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Cela faisait très longtemps que la panique ne m'avait pas pris autant par les tripes qu'à ce moment précis de ma -désormais- courte et misérable existence.

C'est une sensation inédite qui n'arrive que rarement dans nos vies. Elle s'insinue en vous, commence par vous réduire l'estomac en bouillie, finit par vous faire trembler comme une vulgaire petite feuille d'automne qui tient en équilibre sur sa branche d'arbre et qui est secouée par une bourrasque, passant par ce goût particulièrement acide qui remplit votre bouche puis votre gorge. A ce sentiment, s'en ajoute d'autres passés quelques instants.

La colère pour certains. Quelle honte de s'affoler ainsi, n'est-ce pas ? Un ressenti si humain qui pourrait vous détruire si vos ennemis venaient à apprendre que vous aviez eu suffisamment peur pour paniquer. Cette colère devient alors rage et le désir d'exterminer ce qui a causé une faiblesse en vous est immédiat.

Rien ne pourrait vous détourner de ce devoir d'éteindre la vie dans ce qui vous a effrayé. En faire ainsi un exemple et une promesse. Par contre pour d'autre, des millions d'autres, partir loin de ce qui nous a terrorisé se transforme en sensation. La fuite est nécessaire. Merci à notre instinct de survie extrêmement développé. La panique vous coupe le souffle, l'instinct de survie vous le rend.

L'air revenait peu à peu dans mon corps redonnant force et énergie à mes muscles. Mon regard cherchait alors une issue à cet enfer nouveau. Dans la « Taverne du Dragon » les sorties possibles n'étaient pas envisageables pour une fuite. Mes yeux embrassaient de nouveau la salle, un fin espoir demeurant en moi pour sortir de cette situation.

L'extérieur de la Taverne reflétait l'intérieur de ce café et boite de nuit,à merveille. De ce que je savais, l'enseigne avait toujours eu cette allure de chez soi. Est-ce d'ailleurs pour cette apparence qui détonnait dans le quartier marchand de la capitale que tant de personnes poussaient la porte de notre café ?

C'était peut-être l'une des raisons qui poussaient les gens à venir car tous les bars, toutes les boîtes de nuit, boutiques et entreprises acceptaient, s'y pliaient et perpétuaient la mode du futurisme.

Elle consistait à faire en sorte que tout soit impersonnel partant de la couleur des murs qui finissaient gris, noir ou blanc, pour aller jusqu'à l'écriture de l'enseigne. Et je doutais que l'intérieur de ces bâtiments fût épargné par la mode. La Taverne qui était entourée d'immeubles identiques, attirait d'emblée le regard avec sa couleur crème et or sur la façade.

Le nom de l'entreprise semblait avoir été écrit à la main, un dragon chatoyant s'enroulait autour de « La Taverne du Dragon » où ses yeux nous regardaient donnant l'impression que le prédateur était réel. Des pancartes avec diverses informations ornaient souvent la porte d'entrée en bois et les fenêtres. Lorsque ces derniers s'ouvraient une odeur bon enfant de gâteaux faits maison chatouillait le nez des passants curieux.

La veille bique qui dirigeait cet endroit aurait pu être pâtissière et en faire sa raison de vivre mais cela aurait été trop simple. Faire les meilleures pâtisseries et les meilleures boissons de l'île dans une ambiance chaleureuse était un défi bien plus à sa hauteur. Que Les plus grands me préservent. Les égos surdimensionnés ne devraient pas exister. Je ne le répéterais jamais assez.

Cette vielle peau de Mme Belevitch avait toujours été celle qui commandait cet espace apaisant, alors changer la décoration qu'elle s'était donné tant de mal à créer pour une stupide mode ne l'intéressait pas du tout.

L'intérieur était suffisamment grand pour accueillir une centaine de personnes. Le café possédait trois étages dont chacun avait un usage précis. L'enseigne permettait aux clients qui se trouvaient dans le café de reposer leur âme en peine, leur esprit en surchauffe et leur corps douloureux. Les tables rondes en bois marron étaient plus nombreuses que les tables rectangulaires, les lumières tamisées ou le soleil éclairaient une pièce pêche, les cartes et les chaises colorés attiraient l'œil. Tout ça contribuait peut-être à la sensation de bien-être une fois passé la porte.

Mais ce qui mettait vraiment à l'aise tout le monde, c'était le personnel dont je faisais partie. Nous étions ce qui poussait les gens à revenir encore et encore, à côtoyer notre Taverne, à assurer une chaleur agréable comme lorsqu'on est chez une grand-mère. Je l'ai appris après seulement cinq mois de travail ici.

Cependant, depuis leur arrivée, aucune chaleur ne se dégageait de cette salle. Certes, elle n'était pas remplie comme elle aurait dû l'être si le temps avait été un peu clément dans la journée mais rien d'inhabituel : les clients accoutumés étaient présents, les curieux avaient passé la porte et buvaient leur commande au comptoir près de moi, certains osaient même me raconter quelques anecdotes, des rires fusaient. Une bonne ambiance qui avait disparu. Le silence s'était imposé tout seul.

