8.2

Ilona était une femme forte. Sa chevelure brune,coupée comme un garçon, mettait en valeur son visage rond. De fines pattes d'oies décoraient les coins de ses yeux. Son teint était parfait et ce n'était même pas dû au maquillage. De magnifiques rondeurs la sublimaient : bras, ventre, hanche, cuisse. Son corps était harmonieux et cela tombait bien puisqu'elle était en paix avec ce dernier. Elle portait toujours de petites robes. Sexy ou fluides, fleuris ou monocordes.. Sa garde robe était diversifiée. Je n'avais jamais vu une telle variété. Ilona était une mère de famille célibataire. Ses deux enfants lui menaient la vie dure mais elle les adorait. Elle ne pouvait pas vivre sans eux, ce serait impensable : ils apportaient de la vie dans la maison avec leurs cris et leurs pleurs, leur disputes et leurs rires.

Ilona travaillait dans une petite agence qui marchait bien. Elle avait toujours des anecdotes par rapport à ses collègues et ses clients. La plupart du temps, j'y riais. Chaque fois qu'elle me voyait, elle commençait ses phrases par « Ushma, je ne t'a ipas dit ! ». Je l'aimais bien. J'aimais moins son patron qui critiquait son travail et ses rondeurs. J'appréciais son voisin qui faisait toujours la sieste quand elle lui confiait les enfants et qu'elle revenait du travail, tard le soir. J'étais toujours choquée de l'audace de son ex-mari qui essayait de revenir dans sa vie par le travail.

Ilona faisait partie de L'Humanité.

C'était ce qui m'étonnait le plus. La moitié des adhérents de l'organisation étaient des personnes tout à fait banales, sans histoire, sans casier judiciaire, sans comportement violent. Ils étaient tous des « Ilona », des individus charmants une fois qu'on leur prêtait un peu d'attention.

Ilona avait rejoint L'Humanité, il y avait de ça un an et pour des raisons bien précises. La première était qu'elle devait trouver un avocat pour son mariage. Son ex-mari ne souhaitait pas d'accord à l'amiable et ne voulait pas qu'ils aient un avocat commun pour le divorce. Grand bien lui fasse disait-elle. Elle avait cherché partout mais les avocats compétents étaient souvent des alter-humains affichant des tarifs exorbitant. L'Humanité, grâce à son réseau, une fois qu'elle l'ait rejointe, lui avait proposé un de leurs meilleurs avocats et surprise elle avait obtenu plus que ce qu'elle avait espéré. La deuxième raison – la plus importante –résidait dans son statut. Mère de deux enfants célibataire vivant dans une maison. Elle devait faire des économies un peu partout si elle voulait que ses enfants puissent encore profiter de leur foyer.Elle voulait acheter moins cher de la nourriture et L'Humanité le lui permettait. Son grand supermarché pour humain implanté dans Vy passait inaperçu pour les non-humains. La magie devait y être pour quelque chose.

Désormais, Ilona vivait bien à un détail près. Une hyène avait élu domicile dans son jardin depuis quelques mois,et Ilona supportait de moins en moins sa présence dans son paysage. Ilona ne savait pas comment se débarrasser de cette « chose qu'elle détestait ». J'étais persuadée d'une chose : elle ne haïssait pas vraiment les alter-humains. Tout comme les autres adhérents à l'Humanité. Comme la plupart des membres présents dans l'organisation, ils avaient eu tout au plus une mauvaise expérience avec un alter-humains. Et souvent, c'était relativement facile de régler le soucis. Mais comme ils étaient différents des humains , leur expérience était qualifiée de désastreuses et monstrueuses. L'exagération devait être de mise d'ailleurs.

J'avais pris une décision irrévocable : je devais intégrer L'humanité. Cela faisait déjà un mois que je participais activement aux réunions et on ne me faisait pas encore assez confiance sur la véracité de mon comportement pro-humains pour me proposer tous les services à dispositions de l'organisation. Et je savais pourquoi.

Je continuais de travailler dans un endroit dit« problématique ». Je côtoyais des alters au quotidien et cela dérangeait. J'étais donc venue à la conclusion suivante :je devais démissionner de la Taverne. Pour être franche, ça me brisait le cœur. J'aimais mes collègues, et cela faisait longtemps que je n'avais pas pu considérer des personnes comme des amis. Dire que j'allais les trahir de la pire des façons...

