11.2
Je mis trop de force dans mes jambes. La rambarde rencontra mon estomac, mes jambes pendirent dans le vide, mon essuie ne se détacha pas de ma maigre poitrine par je ne savais quel miracle. J'étouffai un grognement : la gravité et une rambarde ne faisaient définitivement pas bon marché. Je glissai lentement dans le balcon priant pour que personne ne me voit. Après tout j'entrais par effraction. Je me précipitai dans le trou de la vitre.
Je fus heureuse de voir une pièce sans couleur, sans magie, sans problème. Vive la normalité. Puis je clignai les yeux et retins un soupir. Du violet remplissait la chambre de mamie Belevitch et ce n'était pas dû aux meubles. Ma tête tourna : je baignais dans la vieille et puissante magie de la sorcière. Les flux, qui pouvaient presque former une masse, me traversèrent. Je sentis la force dans ces résidus de madame Belevitch et je me sentis oppresser.
J'observai avec difficulté mon environnement ; je ne savais pas à quoi je m'attendais mais sûrement pas à ça. Voilà une chambre des plus normales. Incrustés dans le mur à ma droite, une bibliothèque et un dressing prenaient peu de place. La collection de livres de la défunte sorcière était impressionnante, mais je doutais qu'elle soit complète. Face à moi, à côté de la porte, loin de la bibliothèque se tenaient trois miroirs sur pied. L'encadrement des miroirs étaient originaux et si je me concentrais je pouvais voir des inscriptions dessus. Ils ne reflétaient rien. Pas même le lit simple dont la tête était à ma gauche, ni le tapis noir, ni Kael qui était étendu sur le dis tapis.
Il ne bougeait pas. Pas un mouvement de poitrail, pas un jappement. Je n'entendis pas non plus de sifflement alors que Ruben était enroulé sur lui-même sur le second tapis noir. Je ne savais pas si la magie y était pour quelque chose mais le contraire ne m'étonnerait pas. Je n'arrivais pas à me précipiter vers eux : j'étais plus qu'amorphe . Les verres des miroirs se mirent alors à onduler.
Une image se forma dans les verres. Devant moi se trouvait madame Belevitch. L'image regarda à droite, à gauche et s'arrêta sur moi. Le visage s'illumina et une voix éthérée s'éleva.
- Ushma mon enfant ! Quel plaisir de te voir. Approche donc que je puisse mieux te voir.
Oh mamie, que tu as de grands yeux. C'est pour mieux te voir mon enfant.
Je ne réagis pas. Je ne savais pas comment le faire. Elle était morte après tout. Que faisait-elle dans un miroir ? Est-ce elle d'ailleurs ? L'image fonça les sourcils, se rapprocha comme si Asda Belevitch s'était penché. Dans mon souvenir, elle me paraissait vieille. Finis les rides de vieillesse, les yeux sages, la douceur d'une grand-mère. Seuls subsistait la chevelure blanche, les yeux anciens, et le sourire. Elle semblait plus jeune. Plus à même d'être une combattante, une sorcière. Une alter-humaine.
Je n'avais pas le temps de me préoccuper d'une hallucination – Asda Belevitch était morte. Je me dirigeai vers le dressing, prête à voler les affaires d'une défunte pour partir rapidement. Que c'était glauque. Mais je ne comptais pas sortir de cet appartement, vêtue de mon simple apparat.
- Ushma Rowtag. Ce n'est pas polie de ne pas retourner une politesse.
- Ce n'est pas polie de revenir d'entre les morts non plus, fis-je plus cassante que prévue.
- Oh mon enfant. Rapproche toi donc. Je suis venue pour discuter avec toi.
Je ne l'écoutai pas. Je ne le voulais pas de toute façon. Elle m'avait menti une fois, elle pouvait bien le refaire. Et puis... Elle était morte.
La voix s'éleva plus forte, plus furieuse, plus réelle.
- Ushma. Ne m'oblige pas à te forcer.
Je me dirigeai furieuse vers les miroirs. Elle avait réussi à m'obliger à venir. Je regardais les mêmes visages dans les miroirs. Je voulais me fâcher, m'énerver, la haïr. Mais je ne pus pas. Elle était là, devant moi, et elle avait disparu. Rien n'allait plus jamais être pareil.
- Vous êtes morte, déclarai-je atone.
Elle hocha la tête. Le port altier qu'elle avait ne me parut pas choquant. Après tout, si elle était une antiquité et une force de la nature, elle avait bien le droit de se tenir ainsi. Je fus juste surprise de la voir ainsi. Elle n'était pas comme ça avant. Mais avant elle était vivante.
