2.2
Je devais impérativement me présenter en connaissant un minimum la situation. C'est pourquoi je m'étais informée des actions qui pourraient provoquées une recherche aussi active d'une veille personne. Il n'y avait qu'un seul cas possible sur cette île qui aurait nécessité un tel déploiement d'agressivité de la part de nos « agents de police » : les meurtres répétitifs.
Cela faisait 5 mois que je vivais ici et je n'avais eu aucune idée que de telles atrocités aient été commises envers des êtres humains. Des enfants et des mères furent touchés, rarement des hommes. L'investigation ne faisait plus chou blanc depuis peu, la raison étant la trouvaille d'un coupable plus que suspect : Mme Belevitch. Pourquoi ? Je n'en avais eu aucune idée mais je restais pourtant persuadée qu'elle ne pouvait pas avoir commis de tels actes.
J'avais bien essayé de l'appeler, ou même de la contacter par le biais du gardien. Mais elle avait juste disparu de la surface de la terre. Ça allait être juste problématique : comment étais-je censée la remplacer si je ne connaissais pas sa vision des choses ? Je m'étais embarquée dans quelque chose que j'allais regretter toute une vie au moins.
L'immeuble en face de moi était banal. Rien ne le différenciait des autres. Pour être sincère, il se cachait parmi les beaux bâtiments de couleurs qui éclataient de vivacité. En somme sa hauteur, étrangement petite comparée aux autres, sa couleur, brune -ni plus ni moins qu'un manque d'originalité frappant, sa forme identique aux édifices à coté de ce dernier, faisait de lui un immeuble quelconque. Pourtant , une triste histoire décrivait cet immeuble. Femme morte, torturée, mère disparue, parents éplorés. Une disparition définitive gravée dans le marbre avait eu lieu dans l'havre de la famille. Rien que d'y penser me posait problème. On ne devrait pas violer un espace dédié à de l'amour en tuant et torturant. Et dire qu'en posant mes questions, j'allais me retrouver dans une situation gênante . Que j'allais haïr ces moments.
La dernière maison ne faisait pas partie du schéma habituel de ce que j'avais vu et lu. Je comptais remercier les média pour leur intérêt pour les affaires criminelles , pour dévoiler ce qui ne devrait jamais être dévoilé, pour nous manipuler, nous influencer. J'ai pas une haute opinion des médias mais je les remerciais intérieurement.
Elle était la seule bâtisse qui se situait dans l'Ouest. En soi, un meurtre envers une personne habitant les beaux quartiers de la ville était logique : meurtre de haine ou commis par jalousie.
L'argent a tendance à attiser la haine : gagner sa vie convenablement entraîne des mouvements de protestation envers des personnes qui ont dû se bouger le fessier pour être où ils sont.
La logique voulait donc que la mère soit morte à cause de l'opulence dans laquelle elle vivait. Sauf qu'il s'agissait d'une série de meurtres. Elle aurait été tuée parce qu'elle le devait selon une certaine logique. Ce meurtre avait été commis de façon assez exceptionnelle : elle n'était pas morte chez elle et n'avait pas été torturée. Elle avait juste été abattue avec une balle entre les deux yeux. Tout le monde était persuadé que ce meurtre était relié aux autres. Je n'allais pas les contredire , je n'étais pas une experte en scène de crime et autre.
Cependant, pourquoi n'a-t-elle eu qu'une balle et rien d'autre ? Non pas que je trouvais ça insuffisant, juste...Pourquoi ?
Toquer à la porte fut une épreuve. J'avais essuyé les cris, les pleurs, les incompréhensions , les dénis purs parfois. J'étais émotionnellement épuisée, mais je devais encore faire cette famille pour comprendre de quoi la vieille était accusée. Je n'allais pas affronter les gorilles, plus communément appelés policiers, sans argumentation, sans ne rien connaître à l'affaire. J'essayais de me rassurer pour être exacte. Mieux je connaissais mon sujet, mieux je me portais.
La porte s'ouvrit sur un homme épuisé et triste. Il semblait lasse de faire ce mouvement. Je devinais aisément pourquoi. Les média, la police, la mort de sa femme... Des tas de raisons pouvaient pousser cet homme à afficher un visage pareil, marqué par la douleur. Mais, j'eus la chair de poule en le regardant plus attentivement . Quelque chose d'autre l'angoissait. Ou alors j'étais moi même angoissée par ce que je voyais.
