-...dame. Madame ? Excusez-moi ?

Mes paupières se soulevèrent très lentement. Je relevai la tête du comptoir et les poils sur ma nuque se dressèrent à la vue de la femme en face de moi. Elle était charmante : Blonde, des yeux bleu, une jolie couleur rosé sur les joues, des tâches de rousseurs parsemant son visage.

La Vampire en face de moi était très jolie pour une femme au physique de la cinquantaine .

J'étais trop fatiguée pour avoir peur. Trois jours étaient passés et j'avais cumulée les nuits blanches. Pour travailler , ce n'était pas le top. Mais l'argent ne tombait pas du ciel. Et je devais payer le loyer.

Quelle plaie.

-Bonsoir. Que puis-je pour vous ?

Elle pencha la tête sur le côté et la magie de la Taverne commença à se réveiller. Je lui demandai de rester calme et elle m'obéit aussi simplement que ça. Eh eh ! Je comprenais le truc maintenant. La Vampire posa sa main sur ma joue et je ne reculai pas. Peut-être que ce manque de réaction devrait m'inquiéter. Peut-être.

-Pauvre enfant. Tant de fatigue dans un si petit corps. Souhaitez-vous un cadeau ?

J'appuyai ma tête sur sa main en fermant les yeux. Je voulais tellement accepter ce cadeau quel qu'il soit. Mais je ne pouvais pas. Et je le sus parce que Kael mordillait ma cheville comme pour me prévenir. Je forçai ma tête à se décaler.

-Ca ira. Mais merci de... proposer.

Ah. J'avais atteint un autre niveau de fatigue si je cherchais mes mots. Ses yeux ne brillèrent plus comme avant et elle hocha la tête.

-Dans ce cas... Pourrais-je avoir un café s'il vous plaît ?

Le temps que la liaison entre mes oreilles et mon cerveau se fasse ,Dron passa derrière moi pour le lui préparer. J'étais à la ramasse. Heureusement qu'on allait fermer.

Je partis nettoyer ce qu'il fallait laver. Je fis le robot...inefficace. Je trébuchais, faisais tomber des tasses et des cuillères, bousculais les personnes qui passés.

-Rentre Ushma, intervint José.

Je ne me fis pas trop prier. Je fus prête en un rien de temps. Je saluai tout le monde et fis même la bise à Jessica. Elle fit une drôle de tête, presque dégoutée mais je n'y prêtai pas attention.

Je sortis et le froid me donna une claque. Le printemps était là et les moments de fraîcheur aussi. Un « bzzz » surgit de nulle part et je me baisai par réflexe. Je regardai en l'air pour voir qui était l'auteur de ce crime. Mes yeux restèrent figés sur un petit appareil. Il était fixé sur la façade de la Taverne.

Une caméra. La Taverne avait une caméra.

Je me précipitai dans l'enseigne trébuchant presque sur Ruben. Tout le monde me regardait avec inquiétude.

-Depuis quand on a une caméra ?

Ils s'observèrent. Seul Dron me répondit.

-Ushma, cette caméra a toujours été là.

Ah bon ?

-Ah bon ?

Ils hochèrent tous la tête. Même les clients. J'étais à ce point lente d'esprit ?

-La caméra sauvegarde tout ?

-Non. Juste sur une petite période. Il me semble que c'est entre 3 et 4 mois.

-Tu es sûr de ça ?

-Pourquoi ?

Je voulais voir quelque chose.

-Et où on stocke ça ?

-Ushma...C'est dans le bureau de mamie Belevitch. Celui que tu occupes temporairement.

Je clignai des yeux. D'accord. Je m'étais refusée de fouiller dans ses affaires pendant tout ce temps, jugeant que ce n'était pas poli. J'allais faire une entorse à ma morale.

Je me dirigeai vers le bureau. Je devais voir absolument ces vidéos.

-Ush ! M'interpella José.

Je me retournai.

-Tu as besoin de quelque chose ? Un soupir s'échappa de moi.

-De mon cerveau. Et de thé. De beaucoup de thé. De préférence dégueulasse.

Assise devant le bureau d'Asda, je priais pour qu'elle n'ait pas mis de mot de passe sur son ordinateur. Actuellement, je n'étais pas assez intelligente pour le deviner. J'allumais l'engin. Un bruit sourd remplit la salle. Qui avait encore une tour de nos jours ?

Le bureau se mit en place et je levai les bras au ciel.

-Yes ! Merci Asda !

Je fouillai un peu et trouvai rapidement où étaient les sauvegardes. Je mis une vidéo en route juste pour observer la qualité et -Merci Asda - je ne vis pas de pixel.

Je lançai la vidéo correspondant au jour du meurtre. Je ne savais pas ce que je recherchais mais je voulais trouver quelque chose. Je n'arrivais pas à prouver que Joseph, le Vampire accusé, était innocent. Et ça devait pesant comme situation.

Durant les jours passés, j'étais partie le voir plusieurs fois. Une fois par jour, et évidemment je m'étais pris de sympathie pour lui. Comment un homme qui aurait craqué sous le poids de la soif de sang pourrait me parler ? Mieux, comment pourrait-il être coupable des séries de meurtres alors qu'il ne se rappelait même pas de qui étaient les victimes ?

L'enregistrement commença. Je me vis approcher l'enseigne ce jour-là. Tous ceux qui étaient présents s'agitaient, semblant chercher à m'empêcher d'entrer dans la Taverne. Je continuais à avancer, ouvrant la porte. Je sortis du champs de vision de la caméra et celle ci se mit à neiger un instant.

Mon entrée avait presque perturbé l'électronique. Ou était-ce la magie ?

