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La « Taverne du Dragon » commençait déjà à vivre lorsque j'arrivai. La rue était bondée. Tant de personnes rêvaient de rentrer dans le fameux club de la Taverne. Pourquoi pas ? Chacun son rêve.
José fut exceptionnellement nommé responsable du café. Habituellement il ne faisait que le service et ne s'occupait jamais de la caisse. Il ne dirigeait pas le café comme je pouvais le faire en l'absence de la responsable ou comme pouvait le faire Dron , ou comme le faisait assez souvent Jessica avant mon arrivée. La raison résidait dans le fait qu'il était un peu bourru. Les personnes allaient plus facilement vers Dron que José alors que Dron était plus grand que José. En théorie, une personne plus grande que soi, impressionne. Ici, Dron rassurait. Je ne comprenais pas la logique ici mais encore une fois pourquoi pas ?
José avait un air de mauvais garçon avec sa coupe militaire, ses treillis kakis et sa grosse carrure. Il ne souriait que très peu. En fait, il ne le faisait qu'aux enfants. Nous, on avait le droit à ses regards blasés et parfois indulgents, son sarcasme, son silence. Il n'était pas vraiment bavard. J'étais assez contente qu'il vienne me parler de lui même et d'avoir parfois des petits rictus de sa part . Avec sa carrure et sa mémoire plus qu'incroyable, il était tout à fait en mesure de s'occuper seul du café. Il avait tout mon respect.
Je ne pouvais pas vraiment m'occuper du café cette nuit : la surface du club était immense et possédait de nombreux carré VIP. J'en avais jamais vu autant et pourtant ils nous arrivaient parfois de regretter de ne pas en avoir plus. Le club remplissait toujours ces carrés VIP et il devenait plus que nécessaire d'avoir le plus de personnels possibles disponibles à ce moment là.
Et puis , pour être sincère, ce n'était pas l'unique raison qui provoquait autant de dévouement : la Taverne était un lieu où il y avait toujours de l'animation. Et pas dans le bon sens : la nuit, les combats étaient fréquents dans le club. La plupart du temps Mme Belevitch s'arrangeait pour intervenir avant qu'il y ait un mort. Je ne savais jamais comment elle se débrouillait pour arrêter des personnes violentes imbibées d'alcool faisant deux fois sa taille. Pour une raison que je ne souhaitais pas connaître, elle terrifiait les plus costauds des clients.
L'ignorance, c'est bien parfois. Moins on en sait, mieux on se porte.
Toujours est-il, que j'allais devoir garder cet endroit propre et sans une tâche de sang. Mme Belevitch avait l'avantage d'avoir une sérieuse réputation, je n'avais pas du tout le même avantage. Je ne dégageais rien de menaçant et on avait tendance à me croire fragile. Les années étaient passées et je ne perdais plus mon temps à contredire les personnes le pensant.
En cette nuit de printemps, je sentais que cette situation allait me causer de bons gros ennuis. Dron , Jessica et de nombreux collègues allaient m'aider dans cette tâche ô combien immense. Si j'observais bien l'organisation, j'étais l'unique nouvelle à m'occuper du club en tant que « gardienne »de la Taverne. Ce ne fut pas par choix de ce que je comprenais : il était juste nécessaire que la dirigeante soit présente. Ce rôle était une plaie. On ne m'y reprendra plus à donner mon consentement à cette connerie.
Je descendis les escaliers du personnels, ressentant les pulsations des basses sous mes pas. Les battements commencèrent lentement à me traverser le corps, résonnant en moi. J'aimais la musique. Je pouvais me mouvoir indéfiniment sur une piste de danse. Le son diffusé me murmura dans le creux de l'oreille de me laisser aller, de dévoiler ma sensualité cachée. Je l'aurai bien écouté si je n'étais pas à cran. Pour être, dans le vrai, je commençai à suer. Je ne savais pas à quoi m'attendre .
Allais - je montrer dès le départ mes compétences cachés ? Ou essayeront - ils de m'avoir à l'usure ? Est - ce que je serais suffisamment consciente pour répliquer ? Les questions s'entremêlèrent dans mon esprit, ne créant qu'une immense fourmilière à interrogation . Après une descente que j'avais voulu volontairement interminable, la porte menant au club trôna en bas de l'escalier, fermé. Je posai ma main dessus, laissant le pouls de la salle s'infiltrer en moi.
Entrer dans le club, c'est comme rentrer dans un ring. Il nous faut un temps de concentration et d'adaptation. Il nous faut nous imprégner de l'ambiance : on doit pouvoir respirer comme le club, on doit sentir comme le club. Dans un sens le Club a une âme propre. Ceux qui ne s'habituent pas à l'ambiance, finissent manger par ceux qui ont compris le principe ou ne reviennent jamais.
