4.5
- Aïe, aïe, aïe, regardez moi ça : tant de blessures en si peu de temps.
Ah. Il savait que je ne m'étais pas seulement blessée avec la chute. Sa voix chantait et je l'aimais un peu plus.
- Hey, quoi de neuf docteur ? Vous pensez que je vais mourir ?
D'un geste , il balaya ma question en souriant.
- Comme tout le monde m'dame.
Il tata mon corps. Honnêtement, il essaya surtout. Mes compagnons lui rendirent l'exercice difficile en l'attaquant plus ou moins sincèrement. Cela ne semblait pas le gêner outre mesure mais ce n'était pas le cas de Nahdya.
- Assez ! Assez ! Descendez de ce lit ! , rugit-elle
Je sentis la tension augmenter dans la pièce. De longues secondes passèrent et mon cœur bondis plusieurs fois violemment : la tension devenait mauvaise pour moi. Mes compagnons finirent par sortir du lit.
- Il faudra que tu règles ce problème un jour, Nahdya. Ils sont de plus en plus instables, exigea le vieux sage. Tu devrais les supprimer avant que ça ne dérape.
Mes yeux s'écarquillèrent : ils n'allaient tout de même pas les tuer ? Ils ne paraissaient même pas instables. Nahdya grogna en montrant ses dents comme un animal sauvage. Voici un rappel violent qu'ils n'étaient pas totalement humains.
- Je l'aurais déjà fait si l'Alpha ne m'avait pas imposé une date butoir. Ils ne font même pas partie de ma tribu et pourtant ils sont là, chez moi, à ne pas me reconnaître comme leur supérieur.
- Remets-tu en question Sa décision ?
Tiens , monsieur j'ai-un-regard-de-tueur parlait finalement. Il était beau garçon avec sa coupe courte et sa voix fine. Nadhya jugea son homologue avant de baisser les yeux et murmurer un « non ».
Le Doc n'avait cure de ce petit spectacle puisqu'il observait attentivement mon corps. Il se pencha un peu, comme pour me confier un secret.
-Vous ne sentez rien? chuchota-t-il.
-Pardon ? Mon timbre de voix ressemblait au sien , créant une petite bulle entre nous deux.
-Vous. Ne. Sentez. Rien ?
-Si vous ne me touchez pas, ça risque d'être compliqué.
-Et... rien d'autre ?
-Je devrais ?
Il marmonna pour lui même puis reprit doucement.
-Les flux magiques s'amassent autour de vous. En théorie vous devriez avoir un certain inconfort physique. De ce que je sais, ça devrait vous tirailler de partout. Du coup, c'est assez bizarre que vous ne ressentiez rien.
-Je ne comprends rien à votre charabia Doc. Je suis novice dans ce monde.
Il grogna et se tourna vers Nahdya qui haussait un sourcil.
-Encore ! Pourquoi est ce que je dois lui expliquer alors que c'est ton boulot ?
-Tu es chaman , Alexis. Tu comprends le monde mieux que nous, mieux que quiconque. Elle comprendra plus facilement avec toi. Et puis... Elle aura moins de chance de mourir avec toi qu'avec moi. Elle m'énerve un peu vois-tu.
Elle et moi n'allons vraiment pas nous entendre.
Le dénommé Alexis soupira et reporta son attention sur moi en ouvrant sa petite mallette. Des fioles de différentes couleurs y étaient entreposées.
-Mais avant , est ce que tu perçois quelque chose au niveau de son cerveau ?
-Je ne sais pas si je devrais te le dire. Après tout, j'suis pas payé pour les informations que je fournis.
-Alex.. S'il te plait. Je t'arrange un rancard en paiement.
À la grimace qu'il fit, je devinais que la proposition ne l'intéressait guère. J'intervins. D'une part parce que moi aussi je voulais savoir ce que j'avais, et d'autre part parce que s'il me le disait à moi, Nahdya en serait verte de jalousie. Ou rouge de colère.
