9.3

- J'ai déjà commencé à lancer le programme, dit Ahmed en se frottant les yeux, épuisé. Il est possible qu'il ait déjà récupéré quelques enregistrements, les plus faciles à trouver. Je n'ai pas pu cibler les caméras souhaités : ça aurait été bien plus long, plus lourd et... et j'n'suis pas de la police.

-Où puis-je trouver les enregistrements ?

Je remontai mes lunettes de soleil, essayant d'ignorer du mieux que je pouvais les lignes grises et magiques d'Ahmed. Elles étaient branchées aux différents objets technologiques de la pièce et ne bougeaient pas. Dans mon esprit, la magie se mouvait sans cesse. Elle laissait des résidus derrières les individus magiques : elle essayait d'attirer toutes personnes dans les environs en les frôlant, les attachant, les aveuglant – j'avais pu voir avec horreur que des fils de magies pouvaient s'enrouler autour de la tête nous aveugler. La suite avait été très simple : la personne voyait moins bien. Ça n'avait duré que quelques instants mais ça avait été intéressant pour ma culture magique. La magie qui demeurait dans certaines places , fourmillant sans cesse, demandait de l'attention qu'elle n'avait pas à cause de la cécité magique humaine. Elle faisait tout , absolument tout, pour qu'elle soit remarqué. C'était impossible mais moi j'avais vu ses échecs tout le long du chemin entre mon immeuble et l'atelier du pirate.

J'étais donc habituée à la voir active. Ici, la magie grise liée à l'informaticien, était immobile. J'étais donc crispée et nerveuse. Ahmed s'étira en baillant, les fils se détendant à son action avant de se rétracter.

-J'ai mis un fichier sur l'ordinateur. Il regroupera les vidéos non visionnés.

Il sortit un petit ordinateur, tout mignon et adorable. La manière dont Ahmed tenait cet objet m'indiquait plutôt que c'était un objet précieux, plus inestimable que mignon.

-J'ai aussi mis un autre fichier pour les vidéos lus. Tu pourras les ré-visionner. J'ai fait sous forme de fichier pour que ce soit plus simple pour toi. Le nom des vidéos corresponds aux noms de rues. Principalement.

Il fit de la place dans son grand bureau rempli d'éléments d'ordinateur, de télécommande – j'avais aperçu le boîtier – en balayant ici et là du bout des doigts. Le computer rentrait pile poil dans le maigre espace qu'il avait fait. Il bâilla encore une fois et je vis ses yeux luter pour rester grands ouverts. Il réussit tout de même à me montrer comment marchait son bébé – je savais bien qu'il pouvait monter un ordinateur, et après tout comment un mini computer pouvait être encore d'actualité alors qu'ils avaient tous été retirés du marché ? Il me donna alors les clés de son atelier.

-Ça a été un enfer de faire ce truc et je suis arrivé à un niveau d'épuisement impressionnant . J'espère que tu découvriras les complices . Je te laisse les clés, de toute façon tu pourras pas aller bien loin si tu voulais voler mon matériel.

Et soudainement, sans prévenir, les lignes grises se brisèrent d'un coup, ne laissant plus que place à la normalité. Je retins mon cri de surprise et ne prêtai pas plus d'attention au jeune homme. Une porte claqua mais mes yeux restèrent rivés sur la disparition magique.

Je m'installai correctement sur le siège, et ouvris le fichier contenant les vidéos non-lus. Je gémis en voyant , qu'effectivement le nom de rues concordaient parfaitement avec le nom des enregistrements. Je soufflai en regardant l'heure. L'outil affichait midi, et je savais que j'allais rester dans cet antre pendant longtemps. Et de toute façon, ce n'était pas comme si j'avais quelque chose d'autre à faire. J'allai sur le Net pour imprimer une carte de la ville : il était hors de question d'envisager regarder des vidéos d'endroit se situant à trente mille lieux des crimes commis.

