12.2

Tandis que je lui racontais mon histoire dans un format très concis en omettant tellement de détails que ça en devenait indécent, je constatai que quelque chose tirait en moi. C'était affreusement désagréable. Ce n'était pas physique puisque je me massais le torse à de nombreuses reprises et qu'il n'y avait aucun résultat. Je penchais donc plus pour une hypothèse qui incluait Kael et Ruben. Mais je ne pouvais pas regarder en moi alors que j'étais en territoire ennemi. Ils allaient devoir attendre.

La magie de la sorcière s'échappait lentement, m'effleurant, rampant sur moi. Immobile, je continuai de parler des choses qui pourraient la maintenir occupée pour analyser la situation. Je ne sus pas tout de suite qu'elle me faisait quelque chose volontairement mais au fil des secondes, j'arrivai à ouvrir parfaitement mon œil et mon poignet me fit moins souffrir. Ses doigts s'agitèrent au rythme de ma guérison. Je compris que je serais apte à me défendre pour les moments qui allaient suivre. A la fin de mon babillage inutile je la remerciai discrètement puis lui demandai comment s'était-elle fait prendre par l'Humanité.

- C'est vraiment nul comme histoire. J'ai assez honte, entama-t-elle. Tout ce que je voulais c'était m'amuser un peu. Je me croyais protégée parce qu'après tout je suis une sorcière n'est-ce pas ?

Elle semblait attendre que je fasse un commentaire désobligeant. Ce n'arrivait ni aujourd'hui ni demain. Je ne dis rien, la laissant poursuivre son récit.

- Certaines cheffes de maisons nous déconseillaient de sortir à cause d'une vieille prémonition, râla-t-elle. Pendant des années on s'était bien comporté avec certaines filles. Mais on était quand même sortie. Quelques fois. Tout le monde le savait et personne ne disait rien. Puis quelqu'un a balancé à une grande sorcière et on était censé recevoir une punition groupée.

A son discours, je remarquai que j'avais peut-être surestimé son âge. Elle ne devait pas avoir dépassé la majorité pour être autant en quête de liberté. Ou alors, la communauté des sorcières était vraiment démodée.

- Je me suis enfuie avant de recevoir la leçon. J'ai traîné longtemps et on a fini par m'accoster. Qu'est-ce qui aurait pu m'arriver de toute façon ? J'étais une bonne Alter en voie pour devenir une puissante sorcière. Ils ont commencé à m'embêter alors pour les effrayer, j'ai utilisé ma magie.

- Et ils ont compris que tu étais magique.

- Ils allaient le comprendre de toute façon, haussa des épaules Jinx. Ils n'étaient pas bêtes : je ne m'amusais pas avec les autres filles. D'autres hommes sont venus pour me « protéger ». Ils m'ont escorté jusqu'à un certain point et m'ont mis dans ce trou à rat alors que je m'étais évanouie. Je me suis faite avoir comme un bleu.

- Tu as juste été un peu arrogante, rien de grave.

- Pas la peine de me prendre de haut. Moi, au moins, je leur sers à autre chose qu'à être un tapis, souligna-t-elle.

Je clignai de l'œil. Ce n'était pas mon intention et... Elle n'était... définitivement pas ce à quoi je m'attendais.

- C'est d'ailleurs grâce à moi que tu es en aussi bon état, se venta-t-elle. Tu devrais me remercier au lieu de me faire des reproches cachés.

Dans l'hôpital où j'avais passé un séjour prolongé, j'avais connu une personne victime de violence verbale et physique de la part de sa famille. Au départ, on estimait qu'elle était une pauvre petite fille fragile et sans défense, puis dès lors qu'on l'approchait, elle nous jetait au visage tout ce qu'elle estimait être une faiblesse à ses yeux. Cette violence verbale cachait un manque de confiance en soi. Ça avait pris un temps fou aux médecins pour la comprendre.

J'avais en face de moi le même genre de comportement.

- Pourquoi m'avoir soigné d'ailleurs ?