Mais avant d'exécuter mon plan, je devais au moins essayer de me sentir toujours moi-même. Et quoi de mieux que d'aider une jeune mère avec une hyène. Je ne savais pas vraiment comment j'allais gérer le problème mais je ne pouvais pas juste rester comme ça, à ne rien faire. En soi, Ilona voulait juste que la hyène parte et ce n'était pas une émotion raciste, juste un sentiment de violation de la propriété privée. Je pouvais faire quelque chose avant d'être l'une des leurs. Et qu'Alain décide d'éliminer la hyène à coup de fusils à pompe.

Je sonnai une fois. La maison se situait étonnamment dans le centre. Une petite allée décorée d'arbuste menait à elle et ça me changeait du domaine de monsieur Hautz. La maison n'était pas dotée d'étages et c'était compréhensible s'ils n'étaient que trois à y vivre. La porte s'ouvrit sur une jeune fille. Son regard blasé m'apprenait que je la dérangeais vraiment beaucoup et qu'il valait mieux que ce soit important. Avant que je ne puisse dire quoique ce soit, un cri de guerre retentit dans la maison. Une petite fusée apparut , dépassa la personne qui gênait l'entrée et se jeta sur moi. Je m'échouai lamentablement au sol, mon cosys hurlant une maltraitance inhabituelle.

-En garde ! Cria l'être infâme – adorable – présent sur mon ventre.

-Je me rends mon capitaine , fis-je en levant les mains au ciel . A mon avis, ils étaient plus parallèle au sol que perpendiculaire au ciel.

-M'Man ! Hurla la jeune fille en se retournant dans la maison. Ton fils s'est jeté sur une inconnue. Encore ! Et elle joue avec. Récupère le , j'ai autre chose à faire.

-Véronica Perdony ! Intervint une voix énervée. Tu vas parler sur un autre ton ou tu ne pourras plus faire grands choses dans cette maison.

-Oh ça va hein ! J'suis pas dans une prison que je sache, j'ai l'droit de faire ce qui me plaît.

-Moi vivante et toi vivant sous mon toit, tu respecteras mes règles, indiqua Ilona.
Elle venait d'apparaître vêtue d'un jogging et d'un vieux t-shirt trop large.

-Vivement que je me taille alors.

Elle disparut dans la maison et j'entendis une porteclaquée. Je grimaçai. Eh bah. Voilà les joies d'une famille.

Le petit garçon descendit de mon corps et je soupirai de soulagement. Je n'arrivais plus à respirer avec son poids sur mes poumons. Il courut dans les jambes de sa mère pours'accrocher à son jogging soudainement tout timide.

-Ce stratège ne prendra pas avec moi, jeune pirate. Je te connais trop bien. Tu t'excuses et tout de suite.

Un « pardon » marmonné dans sa barbe et le voilà qu'il filait à une vitesse surprenante. Une main envahit mon champs de vision. Ilona afficha un sourire contrit et j'acceptai avec joie cette aide pour me relever.

-Excuse moi. Pour ce petit... Spectacle. Et pour le tacle du petit.

-Ce n'est rien Ilona. Je n'ai même pas eu mal, mentis-je avec un sourire.

Elle acquiesça et m'invita d'un mouvement de la tête.

-Je te sers quelque chose où tu veux t'occuper de la... du truc dans mon jardin ?

-Ilona !

-Quoi ? Elle n'est pas humaine ni totalement hyène. Comment veux tu que je qualifie cette chose ?

Je secouai la tête découragée. Je n'allais pas changer un an de conditionnement. Je ne lui fis pas remarquer qu'elle aurait pu nommer l'être par ce qu'il était : un Métamorphe. J'avais déjà essayé et j'avais eu droit à un sacré sermon sur la manière que je nommais les "non-humains".

-J'aimerais la voir si ça ne te dérange pas. J'ai d'autres obligations.

Elle m'indiqua la baie vitrée à l'autre bout du couloir. Ce dernier donnait sur le salon qui était séparée de l'extérieur par la vitre.

-Je suis dans la cuisine si tu as besoin d'aide. Je dois préparer le gâteau de ces monstres et je n'ai pas encore fait la pâte. Tu es sûre que tu veux pas plutôt m'aider avec ça ?

Je la pointai du doigt , un sourire taquin sur mes lèvres.