Mes membres ne tremblaient plus désormais : j'avais déjà affronté le club. Cette nuit n'était en rien différente des autres. J'expulsai l'air en ouvrant brutalement la porte et écartai le rideau de perle qui suivait. La mélodie frappa mes tympans, mon odorat fut agressée de milliers de senteurs différentes, ma vue s'adapta à l'environnement éclairé par des spots colorés : l'arène venait d'accueillir sa nouvelle combattante en la surchargeant de sensations.
Ainsi commença la soirée.
Le tiers du club s'agglutinait au bar. Evi et Jessica aurait pu être désemparées par cette foule mais elles semblaient dans leur élément. Evi était une fille caractérielle, qui inspirait le respect. Occasionnellement , elle avait des soucis de gestion de colère. C'était à cause de ça, qu'elle était interdite d'être Gardienne. En soi, je ne l'avais vu qu'une fois se mettre en colère :j'ai estimé qu'il allait dans mon intérêt de sympathiser avec elle. Étonnamment, s'occuper des soûlards et des personnes un peu trop exigeantes la comblait. Je l'observai sur mon carré de danse et la vis esquisser un sourire : elle était heureuse cela ne faisait aucun doute.
J'étais théoriquement en fin de service et j'en profitai pour me libérer sur un carré du club. De nombreux carrés surélevés parsemaient la piste de danse . Quelques danseurs occupaient ces minis autels tandis que quelques uns étaient bien trop timides pour s'exposer. Tout en mouvant mon corps au gré de la mélodie assourdissante, mes yeux parcoururent la salle à l'affût de prémisses de combats.
Quelques uns avaient eu lieu mais je n'avait jamais eu l'occasion d'en empêcher un. Dron et plusieurs amis s'en étaient occupés à ma place. Ils étaient intervenus plusieurs fois, trop de fois à mon goût. Et je voyais bien qu'ils commençaient à fatiguer. La nuit allait se terminer et aucun de mes amis ne pouvaient gérer une bagarre supplémentaire : la force les quittait peu à peu, je le sentais.
Bien que le moment de fermer approchait, le nombre de clients était à son apogée. Et cela m'inquiétait. Peut-être que les événements récents agissaient négativement sur mon jugement,mais toujours est-il que le club accueillait pour la première fois autant de monde à une heure proche de la fermeture. Et avec une nouvelle responsable à la tête.
J'avais un très mauvais pressentiment.
Mes iris se promenèrent encore et encore ne souhaitant rater aucun détail. D'innombrables tables décoraient la salle, les espaces VIP se trouvaient à l'opposé des escaliers du personnels séparés par des rideaux de perles, et le bar s'étalait sur la longueur. L'unique éclairage ambré de la pièce illuminait le bar . Je bénissais chaque jour Mme Belevitch pour ce détail : nos rétines n'explosaient pas grâce à la douceur de la lumière. Les spots colorés s'agitaient dans tous les sens, aveuglant quelques personnes au passage.
J'observai les visages, les expressions d'extases se gravèrent en moi. Je faillis descendre de mon carré lorsque je le vis. Le Policier. L'homme qui avait pris la parole me regarda droit dans les yeux . Durant ces quelques secondes , je sus que j'allais intervenir. Dans l'obscurité, son sourire qui se dessinait lentement parvint à m'atteindre et à me faire paniquer. Personne ne pourra me sauver de lui si je venais à me battre. Mon corps fit face au sien malgré la distance. Je relevai la tête et redressai mes épaules. J'avais des obligations et je tenais à les accomplir. Plus rien n'existait : seul lui comptait. Son rictus était toujours en place lorsqu'il m'indiqua une direction derrière moi. Il fit une rapide révérence avant de disparaître dans la foule qui semblait avoir bougé.
Le monde se remit à s'agiter. Le cœur battant, je me retournai pour voir ce que cet homme voulait que je constate. Non loin de moi , un homme se prit un uppercut . Ne voulant pas qu'il s'écroule, son adversaire agrippa son col avant de lui exploser le nez en lui donnant un coup de tête. Le silence de mort qui s'était installé lors de ces actions fut vite remplacé par des cris de foule en délire. Un cercle s'était formé autour des combattants. Les coups s'enchaînaient rapidement mais à sens unique.
J'étais paralysée. L'homme allait mourir des mains de l'abruti qui le tabassait à une vitesse incroyable. Le visage intact faisait travaillé ma mémoire.Ses traits me disaient quelque chose. Un hurlement interrompit ma recherche. Je ne pris même pas le temps de voir ce qui avait causé un cri de douleur aussi puissant et descendis de mon autel pour les atteindre. J'enlevai mon haut pour pouvoir me mouvoir sans entrave. J'allais être plus vulnérable mais je misais plus sur ma mobilité que sur ma protection. Je connaissais ce genre d'homme. Il ne s'arrêtait que s'il y était contraint. Et par contraindre, j'entendais avec de multiples blessures.