- Comme ça, tu as une dette envers moi. Tu devras me protéger de ta vie.

- Et qui a précisé ce fait ? Doutai-je.

- Les lois magiques exigent qu'une dette soit honorée.

- Je ne suis pas magique donc ces lois ne s'appliquent pas à moi. Et de toute façon, je n'avais d'ailleurs pas l'intention de t'abandonner ici alors que je t'ai trouvé. Me piéger ne t'amène pas à grand chose ici.

Elle pinça les lèvres, contrarié et grâce à ma parfaite vision, je pus voir sa lèvre inférieur tremblée. Elle était une gamine effrayée qui essayait par tous les moyens de survivre. Elle n'avait juste pas appris le bon manuel pour demander de l'aide.

Comme continuer sur ce chemin ne menait à rien, je voulus parler d'un sujet plus pratique.

- Comment fait-on pour sortir d'ici ? Tu es ici depuis plus longtemps que moi, tu devrais connaître plus d'information que moi.

Alors qu'elle s'apprêtait à me répondre, une voix que j'avais déjà entendu l'interrompit.

- Eh bien , eh bien, eh bien. Vous voulez déjà nous quitter ?

Je fis face à l'homme qui était derrière les barreaux de notre cellule. Il avait un sourire démentiel, ravi de sa surprise. En apparence, il restait l'homme tiré à quatre épingles qui avait perdu sa femme et qui devait s'occuper d'un petit garçon en prime. Il devrait être en deuil, chez lui, désespéré. En réalité, une autre réalité, du rouge suintait de son être. Je n'étais pas surprise : après tout, le démon et Marc, le père du petit Théo, ne faisaient qu'un.

Je lançai les hostilités. Après tout, mon œil devait bien montrer que je n'étais plus sans aucune magie.

- Je ne sais pas ce qui me choque le plus : l'existence du démon ou la présence du gamin derrière vous.

Théo se tenait en arrière, ne touchant même pas son père. Ses yeux alternaient entre me regarder et regarder son père. Marc me sourit et ce n'était pas un sourire engageant. Il attrapa le bras de son fils qui commençait à se débattre, ouvrit la porte de la cellule et le balança à l'intérieur. Je me précipitai vers l'enfant pour m'assurer qu'il allait bien. Ses yeux humides m'informèrent qu'il essayait de ne pas être touché par les gestes de son paternel. Je fusillai Marc du regard et l'insultai.

- Quel genre de père êtes-vous ? Conclus-je.

- Père ? Mais je ne suis pas son père, fit-il en esquissant un sourire.

Ses yeux changèrent de couleur et son visage se mus, prenant des traits différents, probablement du visage du Démon, avant de revenir à son apparence d'origine. Il se détourna et s'éloigna de la cellule. Comment allais-je le tuer s'il ne revenait plus ? Comment allais-je le tuer tout court ? Le matériel utilisé pour faire les barreaux n'avait pas semblé l'affecter. La prison n'était effectivement pas envisageable.

Me tournant vers l'enfant, je me mis à signer avec une main. L'enfant ne compris pas tout de suite mes questions, me signant sans cesse qu'il entendait parfaitement. Puis son visage s'éclaira de compréhension. Il m'expliqua qu'il avait commencé à trouver son père bizarre. Il l'enfermait dans sa chambre, oubliait de le nourrir, sortait beaucoup. Il devenait de plus en plus fâché et en colère, et il ne s'intéressait jamais, jamais au meurtre de sa maman.

- Une fois, me signa-t-il, j'étais triste et j'ai demandé où était ma maman. Il m'a crié dessus. Il m'a dit qu'elle avait fait ça pour nous, qu'il fallait penser à elle comme une héroïne, qu'elle n'avait jamais été tué. Mon papa ne m'aurait jamais dit ça.

Alors que j'allais lui répondre, Jinx s'agaça.

- Excusez-moi, mais j'existe. Et je ne comprends pas.

Je n'eus pas la force de lui lancer un regard peu amène mais l'envie ne me manquait pas.