Son apparence ne me gênait pas, j'avais vu pire en ce jour. En fait, il était le mieux habillé de tous : il portait une cravate. Bien mise et en accord avec sa chemise. Je savais que les apparences comptaient dans ce monde , mais tout de même . Quelque chose n'allait pas mais je n'arrivais malheureusement pas à mettre le doigts dessus. J'abandonnai mes réflexions et me concentrai sur le moment présent. Je me présentai et lui expliquai la raison de mon apparition sur le bas de sa porte. Il ne sembla pas réticent à ma venue -une de plus, une de moins ça ne changeait rien- et m'invita à franchir le pas de sa porte. J'eus un second frisson. La maison était impeccable, pas une tâche, pas un tableau de travers. Rien ne pouvait lui être reproché . Nous nous installâmes sur le canapé et il compta sa version des faits.
Une heure était passée quand la porte d'entrée s'ouvrit. Marc, l'homme veuf, indiqua à la personne qui venait d'entrer qu'il était dans le salon. Aucune réponse ne lui fut transmise en retour. Ça devait être normal. J'attendis que l'individu en question vienne se présenter et je me retrouvai face à un enfant.
J'aime les enfants et en général, ils me le rendent bien. Je suis à leur yeux une présence rassurante et intéressante parce qu'exotique. Les petits et courageux curieux me demandaient souvent d'où venait ma couleur de peau . Je me faisais une joie de leur raconter des histoires loufoques et atypiques.
L'enfant en face de moi n'était plus curieux : il avait perdu le goût de vivre. Je me présentai à nouveau, et sur un coup de tête, lui expliquai pourquoi j'étais là. Son père hoqueta, choqué. Je devinais qu'il n'était pas d'accord avec ce que je venais de faire. Moi même , je ne comprenais pas les raisons qui m'avaient poussée à le lui dire ; aux autres enfants, il m'avait été impossible de prononcer les mots « mort » et « meurtre » devant eux. Les yeux de l'enfant perdirent quelques instants leur faible éclat. Je m'en voulais d'avoir fait une telle présentation. J'allais m'excuser auprès du père quand les mains du petit garçon , plus aussi petit que je le pensais, s'agitèrent rapidement avant de s'arrêter.
Mon langage des signes était un peu rouillé mais je compris vite l'essentiel. Ce qui était pratique avec la langue des signes, c'était que justement il était basé sur des signes. Il était plus facile de comprendre les langages de tous les pays de cette manière. Avant de répondre, je jetai un coup d'œil au père : sa tête m'indiqua qu'il n'avait pas compris. Cela me parut bizarre en premier lieu mais je n'allais pas m'attarder dessus pour le moment. J'agitai mes mains maladroitement essayant de me souvenir comment formuler l'idée de la réponse . Non , je n'étais pas une policière : j'avais vraiment pas la tête de l'emploi. Oui, j'étais venue pour sa mère. Je devins de plus en plus assurée dans mes gestes. Mon visage commença à exprimer les émotions. Je retrouvai mes repères , ça me rassurais un peu. J'avais eu une petite peur bleu de ne pas pouvoir répondre, d'avoir oublier ce que j'avais pratiqué depuis longtemps. Marc nous interrompit en toussotant légèrement.
-J'ai un appel à prendre, pourriez - vous attendre quelques instants.
Il partit rapidement , me laissant seule avec son enfant. Je ne sus que faire les premiers instants, paralysée à l'idée de faire quelque chose de mal. Les poils sur ma nuque se redressèrent. Je pris une profonde inspiration et j'eus l'impression de réellement respirer depuis ma venue dans cette habitation.
Théo avait 8 ans et était bien trop mature pour son âge. Il me fallut une heure pour venir à bout de ce petit homme sérieux. Il était d'accord pour faire ses devoirs mais refusait catégoriquement de jouer. Je soupçonnais sa mère d'avoir jouer avec lui la plupart du temps. Son père ne semblait pas vraiment attaché à Théo et l'inverse était bizarrement vraie. La mort de cette femme allait peser longtemps sur cette famille réduite . Marc n'en finissait pas avec son appel et le ton avait commencé à monter.