Je vis Dron se précipiter vers la porte, et taper dessus. Ruben et Kael l'avaient suivis et essayaient de l'aider comme ils le purent. José ouvrit la bouche et j'essayai de lire sur ses lèvres. Ce fut impossible. Je n'avais pas l'agilité mentale nécessaire pour ce genre d'exercice. Dron reculait, la tête baissé.

Les heures passaient lentement et quelques passants traversaient la rue. Certains s'arrêtaient pour discuter avec les employés, d'autres ne regardaient même pas le magasin. Les employés partirent les uns après les autres et seuls Dron, José, Evi et Jessica étaient restés. Coeur sur eux, même sur cette saleté de Jessica.

Aux alentours de dix-sept heures, de l'ombre commençait à tomber . La caméra grésillait pendant cinq secondes et juste après mes compagnons, Dron, José, Evi et Jessica avaient disparus. Je me redressai du siège. Ça, c'était bizarre même pour mon cerveau fatigué. Je vis la petite enfant au T-shirt My Little Poney courir. Elle regardait par dessus son épaule , ouvrait la bouche comme pour crier et fuyait encore plus.

Joseph apparut sur la caméra et je gémis. Ce n'était pas ce que j'espérais. Il suivit calmement la jeune fille et finit par sortir de la caméra. C'était mauvais pour lui. Il semblerait que la petite le fuyait.

Il fallait lâcher l'affaire parfois.

Les passants qui suivirent étaient rares. On pouvait presque les compter. Certains étaient chaudement couverts : grosse doudoune noir, bonnet, manteau épais et écharpe. D'autres, la plupart en fait, étaient habillés léger.

Le temps passait et des gyrophares éclairaient les rues. Dron, Evi,José et Jessica reprenaient leur place et discutaient. Ils indiquaient la direction prise par la petite fille et Joseph. Ils tournèrent soudainement la tête vers la boutique. J'en sortis et j'arrêtai la vidéo ici.

Je connaissais la suite. Je soupirai et tapai plusieurs fois la tête contre le bureau. Joseph ne pouvait être que le coupable. Il était le seul à la suivre. Bon, peut-être pas le seul puisqu'il y avait les passants. Mais ils n'étaient que des passants, frileux comme pas deux.

Frileux ?

La voix de la Taverne résonna dans ma tête. Je ne sursautai même pas.

-Oui. C'est quand on a souvent froid. Quand on est très sensible à la fraîcheur. Je suis frileuse par exemple.

Ushma n'a pas souvent froid.

Je ricanai un peu.

-Bien sûr que si ! Ce soir il fait un peu froid et je suis sûre d'être la seule à le ressentir.

Ushma n'a froid qu'aujourd'hui. Pas avant.

J'hochai la tête comme si j'avais une personne en face de moi.

-C'est vrai, il fait très bon ici, même le soir.

Je poussai un petit cri.

Nom de nom.

J'étais frileuse ! La pire frileuse de ce bas monde. Je pouvais avoir froid alors que la plupart transpirerait. Et ce soir là, il faisait relativement chaud. J'avais eu chaud ! J'avais beau avoir tremblé, j'étais persuadée que c'était dû au choc et pas à la fraîcheur.

Je contournai le bureau en trottinant. J'ouvris brusquement la porte et seuls Dron et José étaient là. Kael, allongé sur une table, leva la tête à ma venu. Ruben était étalé sur le comptoir.

-Les gars ? Vous êtes frileux ? déclarai-je tout de go.

-Non, dit José.

-Oui, répondit en même temps Dron.

C'était parfait. Exactement ce que je voulais.

Un jappement et un sifflement me répondirent aussi. Je supposais qu'ils voulaient participer à la conversation.

-Vous vous souvenez du jour où la magie de la Taverne s'est réveillé ? Le soir, vous avez eu froid ?

-Non, il faisait un peu lourd je crois. J'étais habillé léger parce que c'était invivable sinon , exposa Dron. Et je m'en souviens parce que tu as détruit mon haut préféré.

J'étais en vie, je n'allais pas m'excuser pour ça. José secoua la tête négativement.

-Beaucoup de personnes étaient couvertes?

-Quoi ?Non ! Trop chaud. Et si tu veux mon avis, c'était parfait. Certains hommes étaient en marcel. Et c'est très beau les marcel. Surtout sur des hommes musclés avec des...

-Dron !

-Quoi ? Tu n'étais pas là, fallait bien que je m'occupe non ?

-En matant ?

-C'est une activité comme une autre, fit-il en haussant les épaules. Et au moins celle là est bénéfique pour ta joie personnelle.

-Sans blague, riai-je. Oh ! Dernière question : pourquoi êtes vous tous partis vers seize heures ?

José et Dron se regardèrent en fronçant les sourcils.

-On n'est pas partis, fit José.

-Ah si !

-Non.

-Mais si !

-Non.

-Mais...

-Non.

-Puisque je le dis , vous n'étiez plus sur la caméra !

-Ce n'est pas possible Ushma, on est resté jusqu'à ce que tu reviennes. Tu dois être épuisée si tu penses ça.

J'ouvris la porte du bureau en grand, les invitant à rentrer. Ils passèrent la porte dubitatifs . Une fois qu'ils eurent visionné la vidéo une dizaine de fois, ils finirent par admettre qu'ils avaient effectivement disparu.

Le hic était qu'ils ne se rappelaient pas vraiment être partis. La mémoire nous jouait tous des tours ces temps-ci.

En sortant de la Taverne, j'étais déterminée. J'avais un peu avancée : les personnes habillées chaudement voulaient se cacher des caméras potentielles et elles avaient réussi. Il me fallait les retrouver. Je regardai l'heure: j'allai faire un crocher en prison. Joseph devrait être en forme à cette heure. Et il était temps qu'il m'explique ce qu'il foutait ici. Qu'il le veuille ou non.