- Que faites-vous ici vieille bique ? Est-ce vous ?
- Tu me tutoyais avant, fit-elle remarquer chagrine. Qu'est-ce qui a changé ?
Venait-elle d'éviter de répondre ? Pourquoi ne répondait-elle pas ?
- Vous m'avez menti, vous n'êtes pas celle que vous avez prétendue être. Je suppose que vous comprenez le sentiment de trahison.
- Je suis la même Ushma.
Elle accentuait la dernière syllabe comme auparavant. Comme Dron. Dron qui me manquait. La Taverne me manquait. Asda me manquait. Elle plissa les yeux, et sa voix gronda.
-Reste poli.
Soudainement, la pièce sembla plus légère. J'arrivai enfin à réfléchir et à être lucide. Je devinai que ce n'était pas à moi qu'Asda avait lancé cette injonction mais à la magie dans la chambre. Curieux mais plus du tout inhabituelle. Je pus prendre du recul sur mon ressenti, ma déception et enfin poser des questions pertinentes sans être un espèce de fantôme. La magie de cette chambre était vraiment très impressionnante. Je ne remettrais jamais plus les pieds dans un tel lieu sans y être mentalement préparée.
-Comment se fait-il que tu sois devant moi et dans un miroir ? Tu es morte si je dois te le rappeler.
-Vraiment ? N'ai-je pas le droit à un merci ? fit-elle taquine.
- Merci vieille bique - et pour le coup, tu es vraiment vieille. Pourrais-tu répondre à ma question ?
-Deus. Les jeunes de nos jours n'ont aucun savoir vivre. Il est question de croyance, et aussi de puissance. Dans les croyances humaines, la mort signifie ne plus pouvoir intervenir dans le monde là. Dans mes croyances et en générale quand il est question de magie, il est possible qu'il reste une conscience dans ce monde qui puisse interagir avec cette sphère de la vie. C'est limité certes mais ça existe. Chaque espèce a une croyance en matière de vie et de mort. Elle est plus au moins exacte selon l'individu. Enfin.
-Tu es un fantôme donc.
-Mais non enfin, répliqua-t-elle avec dégoût. Je ne suis plus physique.
Comment pouvait-on détester des fantômes quand on était mort ? Je suis dépassée. J'haussai les sourcils, sceptique. Elle était bien là non ? Elle leva les yeux au ciel, comme elle le faisait auparavant.
-Je ne suis qu'une projection. Ma conscience a choisi de me matérialiser dans le miroir.
Une conscience sans corps. La magie faisait vraiment des miracles.
-Et pourquoi tu t'es montré que maintenant ? Ne pouvais-tu pas le faire plus tôt ? Comme par exemple avant que je quitte La Taverne ?
Je m'énervai un peu. Vraiment, elle aurait pu m'éviter bien des problèmes, j'en étais persuadée.
-Tu as quitté La Taverne ?
J'haussai un sourcil. J'allais devenir sarcastique avec mon unique figure maternelle à ce stade.
- Oh. C'est donc pour ça que la magie de ce vieil endroit est instable. Bien . Bien. Bien. Je ne savais pas que tu avais dû le faire. Je dus rendre des comptes à ma Déesse pendant une petite période, je ne pouvais donc pas venir dans ce bas monde.
Je clignai des yeux. Je devais avoir mal entendu.
- Argh. L'horloge tourne ma fille. Et mon temps est limité. Je ne peux pas me manifester sans restriction. Je suis ici pour t'aider, poursuivit-elle après un court silence.
J'étais restée bloquée sur le fait qu'elle n'avait pas su parce qu'elle devait rendre des comptes à sa Déesse. Je me secouai la tête. Ce n'était pas le moment de s'encombrer de pensées inutiles.
- Tu vas éliminer les personnes qui sont à ma poursuite ? Non j'ai mieux, tu vas résoudre ce merdier magique ?
Elle me lança un regard patient. Cela me fit du bien de voir que je l'exaspérais toujours autant. Elle était la même mamie mais en un peu plus mortelle et violente.
- Je vais te donner un conseil, c'est tout ce que je peux faire. Un conseil pour empêcher un démon d'agir.
C'était toujours ça de pris.
- Vous allez m'apprendre un sort ?
- Non Ush, tu es encore bien trop faible pour ça.
- Alors comment vais-je arrêter un démon ?
- Tu vas devoir tuer son hôte.
Et dire que j'étais supposée être trop faible pour ces conneries.
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