrise de mes émotions.

- Il a dit « Alpha ». Alors je suis allée voir l'alpha des Ours.

Il suintait la colère.

- Et tout ce chemin pour qu'il me dise quoi ? Qu'il ne connait pas mon compagnon. Pour dire quelques instants plus tard que mon compagnon ne voulait juste plus me voir, qu'il avait fui pour ne plus me faire face. Comme j'insistais, l'alpha des Ours a finit par s'énerver et m'a gentiment demandé de ne plus me mêler d'affaires qui ne me regardaient pas, qui ne me concernaient pas, qu'il pourrait m'arriver malheur si j'en parlais à quiconque. Tout ça, en ayant plus pied sur terre bien sûr.

- Oh... Vraiment ? Il a dit tout ça ?

Ma voix était tout ce qui avait de plus mielleux dans ce monde. Le prédateur à côté de moi ne s'arrêta pas de gronder pendant toute la conversation. L'agression sur humain par un Alter était puni plus sévèrement dans les lois tacites des créatures magiques que par la loi humaine. Qu'un alpha se soit permit de commettre un tel impair était révélateur de l'ampleur du problème. Par ailleurs, si monsieur De Chantaine avait eu un soupçon de magie en lui, l'ordre donnait par l'alpha l'aurait empêché de demander de l'aide. Je ne savais pas ce qui avait pris à l'alpha, mais j'allais bientôt le savoir. Et j'allais discuter avec lui des manières d'accueillir un humain en détresse.

De Chantaine bougea légèrement. Crotte, j'avais encore des progrès à faire quand il s'agissait de cacher mes émotions, semblait-il. Je me repris rapidement.

- Je suppose que tu veux que je me mette à la recherche de ton compagnon ?

Il hocha la tête.

- J'ai déjà essayé la police et les détectives. Puisque les relations entre Alters et forces de l'ordre ne sont pas bien définies, ils ne peuvent ou veulent pas intervenir. Et demander de l'aide aux métamorphes ne m'a pas beaucoup aidé.

Je grimaçai, compatissante. Dire que les relations Alters-humains ne respiraient pas le bonheur était un euphémisme. Alors les force de l'ordre... D'après nombre d'entre eux, qui évaluent le monde à travers un baromètre de dangerosité, accorder aux êtres magiques les mêmes droits que les humains, revenait à se tirer une balle dans le pied et à ce que ce soit le début de la fin de l'humanité. Je comprenais la frustration des Alters qui, pour la plupart, voulait juste vivre en paix. Pour ce qui était des détectives... J'avais eu affaire un jour à l'un d'eux. J'optais pour un cinquante/cinquante quand j'en voyais un. Soit, ils pouvaient être tellement ouvert que ça en devenait du fétichisme, soit ils étaient aussi fermé qu'un coffre-fort dans une banque au système de sécurité impeccable. Je devinais qu'il avait du tomber sur ces derniers.

Faire un travail d'enquêteur n'était pas dans mes consignes de travail. Un soupir silencieux m'échappa quand je regardai le jeune homme. Je n'avais jamais refusé une affaire, et ce jour ci n'était pas encore arrivé. Je lui demandai à quoi ressembler ce dernier et il me montra grâce à son appareil de haute technologie une photo de ce dernier. Vint alors ce sentiment de catastrophe.

La magie de la Taverne afflua vers moi, et je ressentis dans ma poitrine quelque chose se tendre, comme pour m'arracher quelque chose. Mes lèvres fourmillèrent, me démangèrent férocement mais je continuai à les garder sceller. Je me tins à la table de mes deux mains tant la douleur m'avait pris de court et était forte. Je serrai la table et mes lèvres tellement fort que je fus surprise que rien ne se brisa. La magie de la Taverne insista, tira, me bouscula. A l'intérieur de moi, le chaos se déchaina et je le devinai sans même y jeter un coup d'œil. Oh, je savais pertinemment ce qui se préparait et je n'appréciais absolument pas. La dernière fois que je dus prononcer une Volonté sous la magie, je fus forcé de tuer quelqu'un à mains nus. Je l'avais mauvaise mais j'étais capable d'apprendre de mes erreurs. Il était hors de question que je me fasse avoir encore une fois. Je voulais avoir le choix, nom d'un hippopotame !

