1.2

Lorsqu'ils furent partis, je m'écroulai brutalement. Mes jambes ne me tenaient plus, mon moral était anéanti. La vie reprit autour de moi. Des collègues et des clients se précipitèrent soit vers la sortie après avoir laissé l'argent sur les tables, soit vers le comptoir pour voir comment j'allais. Honnêtement, j'estimai aller aussi bien que je pouvais me le permettre étant donné les circonstances.

« Suspecte d'activité criminelle ». Tant de questions se bousculèrent dans ma tête. Ces gars-là étaient donc des policiers ? Quel est exactement le type d'activité criminelle qu'une vieille pouvait commettre ? A quel point mon refus de toucher au moindre truc en rapport avec les médias va me coûter à l'avenir ?Mais surtout, qu'avez-vous fait ou provoqué Mme Belevitch ?

« Ushma,pourquoi ne lui as-tu pas dit la vérité ? Tu viens de t'attirer des ennuis stupidement. »

Je relevai ma tête, attendis que mes yeux veuillent bien s'accommoder rapidement pour voir qui me parlait. Dron. J'aurai du reconnaître mon ami. Je devais être bien plus perturbée que je le croyais. Il vivait sur cette île depuis plus d'un an. Il était venu ici dans cet espace perdu au beau milieu de nulle part à cause d'un problème familial. Depuis qu'il s'était installé là, il n'en était pas parti. Il m'avait appris un jour, qu'il avait certes des amis mais il ne s'était pas senti aussi proche de quelqu'un qu'avec moi. Ma journée avait paru plus rose suite à cette nouvelle.

« Hein Ush' ? Peux-tu m'expliquer ce que tu viens de faire ?Je n'arrive pas à suivre ton raisonnement. »

J'adorais vraiment la façon qu'il avait de prononcer mon prénom. Son accent d'un pays de l'Est ressortait toujours quand il m'appelait : il faisait traîner plus longtemps les syllabes. J'aurais pu le draguer mais mes attributs, aussi petits soient-ils , ne l'intéressaient pas. Je l'avais compris lorsqu'il s'était soudainement extasié devant le fessier d'un jeune homme qui était venu par malheur commander. Il m'avait alors questionné pour savoir si je pensais qu'il était aussi bien foutu derrière que devant. J'avais explosé de rire après un moment d'adaptation.Non seulement je ne m'y attendais pas mais toute la clientèle l'avait entendu s'exprimer. Plus tard, il m'expliqua que j'étais la dernière à le savoir mais que pourtant les signes étaient extrêmement visibles. J'étais longue à la détente parfois.

Je me relevai, mes jambes jouèrent les castagnettes et je souris à Dron.

« Je n'ai pas menti. Je suis celle qui dirige. Actuellement. S'il m'avait seulement demandé qui a créé la Taverne et si cette personne était là, je lui aurais dit. Ce n'est pas ma faute s'il n'a pas posé la bonne question. Et puis, je tiens à dire que je ne sais pas où est la vieille.

-Tu joues sur les mots Ushma. Maintenant tu vas au-devant des problèmes. »

Je fronçai les sourcils et lui lançai un regard suspicieux.

« Qui te dit que je vais pas appeler Mamie gâteaux pour la prévenir qu'elle a un rendez-vous dans deux jours ? »

Il me regarda comme si j'étais une enfant stupide, totalement déséquilibrée qui n'avait pas un seul neurone. J'appréciai moyennement ce regard. En temps normal, je le tolérais. Mais là, c'était le pompon.

« Moi-même, enfant stupide.