Le ronron d'une imprimante rugit dans la pièce et je m'empressai de prendre la carte. En étudiant les dispositions des rues de Vy, j'eus envie de tuer la personne responsable de ce merdier. Je ne savais pas qu'il y avait autant de rues qui portaient la même appellation. Ou qu'il n'y avait qu'une seule lettre qui était modifiée. Les maisons concernées par les crimes furent marquer par une croix rouge : je me souvenais encore des cris, des pleurs, et des refus de m'adresser la parole. J'entourai des quartiers entiers pour définir quelles étaient les rues que j'allais regarder.

J'étais assez fière de moi : avoir regardé des programmes policiers dans l'établissement de ma « réhabilitation » fut enfin bénéfique.

Je redressai enfin ma tête après avoir mentionné tout ce qu'il y avait à mentionner. Des nouveaux fichiers étaient apparus au cours des deux heures qui s'étaient écoulées. Je regardai les noms des fichiers et éliminai ceux qui ne m'intéressaient pas. Ce fut long car je devais toujours vérifier si la rue n'entrait pas par mégarde dans les différents périmètres que j'avais préparé.

Je cliquai sur la première bande vidéo. Elle représenta une rue que j'avais déjà emprunté. La date mise en haut à droite indiquait que c'était un jour avant le troisième meurtre. J'avais un avantage face à la police : je savais ce que je devais chercher. Un groupe composée de cinq individus aux tenus étranges. Je mis une avance rapide : examiner risquait d'être très long, et je voulais absolument ne pas prendre trop de temps.

Le troisième jour de mon investigation, je croulai sous la fatigue. J'essayais de dormir le moins possible pour regarder le plus d'enregistrements. Alors, lorsque je cliquai sur un fichier destiné à être lu, je sus instinctivement que je m'étais trompée. Pour commencer, la rue ne me disait rien : elle ne devait même pas faire partie des quartiers intéressants. De plus, quand la première image s'afficha, je ne vis que deux personnes dans l'allée. Il était tard sur la vidéo. J'aurais du fermer.

Malgré ma fatigue, j'avais toujours mon aptitude spéciale. C'était plus une déformation professionnelle mais aptitude était bien plus vendeur.

Lorsqu'on travaille dans un lieu public comme un café, on est obligé de se souvenir de qui à pris quoi. On doit observer notre client pour se rappeler de sa commande. « L'homme blond » ou la « femme rousse » sont des appellation qui ne marchent en général pas.Il faut des détails qui ne sont que repérable pour des personnes observatrices. La démarche, les gestes, les tics, la prestance de la personne... Tout ça contribue à nous aider à nous ressouvenir de qui prends quoi. Évidemment, il existe des phrases mnémotechniques en rapport avec la commande et le client pour retenir.

J'avais une phrase toute faites pour Alain : gestes pataud, éléphant lourdaud. Il était un peu enrobé, et ce n'était pas vraiment gentil de ma part de critiquer son profil. Mais il était bel et bien lourd : chaque jour il se permettait d'envahir ma vie privée : "que faites-vous ?" , "Ou êtes vous ?", "Dormiez-vous ?". Mais la plus angoissante des questions restait tout de même : "Vous serez là lors de la prochaine réunion ?". Il arrivait à faire ça chaque jour. Lourd.

Bien que l'éclairage de cette ruelle était merdique, je le reconnus. Il était en grande discussion avec un autre homme. Celui-ci avait une carrure plus importante qu'Alain. Il se tenait droit, dans ce qui semblerait être des bottes de combats. Je plissai les yeux en me rapprochant de l'écran. J'en profitai pour ralentir la vidéo. C'était bien des bottes de combats. Elles étaient accompagnées d'un treillis noir.

Les personnes bougeaient. Constamment , même quand ils étaient supposés parler tranquillement avec quelqu'un. Un mouvement de main pour éclaircir les propos, la position du corps qui permettaient aux plus experts de lire en eux, un mouvement de tête pour affirmer,confirmer, se remémorer un événement. Personne n'était immobile.

Sauf les vampires.

J'estimais que c'était plus un conditionnement qu'une nature propre. J'avais vu des vampires sur la chaussée : quelques uns bougeaient. Mais ceux qui étaient restés inactifs lors de discussions logeaient dans le domaine de monsieur Hautz.

Ce fut l'illumination. J'avais en face de moi le fils de chacal.