-Tes enfants, tes problèmes.

-C'est vrai, c'est vrai , soupira-t-elle. Faites des enfants qu'ils disent tous.

Elle partis vers ce qui me sembla être la cuisine. Je ne perdis pas de temps et alla directement vers jardin. Je n'eus même pas besoin d'atteindre l'arrière de la maison pour voir la hyène.

Le pelage d'une hyène tirait sur le marron et le jaune. Parfois, tachetée ou rayée, une hyène était faite pour la savane. Elle pouvait s'y fondre à souhait à travers les grandes herbes sèches, les racines et les troncs d'arbres grâce à la robe qu'elle portait. C'était un avantage intéressant mais pas unique.

Dans ce jardin coloré de vert, par l'herbe, par les feuilles, par les fleurs, la hyène détonait. Par ailleurs, elle n'essayait pas vraiment de se cacher. Elle était bien visible, comme si elle voulait montrer sa présence dans ces lieux.

Ilias, le petit garçon, jouait dans le salon avec ces nombreuses figurines. Le jardin affichait un soleil éblouissant et il ne faisait pas trop chaud. Tout enfant normalement constitué serait allé jouer dehors. Je devinais que la présence du métamorphe dérangeait non pas que la mère mais aussi les enfants.

Sans plus tarder, j'ouvris la fenêtre. La hyène tacheté était au cœur du petit espace. Elle me regardait , attentive. De ce que j'avais vu des documentaires animaliers que j'avais abusé après mon « accident », les hyènes étaient d'excellents chasseurs en meute. Et même si elles se nourrissaient de charognes, elles se défendaient très bien en terme de chasse comparées aux autres animaux de la savane. Ce n'était pas pour rien que les lions étaient leurs principales adversaires. Le museau de cette hyène était noir et pointait vers moi comme pour me sentir. Elle ouvrit la gueule et ricana. Devais-je préciser qu'une hyène ne ricaner que si elle trouvait de quoi se sustenter ?

Je refermai la fenêtre, laissai tomber mon petit giletfin sur le sol, et m'avançai à pas de loups vers la métamorphe. Cette dernière se redressa. Son arrière train plus bas que l'avant de son corps devait m'arriver à hauteur de hanche. Bien. J'avais affaire à une hyène plus grande que la norme. Je supposais que tout métamorphe devait être un peu – beaucoup – plus grand que les animaux normaux. Ceci dit, je n'étais pas vraiment ravis de cette information : le haut de son corps atteignait sans problème ma gorge.

Elle baissa sa tête prête à foncer sur moi. Bien que je fléchisse mes jambes pour prévoir une éventuelle fuite, je présentai mes mains paume en l'air comme en signe de paix.

-Doucement, chuchotai-je. Je ne suis pas venue ici pour te faire du mal. Je voudrais simplement te demander si tu ne pouvais pas ne pas élire domicile dans ce jardin.

Elle hurla et s'avança d'un pas. J'eus soudainement un coup de chaud et reculai d'instinct. Je n'avais aucune chance de m'en sortir si jamais elle m'attaquait. Il semblerait qu'elle ne soit pas d'accord pour partir. Rester à savoir pourquoi. Elle tourna autour de moi et je fis de même. Je ne serais pas dos à elle, il en était hors de question. Je la pointai du doigt. Il me fallait qu'elle soit humaine pour qu'on puisse discuter .

-Tu ne peux pas m'attaquer. Tu as des crocs, des griffes et une vitesse de pointe impressionnantes alors que je n'ai que mes mains et mes jambes. Ce ne serait pas équitable si tu le faisais.

Elle se redressa et me montra les dents. Je priai l'espace d'un instant. Je souhaitais qu'elle ait un égo sur-dimensionné sinon j'étais bonne pour servir de repas.

Sous son pelage, je vis des mouvements inhabituelles. Des os sortirent de leur cavité. De la peau s'entremêla avec de la fourrure à quelques endroits. Des jambes apparurent à la place des pattes. La métamorphose était éprouvante et longue. Je détournai le regard pour éviter de vomir. Il n'y avait rien de beau dans ce processus. Au fond de moi, j'étais quand même soulagée. Je venais d'augmenter mes chances de survies même si la personne ayant pris l'apparence d'une hyène devait rester quand même plus forte que moi. J'étais passée de : cent pourcent de chances de mourir à soixante dix pourcent. Une quinzaine de minutes passa et je décida id'enfin connaître mon adversaire.

