10.2
Je regardai longuement Alexis en pesant le pour et le contre. Si je pouvais avoir des réponses et résoudre toute cette -voire ces- affaire , je m'en porterai très bien. Quoi que... comment devrais-je justifier mes nouvelles découvertes à la police ? « Bonjour, je suis Ushma, j'ai fait le boulot à votre place, vous pourrez me remercier en m'offrant une tasse de thé pour commencer. »
Moui. Bien sûr.
A tous les coups, j'allais finir dans un endroit blanc, avec des hommes en blanc qui auront pour unique mission de me donner beaucoup de médicaments. Ce sera sans moi. Mais si je ne révélais pas ce qui se passait à la police, pour sûr que ça me retomberait dessus. Mais de toute façon, au point où j'en étais, j'allais finir en désaccord avec la police : qui , à part un coupable de type sociopathe, s'intéresserait autant aux crimes commis dans la capitale ? J'étais coincée et ce depuis longtemps. Alors qu'est-ce que je risquais de me lier au grimoire de madame Belevitch ?
Eh bien. La souffrance. Ce n'était pas comme si la magie m'aimait vraiment beaucoup. La magie du livre en tout cas. La perte de quelque chose de précieux. Si poser des sorts avait un coup, pourquoi pas la connaissance ?Je pariais qu'il y avait d'autres raisons bien plus dangereuses. C'était des raisons amplement suffisantes, à mon sens, pour refuser. Et puis... Les morts n'allaient pas dicter ce que je devrais faire. Il manquait plus que ça.
-Je suis désolée mais je refuse. Je crois que ça va me causer plus de-
Le salon fut plongé dans le noir.
J'avais payé le loyer, l'électricité, le chauffage. Il n'y aurait jamais dû avoir une panne. La température chuta drastiquement. C'est quoi ça encore ? Alors que je me dirigeais vers l'interrupteur, je vis quelque chose bouger du coin de l'œil. Tournant la tête, je laissai mes yeux s'adapter à l'obscurité : je fus tellement prise au dépourvu que mon cerveau refusa d'enregistrer l'information. Je ressentis l'affreux besoin d'avoir une confirmation sur ce qu'il se passait.
-Alexis ? chuchotai-je, incertaine.
J'entendis à peine la réponse : il était encore plus prudent que moi.
-Mon salon bouge.
-Je sais.
-Ce n'est pas normal.
-Je sais, grogna-t-il.
-Pourquoi ?
Mon canapé, entouré de livres divers et variés, flottait à quelques centimètres du sol tout en se rapprochant de moi. Il était confortable, tellement confortable que parfois je m'endormais dessus. Il avait supporté mes larmes, mes sueurs et ma bave. La couleur crème qu'il portait me faisait penser à un nuage. Vraiment, je l'appréciais beaucoup. Mais cette histoire terminée, j'allais m'en séparer et sans y penser deux fois . En fait, j'allais me débarrasser de tout ce qui volait.
-Tu me demande vraiment pourquoi ? murmura le chaman.
-Oui. Non. Peut-être ? Je sais pas, c'est tellement surréel comme situation, soupirai-je.
Alors que je commençai à me détendre - après tout il ne s'agissait que de meubles et d'objets en lévitation - j'entendis la porte de la cuisine s'ouvrir. Elle grinçait toujours un peu donc elle était facile à reconnaître. J'eus la chair de poule et entendre Kael et Ruben s'alarmer ne m'aidait pas vraiment à me détendre. Je me retournai et vis des objets passer le seuil du salon. J'eus à peine le temps de comprendre quoique ce soit que des couteaux foncèrent sur moi. Principalement. Je me laissai tomber au sol, esquivant les couteaux de cuisine. Roulant sur le dos, je pus observer une lame de très près. Elle plongea à quelques centimètres de mon oreille , se plantant sur le sol.
Je décidai qu'il était plus que temps de ne plus être polie ni silencieuse.
-Putain de bordel de poulpe habillé en Prada ! Ils essayent de nous tuer !
-Merci Captain Obvious, railla Alexis.
-Fais quelque chose, fis-je en esquivant une lame mais en encaissant de plein fouet un dictionnaire.
J'expulsai le peu d'air que j'avais dans les poumons à cause du choc. Il fallait absolument que je vende ce livre, et tout ceux qui avaient plus de vingt pages.
-Et que veux-tu que je fasse ? Seigneur ! S'écria le chaman. Cette pièce est remplie de.. oh merde.. remplie de magie plus puissante que moi. Si je ne faisais qu'essayer de la manipuler , je meurs dans l'instant qui suit. Putain ! Et puis j'suis pas responsable de c'bordel.
Je le vis bouger dans tous les sens dans ma vision périphérique, sûrement pour ne pas se faire empaler.
-Parce que c'est de ma faute peut-être ? m'indignai-je en évitant de justesse ma lampe nocturne.
-Tu es un peu de mauvaise foi là, Ushma.
Je grognai n'étant absolument pas d'accord. Ce n'était pas parce que je refusais de laisser ma vie être dictée par des fantômes et un livre que l'apocalypse devait cracher ces foudres dans mon appartement. Alors que je réfléchis à un moyen de nous sortir de ce pétrin, la pièce fut de nouveau éblouit par mes lampes.
Les meubles et divers objets s'écrasèrent sur le sol, créant une cacophonie monstrueuse.