Taquine ? Moi ? Certainement pas. Par contre, je devais être un peu rancunière quelque part.
-Doc ? Je travaille à la Taverne du Dragon. On y fait de bonnes boissons et d'excellentes pâtisseries. Je serais ravie de vous payer en bouffe si vous me dites ce qui ne va pas.
Ses yeux pétillaient, hilare. Il comprenait et comptait jouer le jeu. Que j'aimais les personnes aux cheveux bleus.
-Deal, Arlequine. Tu as d'énormes empreintes magiques au niveau de la tête. C'est tellement dense que j'aperçois à peine ton cerveau.
-Je ne peux pas défaire un tel méli-mélo magique sans te tuer ou sans y laisser la vie, poursuivit-il. Et je suis bien trop jeune pour mourir ! Hey vieillard, tu pourrais y faire quelque chose toi ?
-Non. Et si l'un des nôtres, un être magique et puissant, a décidé de faire profil bas, nous devrions honorer son souhait.
-Il ou elle pourrait être un monstre et envoyer des petits gens à l'abattoir, exprimai-je.
Ses yeux s'étrécirent et en un instant il fut au dessus de moi, une main sur ma gorge.
-Es-tu morte humaine ? gronda-t-il.
Je réussis par miracle à sortir quelques mots.
-Je... pas allongée... lit parce que... ai trébuché.
-Doucement vieux loup. Je dois la soigner et lui expliquer en moins d'une heure comment fonctionne l'univers. La tuer détruirai mon karma et je serai vraiment contrarié si ça arrivait.
Le vieillard me regarda et me lâcha lentement laissant traîner ses longs ongles sur ma gorge. Je refusais de voir ça comme des griffes, j'avais eu assez peur pour la soirée. Mes compagnons ne quittèrent pas du regard le vieux loup même lorsqu'il reprit sa place initiale c'est-à-dire dos au mur près de la porte.
-Bien, c'est à mon tour de papoter et j'aimerais ne pas être interrompu. Il me reste peu de temps et je ne suis pas d'accord pour dépasser mon heure butoir, s'exclama Alexis.
Il ouvrit des fioles vertes et noires. Il inspira profondément et chantonna doucement. Le courant sauta et heureusement que j'étais concentrée sur le doc car je me serais fait pipi dessus.
Les nerfs, je disais.
-Fermez les yeux. Je dois vous compter l'histoire du monde.
Son timbre avait changé . J'eus l'impression d'avoir une autre personne en face de moi. J'obéis et inspirai profondément. Je me sentais partir quelque part. Je flottais. Je me sentais bien.
-Fut un temps où Magie régnait sur toutes les dimensions. Elle faisait vivre ses créations en accord avec ce que la Nature lui offrait. Magie n'est pas une déité mais une entité propre. Elle est vivante et pourtant elle n'est pas un être vivant. Magie est ... Magie.
-Cependant, sur Terre et sur d'autres dimensions lui ressemblant, les Dieux ne supportaient plus son emprise sur eux. Alors, ils décidèrent de conclure un marché avec Magie. Les Dieux disparaîtront si Magie se retirait de leur terre. Ces êtres n'étaient pas ses créations mais ils vivaient pourtant grâce à son essence et la foi des hommes. Les hommes n'étant pas ses créations et ne se nourrissant pas de Magie, Magie n'avait pas de contrôle sur eux ni sur leur croyance. Vu que Magie n'aimait pas les Dieux, Magie décida que le marché était équitable : Magie n'avait rien à y perdre.
Devant moi se déroula la scène. Magie n'avait pas de forme. Elle était juste là. Sa présence m'oppressait. Les Dieux, eux, étaient nombreux contre elle. Ils avaient un visage, qui devait provenir de la foi des croyants.
J'étais fascinée : j'écoutais cette histoire du monde. Des mains se baladèrent sur moi mais ça ne me dérangeait pas. Le doc faisait son boulot.