Pour en revenir à ma situation, la raison était revenue à moi, et je ne pouvais malheureusement pas suivre mon désir de fuite pour résoudre mon problème. D'abord, ils avaient bloqué la porte principale après l'avoir traversée et je devrais sauter par-dessus le comptoir pour l'atteindre. Mauvaise idée.

La porte à ma gauche après le comptoir menait à la boite de nuit souterraine donc pour une fuite ce ne serait pas un excellent plan. Aller dans l'espace réservé aux employés ne me semblait pas approprié pour échapper à ces gens. Peu importait la porte que je choisirai, je me ferai inévitablement attraper à cause de mon manque d'endurance. Et j'avais la terrible sensation que je mourrais dans la souffrance. Ou alors étais-je juste à cran. Ensuite, la véritable raison qui me poussait à ne pas prendre mes jambes à mon cou était qu'en l'absence de la douce mamie, je prenais soin de ce havre de paix. On ne fuit pas ses devoirs même s'ils sont difficiles à gérer.

Je pris un chiffon et un verre déjà propre pour essuyer une goutte imaginaire. Le but était d'enlever toute tension dans mes épaules et de paraître détendue. Je me devais de restaurer une bonne ambiance. Les clients ne bougeaient plus ni n'osaient parler, la quinzaine de personnes qui me servaient de collègues s'étaient figés pour regarder les nouveaux venus.

L'un des cinq hommes se détacha du groupe pour venir s'appuyer contre le comptoir. Je ne comptais pas le regarder à nouveau avant d'en être foutrement obligée. Essuyer longuement les bords. Oh tiens ! Une tache. Autant nettoyer le fond.

- Où est la gérante de ce petit bordel ?

C'était une voix basse, grave et surtout dangereuse. Dans cette simple question, j'y trouvais des promesses de mort si l'idée de ne pas répondre venait à m'effleurer l'esprit. Je relevai la tête et le fixai droit dans les yeux. Tant de violence était inscrite dans ses prunelles et le sourire que j'avais entrevu ne présageait rien de bon pour moi.

- Bonsoir. La boite de nuit ne sera pas ouverte ce soir, je suis désolée. Vous pouvez commander quelque chose à boire. Les tarifs sont écrits sur les cartes que vous pouvez trouver près de la porte d'entrée. Vous ne pouvez pas les louper, elles sont couleur pistache.


J'étais suicidaire.

La panique me poussait à avoir plus de courage que nécessaire. Un éclat de surprise traversa ses yeux gris. Son sourire s'élargit, sa sauvagerie brillait encore plus fort à travers ses yeux tandis qu'il se pencha un peu plus sur le comptoir, se rapprochant de moi. Je commençais sérieusement à regretter de ne pas être partie. Ça m'aurait évité une discussion désagréable.

- J'ai posé une question et tu ferais mieux d'y répondre. Où est la gérante ?

- C'est moi. Que puis-je pour vous ? demandai-je poliment alors que je reculais de quelques centimètres tout en croisant les bras sur ma poitrine.

Soyons honnêtes. Si je pouvais mettre une planète entre lui et moi, je jure que je le ferais. Même si je devais vendre mon âme. Il me regarda longuement sans aucune autre expression que celle qu'il avait depuis qu'il était là. Combien de doigts perdrais-je si je venais à le toucher ?.

- Ne mentez pas. C'est la dernière fois. Où est-elle ? fit-il en grondant, s'approchant encore plus.

- Ai-je l'air de mentir ? m'énervai-je un peu en reculant d'un -bon- pas. Je vous réponds poliment alors que vous avez volontairement effrayé la moitié de mes clients sans raison valable et insulté mon commerce. Si vous ne comptez pas me dire pourquoi vous êtes ici, je vous prierai de bien vouloir sortir de mon café et de ne plus jamais y mettre les pieds avant que vous ayez compris les concepts de gentillesse et politesse.

J'indiquais la porte pour appuyer mes propos. La pièce se fit encore plus silencieuse qu'elle n'était déjà. Je ne crus pas cela possible. Pour être sincère, je ne le remarquais même pas. L'homme en face de moi s'était redressé pendant ma tirade. Je regrettais fortement ce que j'avais fait. Ses vêtements sombres accentuèrent sa dangerosité. Son sourire avait disparu. J'allais mourir, c'était une certitude. Je tremblais légèrement mais pas suffisamment pour que ce soit visible. Il recula pour que je puisse l'observer. Mais il n'en avait pas besoin, je l'avais déjà vu. J'avais amplement conscience et de ma connerie et de sa force. Il emplissait son T-shirt gris sombre comme ses amis qui faisaient office de plantes vertes. Son pantalon noir aurait pu le rendre moins dangereux si mon instinct de survie était un peu moins développé. Il portait des bottes énormes qui me faisaient peur. Se faire marcher dessus ne pouvait pas être drôle. La question était si l'on pouvait survivre à ce genre de coups. Probablement pas. Il éleva la voix. Je décidai que je n'aimerai pas du tout ce qui allait suivre.

- Puisque vous êtes la dirigeante de ce café, vous êtes convoquée dans la partie Sud de Vy dans deux jours. Nous vous informerons de l'adresse sous peu.

- Pourquoi ? demandai-je. Je ne comptais pas aller dans la partie Sud à la place de cette bonne femme sans un bon motif.

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