Le salon ne ressemblait plus à rien. Des débris de chaises traînaient ici et là, des morceaux de verres parsemaient le sol et des nombreuses tâches carmin coloraient le mur et le sol. Une multitude d'impact décorait mes murs. Je fus incapable de penser à autre chose qu'au futur coût de réparation. Je ne croulais vraiment pas sur l'or et ça allait me coûter une fortune. J'étais finie.
Je jetai un coup d'oeil à mes camarades : Ruben, aussi incroyable soit-il, était suspendu à la porte. Il siffla dans ma direction - et mon nouveau lien m'apprit qu'il cherchait à me rassurer. Quant à Kael, il me regarda, sur le dos, les pattes dégoulinantes de sang. En se redressant, ses pattes tremblèrent un peu mais il m'adressa tout de même un jappement. Il allait tout aussi bien que son camarade. Le plus touché restait Alexis. Puisqu'il avait été torse nu, les objets avaient pu le blesser plus profondément. Une grande balafre accompagnée de petites amies, parcourait désormais son torse. A genoux, la tête basse, je l'entendais respirer difficilement. Ses cheveux autrefois attachés, cachèrent son visage.
-Tout le monde va bien ? m'enquis-je en m'intéressant particulièrement au chaman. Après tout, mes métamorphes m'avaient rassurés.
-A la perfection. Je ne me suis jamais senti aussi bien.
-Cool, répondis-je en laissant traînée la dernière syllabe, parce que je crois qu'on a un plus gros problème qui nous attend.
J'étais assez sérieuse. Il n'y avait eu qu'un seul objet qui était intact et qui n'avait pas bougé. Le grimoire d'Asda. Je clignai des yeux,une douleur sourde m'empêchait de me concentrer correctement. Au fur et à mesure, ma vue changea, s'arrangeant pour me laisser voir la magie. Il fallait vraiment que j'apprenne comment gérer cette vision magique. Je n'avais même pas eu conscience qu'elle s'était enlevée. Une masse sombre, similaire à celle présente chez la vieille, sortit du livre. Grouillante, dégoulinante, prenant de plus en plus de place, elle commença à engloutir les objets sur son passage. Ça sentait mauvais cette histoire.
-Tout le monde s'éloigne du livre ! Maintenant ! m'affolai-je.
La dernière fois que j'avais traversée cette masse, je ne m'étais pas sentie au mieux de ma forme. Alexis redressa la tête pour constater ce qu'il n'allait pas. Étonnamment, il n'y avait que l'arcade sourcilière qui avait éclatée.
-Merde , murmura-t-il en se précipitant contre un mur. Il nous faut des protections. Putain, je n'ai pas ce qu'il faut.
Du coin de l'oeil, je vis que de minces filets de magie s'échappait de lui. Il n'avait plus aucune force, et le peu de magie qu'il avait, ne risquait pas d'être vraiment efficace. Je ne savais pas de quelles protections il parlait mais je savais une chose : on était foutu. La masse qui était translucide devint plus sombre. Je sentis la magie s'accumuler. Mes pores hurlèrent de m'éloigner, de fuir mais mes jambes ne parvinrent pas à supporter mon poids. Kael et Ruben étaient loin du grimoire , ce qui était une bonne chose. Mais combien de temps pouvaient-ils ne rien risquer ? Ils allaient se faire manger et détruire par ce truc.
-Lie toi. Lie toi à moi, scanda-t-il.
Ah.
Je calculai les risques. Si je ne le faisais pas, on allait très certainement y passer. Si je le faisais, je serais la seule à en pâtir. J'allais tout faire pour qu'aucun de mes compagnons ne meurent. C'est fou comme on peut changer d'avis quand un danger guette.
-Alexis, on peut partir du salon ? chuchotai-je en essayant de savoir s'il existait une autre solution.
-Pas trop. Des couteaux nous empêchent de sortir.
Évidemment. Ça aurait été bien trop facile.
En me redressant - tout du moins j'essayai - je pris une grande inspiration et me dirigeai vers le livre d'Asda.
-Ushma.Tu fais quoi là ?
-Je résous ce problème. Tu aurais une idée de comment je suis censée me lier à ça ?
-Non. Et tu devrais pas. Pas après cet excès de violence. Surtout pas même. Vu la puissance de ce truc, tu peux te faire tuer dans le processus.
J'avançai, petit pas par petit pas.
-Ushma reviens ici. On va trouver un moyen de partir. Par la fenêtre par exemple.
-Plus de trois étages, c'est la mort assuré. Je m'occupe de ça. Ne mourraient pas.
La masse avait arrêtée d'engloutir tout sur son passage, une fois que je m'étais levée. Elle était sombre, gigantesque, remplissait presque toute la pièce et bougeait, avide. Je la traversai lentement retenant un cri. J'eus l'impression d'être transpercée par des lances. Soulever mon pied devint un enfer puisqu'il semblait être retenu par un boulet. Mes poumons ne purent se remplir complètement car un poids s'était posé sur ma poitrine et je sus, je sus, que c'était la magie du livre. Je tombai à genoux devant le grimoire, à moitié vivante. Du liquide dégoulina sur mon visage et je sus encore une fois que ce n'était pas des larmes. Je saignai dans tous les sens.
-Lie toi. Lie toi à moi.
Je fermai les yeux.
-Oui.
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