-Magie se retira par des portails. Les Dieux disparurent et pendant un temps, la magie n'existait plus. Puis les hommes se mirent à avoir encore plus la foi et les Dieux réapparurent. Prévenant, ils décidèrent de confier le scellement des portes à des familles jugés irréprochables.
-Déçue, Magie réagit. Magie était une créatrice. Magie savait comment contourner ce qu'iel avait iel même créée. Ses créations contenaient une quantité non négligeable de magie. Iel attendit longtemps avant que ses créations entrent dans les dimensions qui lui ont été interdites. Elle parcourut alors les mondes à travers les flux de magies qu'ils laissaient derrière eux.
-Dès lors, Magie décida de ne plus prendre de décision importante et s'endormit à jamais. Sa conscience n'était plus là mais sa puissance demeurait dans l'univers. Elle est imprévisible. Change qui elle veut changer, détruit qui elle veut détruire. Des flux magiques traversent les portails pour combler le manque de magie qu'il y a eu pendant des siècles.
Le monde redevient normal et je clignai plusieurs fois des yeux pour m'adapter à la forte luminosité. Tiens, le courant était de retour. En tournant la tête je vis Alexis allongé à même le sol pour reprendre sa respiration.
Je tendis la main vers lui, pour voir s'il allait bien. Je m'arrêtai dans le processus : je n'avais plus mal. Je m'assis prudemment et mon corps ne m'hurla pas dessus. Je pus même bouger mes doigts. Je ne savais pas ce qu'il m'avait fait mais je le remercierai à coup de gâteaux.
-Alexis ? Eh doc, ne meurs pas, je dois t'offrir des gâteaux, tu te rappelles ? Je ne sais pas ce que tu m'as fait, mais je n'ai plus rien. Et je t'en remercie.
Il leva un bras et leva son pouce. Je fus rassurée : il allait aussi bien que possible. Nahdya , le vieillard et le jeune homme au regard de tueur me regardèrent choqués. Le Renard bondissait partout sans un bruit alors que le Serpent ne se gênait pas pour me siffler dessus. Je ne savais pas ce que j'avais commis mais ça devait être énorme.
Le docteur se releva d'un coup et m'adressa un sourire adorable. Il parla avec ses mains, comme un enfant. Un enfant dans un corps d'adulte.
- Je crois que la magie t'aime bien. Je n'ai pas eu à la contrôler comme j'aurais du le faire. Elle... tend très facilement vers toi. Elle t'aime vraiment bien et si elle t'aime bien alors moi aussi ! En plus tu n'as pas fait une combustion ! Et ça c'est nouveau ! J'aime bien la nouveauté moi.
Il applaudit . Le jeune homme au regard de tueur souleva Alexis avec douceur. Alexis ria en s'appuyant sur le jeune homme.
-Jack-jack ! Mon ami ! Tu me tiens hein ? Tomber fait si mal, fit Alexis en faisant une moue. Aaaah... Je crois... J'suis pas sûr hein... que j'ai abusé de la puissance de la magie. Mais comprend moi ! Elle a été tellement adorable , tellement malléable. Elle voulait aider la dame blessée. Et elle voulait qu'on lui compte l'histoire de Magie. Elle ne l'a pas blessée pour une fois tu sais. C'était... Ahhh.
Son petit soupir de bien être indiquait qu'il planait totalement.
-Il est temps de rentrer à la maison alors. Tu n'es pas tombé dans les pommes mais tu es un peu bourré, fit Jack-Jack.
-Ouiiii ! Mais attend. Attends. Attends !
Jack-Jack lâcha prudemment Alexis et ce dernier s'assit près de moi. Ses lèvres effleurèrent les miennes et je sentis son souffle contre ma peau.
-Prends garde Ushma, le chemin que tu emprunteras est semé d'embûches. Fais attention à toutes personnes, humaines et autres.
Je me raidis. Il ne savait pas mon prénom en théorie. Mais je supposais qu'être chaman accordé certains avantages. J'en n'étais pas moins dérangée. Je hochai aussi discrètement que possible la tête et il rit.