Des pas lourds résonnèrent dans le creux de mes oreilles mais je mis longtemps à comprendre qu'il s'agissait de José qui, manifestement, tournait en rond et grondait. Je repoussai la magie comme je pouvais mais j'eus des hauts le cœur qui me coupaient net dans ma détermination. En levant les yeux, je vis la bouche d'Arty bouger mais aucun son me parvint. Je lis sur ses lèvres et malgré la pénombre, je compris qu'il s'inquiétait.

- Vous allez bien ?

Prise de court et touchée par sa compassion, je baissai involontairement ma garde et ouvris la bouche. Ce qui en sorti, ne fut pas ce que j'avais l'intention de dire.

- Je jure, moi, Ushma Rowtag, alpha de meute, agent de liaison, propriétaire de terrains magiques, de ramener le compagnon d'Arty de Chantaine et par la même occasion de mettre un terme à la source du problème, de façon définitive.

Comme elle s'était manifestée, la magie disparue aussi rapidement. J'eus l'impression d'avoir la poitrine un peu plus remplie, plus lourde, comme si un poids s'y était logé. Sans mon consentement. Encore. Je jurai. En fait, je m'appliquai à sortir tous les jurons que je connaissais, dans toutes les quelques langues que j'avais apprisse, voire je les mélangeai entre eux, afin d'avoir plus d'impact. Je finis par m'épuiser. Je pouvais haïr la magie quand elle me poussait à émettre une volonté. Et vraiment, cette volonté-là, je m'en serais passé.

- En voilà, une sacrée promesse. Je n'en demandais pas tant.

Sans blague. Moi, je lisais entre les lignes et s'il s'avérait que la fuite du métamorphe soit à cause de de Chantaine, je doutais qu'il puisse survivre très longtemps. J'avais l'intime conviction que « mettre un terme définitivement » à quoique ce soit d'humain signifiait tuer quelqu'un. J'allais devoir ruser pour ne pas à avoir à tuer quelqu'un. Je ne serais pas responsable de la mort de quiconque, je m'en faisais le serment. Mon dernier meurtre me hantait toujours autant et il m'était vraiment difficile de faire affaire avec des démons, Evi comprise. J'avais beau, l'aimer comme je le pouvais, il m'arrivait de me rappeler qu'elle faisait partie de l'espèce qui avait déclenché tout ce chaos. Une vague de haine se déferlait en moi, rapidement suivi par un sentiment de honte. Je ne devais pas rejeter le meurtre sur quelqu'un d'autre et je ne pouvais pas détester toute une espèce à cause d'un cas isolé.

Il n'empêchait, je n'avais jamais rencontré d'autres démons. Peut-être les mettais-je inconsciemment de côté ?

- Eh bien, j'espère tenir cette promesse, indiquai-je, car j'ose imaginer ce qui se passerait dans le cas contraire.

José, sur le côté, hocha la tête, de cette façon bien trop peu humaine. Il semblait presque maladroit, le pauvre. Nul ne se trompait sur ce fait, ceci-dit.

Je me levai, estimant en avoir fini avec cette conversation et la Taverne. Cette dernière se faisait d'ailleurs toute petite maintenant qu'elle avait obtenu ce qu'elle voulait.

- Où allez-vous ? fit Arty, ayant sûrement compris que je partais avec le raclement de mes semelles.

Le regardant par-dessus mon épaule, je jaugeai la quantité d'informations que je pouvais lui donner. Mais, comme des résidus de rancœur mal placée s'étaient figés quelque part en moi, je lui révélai ce que je comptais faire.

- Commencer à m'occuper de votre affaire, et la meilleure façon de le faire c'est de poser les bonnes questions aux bonnes personnes. Si votre compagnon est parti quelque part, commençai-je, il a forcément dû traverser le Sud de la ville. Il y a deux personnes qui savent qui passe et qui part du Sud de Vy. La première est l'alpha des Hyènes. Je vais donc aller lui poser quelques questions sur votre partenaire.

Je m'apprêtais à partir quand il m'interrogea.

- Et la deuxième personne ?

Je grimaçai.

- Quelqu'un que j'aimerais vraiment éviter dans ce bas monde.

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