Une femme nue se dressait devant moi. Elle avait la même chevelure que Nahdya, impossible de déterminer la couleur. Grande, mince, une peau tirant plus vers le doré que le blanc, des yeux noirs, elle fléchissait déjà les jambes, prête à se battre.

Je me redressai et adoptai une position des plus calmes. Je ne cherchai pas à me battre.

-J'aimerais comprendre pourquoi tu voudrais reste ici. Tu dois avoir une maison quelque part. Vivre dans le sud même. Pourquoi être ici ?

Elle garda le silence. Elle continua de m'observer, prête. Bien. Si elle voulait jouer, on allait jouer.

-Tu effraies les habitants de cette maison. Tu prives les enfants de leur terrain de jeu. Tu violes la propriété privée. Il vaudrait mieux que tu expliques ta présence ici. Tu risques soit de mourir sous les coups d'un fusils, soit d'avoir un procès sur le dos, soit... d'avoir des problèmes avec ton Alpha.

Elle frissonna. Je pus le voir, et je sus que j'avais touché un point sensible. Je décidai de m'en servir honteusement.

-Je parie que Nahdya n'est pas forcément au courant de ta nouvelle décision, mentis-je. Je me demande qu'elle serait sa réaction si elle venait à découvrir où tu sièges.

-Elle ne le saura pas si tu meurs, déclara la femme en face à moi.

Cependant, elle n'attaqua pas. Bien.

-Penses tu que je n'ai pas envisagé cette possibilité ? Peut-être ai-je donner le numéro de ton Alpha à la mère pour qu'elle la prévienne si jamais je ne survivais pas.

Elle croisa ses bras sur sa poitrine, mécontente.

-Que veux-tu savoir ?

-Pourquoi es-tu là serait un bon début.

Elle jeta un coup d'œil derrière mon épaule et je fronçai les sourcils.

-La vitre est bien fermée ? Demanda-t-elle.

Mon hochement de tête lui répondit. Elle poursuivit.

-Je protège les enfants.

-De quoi ?

-De qui plutôt. Du voisin qui est supposé les garder.

En voilà une nouvelle.

-Pourquoi ?

Elle soupira et s'assit sur le sol, les fesses sur l'herbe. Je préférais m'accroupir.

-Il y a de ça, quelques semaines, je passais dans la rue pour aller plus vite au travail. Les barrières n'étant pas hautes, et étant assez grande, je pus voir les enfants jouer. Ils étaient en train de crier - des cris de guerre -  et ça avait attirer mon attention. J'allais détourner le regard quand j'ai vu cet homme.

Elle cracha les derniers mots comme s'ils contenaient un virus. J'eus la chair de poule en supposant ce qui allait suivre.

-Ils les regardaient comme si... comme si... Comme s'il allait faire d'eux son quatre-heure. J'ai appelé mon agence pour poser des semaines de congés. Je me suis imposée face à lui sous forme de hyène. Il a pris peur et il est parti s'endormir. Depuis, je veille. Il est hors de question que ces enfants aient à subir des...Il est hors de questions que cet homme pose ses sales mains sur ces enfants. Ilias n'a que huit ans merde !

Les mains devant ma bouche et les yeux fermés , j'essayai de me maîtriser. Huit ans, c'était bien trop jeune pour recevoir des regards libidineux. En fait, un enfant quel que soit son age ne devrait jamais subir ce genre de regard. Je relevai la tête, les yeux rencontrant ceux de la métamorphe.

-Pourquoi n'as tu pas tout simplement dit à la mère ?

-La première nuit, elle est venu avec un couteau à la main et m'a crié dessus pour partir de chez elle. D'après elle, j'étais une « bestiole de Satan qui ferait mieux de disparaître ». Je n'allais certainement pas le lui dire après de tels propos. Les enfants ne méritent pas mon désintérêt mais la mère mérite la peine qui va suivre quand elle l'apprendra.

C'était diabolique. Et méchant, des deux cotés. Je soupirai, me relevai et fis un mouvement de la tête en direction de la maison.

-On va lui dire. Et maintenant. Tu as et j'ai des obligations. Et cette mère doit savoir. En plus, poursuivis-je, les enfants devraient jouer dehors avec un temps pareil. Il est temps que tu leur rende leur espace.

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