Oh oui, il était un peu saoul.
Jack-jack le souleva et le sortit de la pièce. J'étais maintenant face à deux êtres qui ne m'appréciaient pas et deux animaux surexcités.
Quatre heure passé, j'ouvris la porte tel un zombie et laissai passer Ruben et Kael.
Kael et Ruben, respectivement le Renard et le Serpent, ont été désignés pour me surveiller après la longue et houleuse discussion que j'avais eu avec Nahdya et compagnie.
Il semblerait qu'en plus d'avoir un lien avec l'une des principales suspects des crimes, je n'avais pas eu de contre-coup dû à la guérison accélérée initiée par la magie. Et ça, c'était vraiment une première. Peut être allais-je avoir des contre-coups plus tard.
Étant humaine, j'aurais dû au moins passer le reste de la soirée à vomir. Les résidus de magies qui circulaient sur Terre étaient infimes mais suffisant pour tuer un humain à 100% s'ils avaient envie. C'était une physique bizarre mais je n'avais pas fait l'effort de comprendre non plus : à trois heures du matin, je ne demandais qu'une chose et c'était d'être chez moi , couchée.
Le fait qu'on accusait encore madame Belevitch m'avait mise en rogne. Il était possible que j'avais dit des choses déplacées à Nahdya, ce qui l'avait inévitablement fait rager. Le vieillard avait passé son temps à refuser de m'enlever le voile que j'avais sur ma mémoire et à ordonner de me tuer avec Kael et Ruben.
Dans un sens je le comprenais : j'étais un danger pour un de ces frères, et mes compagnons menaçaient la cohésion de la tribu des Hyènes. Le groupe avant l'individu. Seul Jack-Jack ne disait rien. Il n'avait été présent que pour rapporter des faits.
Ils avaient conclu avec Jack-Jack - j'étais sûre que c'était un surnom - qu'on devait me surveiller . Cependant aucune personne dans la salle n'était prête à mettre ses hommes sur cette « mission ». Comme je ne me voyais pas côtoyer des individus irritables, et que j'en avais plus qu'assez d'entendre parler d'exécution, j'avais bêtement proposer que ce soit Kael et Ruben qui surveilleraient.
Après ma suggestion « extrêmement intelligente » , je fus en un rien de temps libérée.
Que Les Plus Grands m'épargnent une soirée aussi éprouvante émotionnellement et physiquement que celle là.
Comme d'habitude, je me déshabillai durant le trajet vers ma chambre. J'entendis un sifflement et je me raidis. Regardant par dessus mon épaule, je vis Kael sourire - c'était très bizarre de voir un renard sourire - et Ruben se mouvoir vers moi.
Oh. Ça, c'était gênant. J'allais devoir changer quelques habitudes, à commencer par celle là.
Dans ma chambre, je pris seulement un haut trop grand pour me couvrir, cachant ainsi mon corps jusqu'au début de mes cuisses. Le python s'installa sur mon lit à la place de mon oreiller, s'enroulant sur lui même. Kael quant à lui attendis quelque chose.
J'étais un peu effrayée. Combien de fois avais-je vu un homme se faire étrangler par un python dans mes documentaires animaliers?
-Tu ne me tues pas hein ? Même si cette soirée était nulle, j'aimerais vraiment sentir le soleil demain.
Le Serpent siffla longuement avant de tourner la tête. Je l'avais vexé. En voilà, une première. Je montai sur mon lit et essayai de le pousser. Il bougea si rapidement que je ne vis pas le coup venir : avec une partie de son corps qu'il posa sur ma nuque, il me força à installer ma tête sur lui.
C'était inconfortable au possible. Alors après lui avoir donné un petit coup sur sa tête, je me déplaçai pour trouver une position adéquate. Ma tête était toujours sur lui, mais au moins je n'allais pas avoir de torticolis.
Kael sauta encore une fois sur mon matelas et se mit en boule contre moi.
Je fermai les yeux et sombrai dans le pays des rêves.
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