Je me frayai un chemin à travers cette masse en jouant des coudes. Une fois parvenue au cœur, je vis l'homme à terre son bras gauche dans une position inhabituelle, son visage baignant dans du sang. Trop de sang. Il n'aurait jamais dû saigner autant. L'individu encore debout prenait du plaisir à observer son œuvre. Je croisai son regard et me souvins de lui. Le fils de chacal. Il faisait parti des hommes qui avaient accompagné le Policier. J'avais envie de crier. Si je recroisse cet homme une nouvelle fois, il se prend une droite. Simple question de principe. Le pied du prétendu policier s'était redressé . L'intention était clair : il allait le piétiner. Ces bêtises allaient s'arrêter maintenant.
Me dirigeant vers le supposé représentant de la loi, j'effectuai un puissant Bandal Tchagui en direction des côtes, un coup de pied semi-circulaire emprunté au Taekwondo, pour le faire reculer. Je me désintéressai de mon futur adversaire et m'accroupis près de l'homme blésé. J'eus un hoquet de stupeur : il était déformé. Je fouillai les clients du regard, à la recherche d'un visage connu. Dron m'apparut ,fatigué et triste. Ma voix s'éleva dans cette cacophonie , l'interpellant.
- Dron, tu l'emmène loin d'ici. Je veux qu'il soit soigné.
Il hésita quelque instant, souhaitant sûrement prendre ma place et affronter le monstre. Je durcis mon regard et répétai ce que je voulais. On avait pas le temps pour les refus sans intérêt.
- Dron. Il va mourir , dis-je en caressant une parcelle de peau de l'homme à terre pour le rassurer, lui dire qu'il n'était pas tout seul. Prends le et barre toi. Maintenant.
Il réagit enfin accompagné d'un client pour l'aider. L'homme au sol geignis lentement et étonnamment je l'entendis. Avec sa carrure mon ami allait avoir besoin d'aide : c'est qu'il paraissait imposant le monsieur . Dron était grand , fin et musclé. Mais avec la soirée qu'on avait eu, ses muscles devaient ne plus avoir d'énergie. Il avait du admettre qu'il ne pourrait jamais le soulever. Demander de l'aide avait dû lui coûter sa fierté, et sa fierté avait la taille d'un éléphant mâle. Ma tête s'inclina en guise de remerciement lorsqu'il s'approcha. Il ferma les yeux face à tant d'horreur et murmura des paroles incompréhensibles. J'espérais que ce fut une prière parce que j'allais en avoir besoin.
Je me relevai lentement faisant dérouler tous mes os dans le processus. Je ne voulais pas ne pas être à mon maximum pour ce qui allait suivre. Je fis face à cet imposteur. Je levai la main , demandant le silence. Je ressentais l'excitation de tous : ils attendaient avec impatience la montée de violence. Un calme absolu s'installa. Tous les regards se tournèrent vers moi. J'étais Ushma, la serveuse adorable, que pourrais-je bien faire face à un homme aussi violent ?Ils allaient être surpris : je pouvais faire beaucoup de chose si on m'énervait un peu. Et la contrariété envahissait mon jugement depuis un moment.
-Vous êtes ici dans la Taverne, m'exprimai-je élevant la voix. Il existe des règles à respecter dans l'enceinte de l'établissement.L'une d'elle est l'interdiction de tous combats. Vous avez initié un combat et vous avez battu à mort un homme. En tant que membre au statut le plus élevé de cette pièce, j'exige que vous partiez sur le champ.
Je ne voulais pas contacter la police. D'une part parce que la plupart du temps elle prenait tout son temps pour venir, surtout pour un homme "bourré". D'autre part parce que ce n'était pas le genre de la maison : si on pouvait sortir à coup de pieds au derrière le trouble fête, on le faisait. En plus, appelez la police, signifiait que les membres de la Taverne étaient faibles et incapables. C'était blessant !
Il écarta les bras de manière théâtrale. Vraiment ? Ça se faisait toujours ce genre de chose ? Il me provoquait et se mettait la foule dans la poche de cette manière. Les plus confiants étaient ceux qui avaient le plus de raison de l'être : ils savaient qu'ils étaient puissants et qu'une poignée de personnes seulement pouvait les mettre à terre. Je ne pensais pas faire partie de ce groupe de personnes. Mais je pouvais lui faire voir des étoiles.
J'étais douée. J'avais appris le plus d'art martiaux possibles, et de techniques de self-défense. J'étais rapide. Mes coups étaient toujours bien placés. Et je n'attrapais pas les cheveux. Il frimait et je le regardais dégoûtée. Il n'avait pas une égratignure. J'attendis qu'il daigne bien me regarder et poursuivis :
-Maintenant en tant qu'Ushma, tu ne partiras pas d'ici intact. C'est une promesse. Tu veux te battre ? Viens donc.
Il avait été tellement rapide que je ne l'avais pas vu venir . Son sourire éclatant fut la dernière chose que je vis avant de tomber dans les pommes suite au poing que recueillis ma mâchoire. Je sentis mon corps se désarticuler et tomber mollement avant d'être dans le noir.
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