- Théo, commençai-je en signant et en parlant, comment as-tu atterri ici ?

- Il a dit que je devenais collant et insupportable. Il en a marre de moi, il ne veut plus prétendre être ma nounou. Il m'a dit que j'allais rejoindre quelqu'un que je connaissais et que comme ça, j'allais le laisser tranquille.

- Tu sais donc où on est ?

- Non. J'ai dormi dans la voiture.

C'était trop simple.

- Est-ce que tu sais qui a ... tué ta maman ?

Théo secoua la tête et s'apprêta à signer lorsque des pas résonnèrent et s'approchèrent de nous. Marc était revenu accompagné d'un homme lambda qui tenait une mallette. Il ne jeta pas un regard à l'enfant, comme s'il n'existait pas. Il me disait quelque chose.

- Pourquoi ne pas demander au principal concerné ? S'annonça-t-il. Je serais ravi de répondre à cette question.

J'eus un mauvais pressentiment au sujet de la mallette. Je signai au garçon de rejoindre Jinx , la jeune femme et il se précipita sans demander son reste. Je me relevai pour affronter les deux monstres.

- Qui a tué Amélia Johnson mère de Théo Johnson et femme de Marc Johnson ? Interrogeai-je Marc.

- Moi, sourit cruellement Marc. Mais la présence du Démon m'y a grandement aidé. Il est d'une grande aide pour surmonter les premiers dégoûts.

Je regardai avec attention l'homme qui l'accompagnait et me souvins brusquement d'où est ce que je l'avais déjà vu. Il faisait parti de la réunion secrète de l'Humanité, faisant partie de la première fraction. Il m'avait semblé tellement violent. Je ne savais toujours pas ce que représentaient les fractions mais je savais qu'elles n'étaient pas des groupes de scouts. Ils entrèrent dans la cellule avec quelques objets en main. Je m'inquiétai. Ils installèrent trois chaises, une petite table et l'homme posa la mallette dessus. En l'ouvrant, je pus constater que j'avais malheureusement eu raison au sujet de la mallette.

Elle n'était pas inoffensive. Rempli d'outils en tout genre, elle devait servir à faire parler de nombreuses personnes. Je ris nerveusement : j'allais douiller.

- Avant de commencer quoique ce soit, à quoi correspondent les fractions ?

Je n'eus pas de réponses mais je vis des sourires discrets se dessinaient sur leur visage. Avant de continuer, je signai rapidement à l'enfant de se boucher les oreilles sans le regarder.

- Pourquoi devrions-nous vous le dire ? Fit l'homme lambda en s'asseyant sur une chaise.

- Parce que je ne peux pas communiquer les réponses que vous me donneriez. Et je constate que vous ne comptez pas me garder. Alors autant me donner quelque réponse avant que vous m'acheviez.

Ils réfléchirent mais je vis dans les yeux de l'homme qu'il souhaitait se venter. Je voulus le pousser à me donner ces informations mais il se livra de lui-même.

- La première fraction consiste à enlever les enfants des monstres, les torturer le plus longtemps possible avant de les achever et les offrir en cadeau à leurs parents. La deuxième ne servait qu'à tuer des humains comme une de ces choses l'aurait fait. La troisième permettait de collecter et de créer des armes pour tuer ces monstres.

- Pourquoi ?

- Pourquoi ? Reprit-il en souriant. Mais parce qu'ils ne devraient pas exister. Et en tuant leurs enfants, on les affaiblit et crée des conflits internes. En tuant les humains, les humains seront sur le dos de ces abominations. Et le jour où la décision de les exterminer sera prise, nous serons prêts.

Il m'indiqua la chaise en face de lui.

- Et si vous commenciez à nous livrer des réponses madame la Traîtresse ?

- Devant l'enfant ? M'insurgeai-je.

- Devant l'enfant, confirma Marc. Des émotions fortes rempliront cette pièce et ce sera un délice. Douleur, horreur, peur... Je frémis d'avance.

Moi aussi.

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