-Je ne suis pas une enfant. Merci, grognai-je. »

Mes jambes s'étaient arrêtées de trembler mais ça ne saurait tarder de recommencer. Mes prises de conscience étaient souvent tardives. J'observai la salle. Il ne restait que trois clients curieux qui s'apprêtèrent à partir. Je pris en compte leur commande, leur souhaitai bonne route et soufflai bruyamment une fois qu'ils eurent franchi la porte. J'eus juste la force de jeter le chiffon que j'avais gardé en main avant de me cogner la tête plusieurs fois contre le comptoir. J'avais vraiment le hic pour me trouver dans des situations inédites. Une voix désagréable interrompit mon ô combien plaisante activité.

« Tu as fait fuir nos clients. Le manque de recette sera déduit de ton salaire. Crois-moi, je m'en assurerais.

-Pourquoi elle parle celle-là, marmonnai-je. C'est qu'elle avait choisi le mauvais moment pour m'enquiquiner.

-Ushma ! s'exclama Dron. Ne commence pas. Tu vas aider à ranger, aller te changer et rentrer chez toi. Je ferais les comptes et la fermeture à ta place ce soir. Ne t'inquiète pas. »

Je savais qu'il y avait une bonne raison pour laquelle j'aimais profondément cet homme. Néanmoins.

« Si la dame pouvait la fermer, ce serait parfait. »

Je décidai de ne pas écouter la suite : moins j'en entendais, mieux je me portais.

Jessica était un stéréotype pur. Blonde aux yeux bleu clairs, la bouche pulpeuse,un visage rendu impeccable par le maquillage, une taille de mannequin : en somme, elle avait un physique parfait qui faisait tourner la tête de plus d'un homme. Elle était couverte de grandes marques les unes plus chères que les autres. Si je me souvenais bien, elle a vécu heureuse dans une famille riche qui la gâtait beaucoup trop à mon avis. Le stéréotype aurait voulu que l'enfant irréprochable physiquement n'ait pas de grand talent. Mais voilà, le stéréotype sur pattes avait une faille de taille. Elle avait une aptitude exceptionnelle. Elle était capable d'imiter presque parfaitement les recettes de la vieille et de n'importe qui en général. Les pâtisseries, les plats exceptionnels, les fameux desserts étaient aussi délicieux que lorsque c'était les créateurs qui les avaient cuisinés.

J'aurais pu l'apprécier mais la condescendance perpétuelle qu'elle affichait me rendait malade. Avoir du talent et venir d'une famille richissime ne devraient pas interdire les personnes d'apprendre la modestie. Et la sympathie. Mais il faut de tout pour faire un monde. Qui aimerais-je moins sinon ? Le fait était que même si je le voulais très fort, je ne pouvais pas la virer à cause de sa capacité. Personne ici n'était capable de recréer les gâteaux de mamie. J'avais déjà essayé et c'était juste mangeable. Résultat, je m'occupais du bar.

Je me mus et aidai Dron qui avait déjà commencé, oubliant peu à peu les évènements passés. Je me déplaçai aussi lentement qu'un escargot. Chacun des mouvements que je faisais était douloureux pour mes muscles. La raison de ces douleurs devait très certainement provenir de la fin de journée que j'avais eu, du stress qui avait sans aucun doute contracté mes muscles. Je dardai un regard inquiet à mes collègues. Tout le monde était épuisé. Même Dron paraissait éreinté alors qu'il était celui qui avait le plus d'énergie habituellement. Normalement, nous ne fermions pas aussi tôt mais comme Mamie Belevitch n'étais pas là, j'ouvrais rarement la boîte de nuit et aujourd'hui était l'un des jours où la porte resterait fermé. Donc le café fermait un peu tôt. Malheureusement en observant mes pairs, je pus voir que la fatigue mentale accentuait la fatigue physique, ce qui expliquait la réelle raison de cette fermeture quelques minutes après le crépuscule du soir.

J'éprouvai quelques remords. Peut-être que si j'avais répondu franchement,ils se seraient moins inquiétés pour ma santé. Ou alors, ils avaient aussi eu une journée merdique et attendaient impatiemment que celle-ci se termine. De toute façon,

Alea jacta est.

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