Alors que je me remis de cette révélation et des implications qu'engendrer cette rencontre, le fils de chacal tendit finalement la main vers Alain. Celui ci pris quelque chose et s'en alla d'un pas tranquille, les mains dans les poches.

Les mains devant moi, en signe de prière silencieuse, je me mis à suer alors que la vidéo continuait de tourner. Alain était un extrémiste, et ce peu importe comment il se voyait – libérateur,protecteur, assureur d'une prospérité humaine... Je me méfiais sans arrêt de cet homme même si je lui souriais très fort. Je ne disais jamais rien qui puisse poser problèmes aux alter-humains. Jamais une insulte, rien.

L'objet qu'il avait reçu me donnait des sueurs froides. Le manque de sommeil et d'appétit n'y étaient absolument pour rien. Mon instinct m'hurlait dessus sans cesse. Sans même réfléchir, je composai le numéro correspondant au domaine de monsieur Hautz. La voix qui me réceptionna ne fut pas celle du propriétaire mais celui d'un emmerdeur de première. Certaines voix ne s'oubliaient tout simplement pas.

-Qu'est ce que tu as donné à Alain Duerr, espèce d'abruti ? , beuglai-je.

Il eut un silence . Je réalisai alors que j'étais vraiment, vraiment épuisée. S'il avait voulu que ça se sache, il n'aurait jamais été dans une ruelle sombre. Il n'aurait pas fait en sorte de tourner le dos à l'unique caméras du lieu. Je raccrochai avant même d'avoir une réponse.

Je venais juste à l'instant de me placarder une cible dans le dos.

-Putain, hurlai-je dans le vide en me tirant les cheveux.

J'envisageai de partir à l'étranger l'espace d'une microseconde. Puis je sus qu'il me retrouverait. Alors je restai, cliquant même sur la prochaine vidéo. Je ne comptais pas demander à Alain ce qu'il avait reçu :un chef extrémiste ne s'accoquinait jamais avec l'ennemi sans une bonne raison. Une excellente raison qui lui était profitable. Bizarrement, j'imaginais sans mal Alain m'éliminer parce que j'étais devenue gênante. Cette question risquait d'être gênante.

L'image de la prochaine vidéo attira mon attention encore plus que nécessaire : il s'agissait de l'enregistrement du jour du meurtre numéro cinq. La caméra filmait l'allée. J'y apercevais la maison de la victime. Les passants se succédèrent au fur et à mesure. Parce que c'était monotone, je faillis ne pas voir la répétition de la boucle. Je revoyais les même personnes, les même chiots traverser la chaussée. Je dus m'y reprendre à deux fois pour trouver la marche arrière.

Je supposais qu'on ne débutait une boucle d'une scène que lorsqu'on apparaissait à l'écran. Je mis la vidéo en route lentement en début d'après midi. Je me concentrai intensément. Aux alentours de quinze heures, la caméra grésilla une seconde avant de commencer à faire apparaître des individus précédemment vu. Je mis en pause ma précieuse bande visuelle. L'effort de réflexion qui suivit fut le plus puissant de ces derniers jours. Ahmed m'avait expliqué comment je pouvais voir image par image. Il y avait une petite manipulation à faire et plus je m'en souvenais, plus je procédai à l'exécution de cette manœuvre.

Les images se suivirent les unes après les autres. Je tombai alors sur l'image qui m'intéressa. Je poussai un petit cri en atterrissant sur mes pieds sous la surprise. La chaise tangua puis s'échoua sur le sol, produisant un bruit monstrueux. Je ne fis pas attention.

Sur l'écran, je voyais six personnes. Je connaissais les cinq personnes : Abruti numéro 1 et 2, et deux habitués de l'organisation, L'Humanité, et la victime inconsciente dans les bras d'abruti numéro 2. La sixième m'était inconnue. Elle était petite, portait une robe longue blanche tachée de rouge. Ces cheveux paraissaient bien plus que sale. Ses mains semblaient ballantes mais elle faisait des signes avec ses doigts. Elle tourna brusquement la tête vers la caméra, de la terreur – un appel à l'aide– dans les yeux. Puis ils disparurent et la boucle apparut.

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