Comme jouer ne semblait pas l'enchanter, je m'étais mise à lui parler de mes passions. Aussi étrange que cela puisse paraître , il semblait enthousiaste à l'idée de connaître mes centres d'intérêts. Lire, regarder des films, le sport principalement le handball, la pâte à modeler, les mythes... Il finit par se détendre, surtout quand je mis à raconter des histoires interactives. Même si je parlais de vive voix à sa demande, il ajoutait des éléments à mes histoires avec ses mains sans se soucier de ma difficulté à comprendre certains mots. Il semblait avoir une entière confiance en mes capacités signées : je n'allais pas l'inquiéter et dire que son jugement était faussé. Ce n'était pas mon genre. Soudain, une question qui n'avait aucun rapport avec mes histoires de pirates ,surgit :
« Trouveras tu les méchants, les vrais ? »
Mes sourcils bougèrent d'eux même et se rejoignirent. Comment ça , les vrais ? J'observai Théo, et le vis me regarder . Une lueur d'espoir et d'intelligence brillèrent dans ses yeux. J'eus une illumination : il devait savoir quelque chose. Je ne compris pas pourquoi cette intuition était bloquée en moi, mais je le savais. Alors , poussée par mon instinct, au lieu de parler, je signai rapidement sous le coup de ma révélation :
« Tu connais les méchants ? »
Il hocha la tête négativement et il se mit à signer encore plus rapidement. Je lui demandai de ralentir mais le débit resta le même.
« Les policiers ne cherchent pas les méchants. Pas les vrais méchants. Ils ne font rien. Ils ne cherchent pas au bon endroit. Ils ne trouveront jamais. Tu promets de les trouver ? »
Je ne suis pas policière, ni même détective. J'ai une peur bleu de la violence excessive et inutile, et ce, même si je sais me défendre et que j'ai déjà participé à divers combats. Mais je déteste encore plus l'injustice, l'incompétence et le mensonge.
En lui promettant de trouver les coupables, j'allais sans aucun doute m'engager dans un chemin épineux. Je le sentais : la violence étais plus que présente dans cette affaire. Je n'allais pas y échapper. Je savais utiliser les quelques neurones qui me restaient pour résoudre des énigmes. Je n'était malheureusement pas la meilleure mais j'avais souvent eu une vue d'ensemble assez pratique. Et je détestais me hâter et sauter sur les conclusions sans réels fondements. Ce n'était pas pour rien que je haïssais les clichés et les stéréotypes.
Je regardai Théo dans les yeux, pesant le pour et le contre de cette promesse. Pourrais-je me regarder dans un miroir si je disais non ? Non. Vais-je assumer l'excès de violence qui allait se présenter à moi si je disais oui ? Non. Ma vision du monde changera-t-elle ? Non. J'ai toujours su que le monde était pourri, et j'ai toujours vu la part sombre de cet endroit. Ce n'était pas pour autant que j'étais une cynique finie. Avais-je peur ? Oui. Regretterais-je ma décision ? Jamais.
J'inspirai profondément. Cet enfant, s'il disait vrai, ne connaîtrait jamais la vérité. Il était impossible que toute sa vie soit un mensonge. Il aimait sa mère, il ne se remettra sûrement jamais de la mort de celle-ci. J'entendis Marc parler. Il ne nous prêtait aucune espèce d'importance.
Je ressentis une vague puissante s'abattre sur moi. Mon instinct pris le dessus et je promis de vive voix en regardant droit dans les yeux Théo, fils de Marc et d'Amélia Johnson, Enfant muet et Agé :
« En mon nom, Ushma Rowtag, fille orpheline puis adoptée, adulte peu entouré, je jure de trouver les coupables responsables de la mort d'Amélia Johnson et des autres victimes . Je jure de les trouver peu importe le temps que ça prendra. Je jure de les trouver peu importe le lieu où ils se trouveront, que ce soit sur cette Terre ou dans une autre dimension. Je jure qu'ils seront puni pour leurs crimes. »
La « vague » partit, me laissant décontenancée par ma déclaration. Depuis quand je faisais des déclarations spectaculaires ? J'en étais sûre : ce n'étais pas moi qui avais prononcé les mots. Je blâmai mon instinct quelques instants avant de me reprendre : jusqu'ici, il avait souvent eu raison de me guider vers un chemin. Je ne le comprenais pas maintenant mais peut-être que plus tard, tout s'éclaircira. Théo signa un « merci » puis me sera dans ses bras. Je l'enveloppai des miens et me promis intérieurement de revenir. Je ne laisserai pas cet enfant seul avec un père triste et à tendance colérique de ce que j'avais entendu.
« Excusez moi, mais nous devons partir. J'ai des obligations et je dois emmener mon fils chez sa grand-mère. »
Tout ce passa très vite. Je fus dehors en moins de temps qu'il ne m'a fallut pour dire « Au revoir». La nuit était tombée depuis peu. Je devais me dépêcher, j'étais de service cette nuit et le club devais ouvrir.
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