Le retour (3)

Il se décala et l'odeur des pâtisseries chaudes atteignit mon nez. J'humai en lâchant un petit soupir de plaisir. Si je ne me réconciliais pas avec les membres de La Taverne, je repartirais au moins avec une gourmandise sous les dents. Plusieurs même.

J'entrai et redécouvris une nouvelle fois l'intérieur. Des affiches, photos et pancartes décoraient les murs couleur crème. Les tables rondes en bois donnaient un air plus familial et convivial à l'enseigne, les dépliants sur les tables avaient une jolie couleur pistache bien que quelques-unes étaient rose pâle. Le bar en face de moi, encadrés par deux portes, l'une menant à l'arrière du magasin l'autre menant soit à l'étage pour se reposer soit au sous-sol pour danser était tenue par Evi. Les lampes donnaient une ambiance tamisée parfois quand le personnel décidait de ne pas détruire les yeux de quiconque la nuit. Quelque part, je retrouvais la sensation qui était la mienne pendant des mois de travail ici : la Taverne était une seconde maison.

Etonnamment, alors qu'on était relativement tôt, les clients habituels de La Taverne étaient présents ainsi que tout le staff de la Taverne. Evi au bar s'était arrêtée de servir un homme assis devant le meuble. Jessica qui sortait de l'arrière de la salle principale s'était figée en me voyant, les bras tenant des mini mille feuilles tout fait. José avait haussé un sourcil vers moi après avoir servit le métamorphe dragueur. Dron maintenait la porte d'entrée bloquée, m'empêchant de prendre la fuite. J'aurais aimé dire que je l'aimais à ce moment-là, mais mentir à moi-même n'était jamais une bonne idée. Un vieux couple était assis à une table, prenant ce que je supposais être leur boisson et accompagnement préférée à savoir un chocolat chaud et une brioche chocolatée. Le métamorphe m'ayant fait du rentre dedans était accompagné par des amis mais ils étaient tous silencieux ce qui était en soit un miracle. Le vieillard mélancolique et toujours au courant des dernières nouvelles se trouvait au bar. Il ne s'était même pas retourné à ma venue, regardant sans doute sa boisson.

Evidemment, ils n'étaient pas les seuls clients mais je ne connaissais pas les autres. En retirant mes lunettes, je décidai de ne pas faire trainer la chose et me lancer directement. Mais alors que je m'apprêtais à présenter les excuses les plus sincères de ce bas monde, je perçus une magie que j'avais l'habitude de voir.

J'avais compris que j'arrivais à distinguer la magie de métamorphe plus facilement que les autres magies. Cela signifiait que je distinguais sans mal de quelle sorte de métamorphe il s'agissait alors que pour savoir de quel type de fae j'avais affaire était un problème bien plus compliqué. Tout ce que je savais était que la personne en face de moi était un fae et c'était tout. Ce n'était pas la seule magie où je ne pouvais pas en savoir plus que la chose générale mais je me contentais des aptitudes que j'avais.

Le métamorphe qui se trouvait ici était un ours. L'Ours qui venait relativement souvent chez moi et qui s'installait près de la Maison Jaune pour s'endormir pendant des heures. Je suivis du regard le flux. José me regarda droit dans les yeux. Le choc me prit de court. Si bien, que je ne remarquais pas qu'Evi avait sauté par-dessus le bar et se dirigeait vers moi. Lorsque je le remarquais et me désintéressais donc de José une seconde, il fut trop tard. Son poing cueillit ma mâchoire avec une puissance inouïe.

Je tombai lamentablement sur le cul, touchant du bout des doigts là où elle m'avait eu. J'étais choquée. En la regardant, je vis la magie démoniaque l'entourer. Elle n'était pas possédée, non, elle était un démon.

Je me relevai.

Cela expliquait beaucoup de choses. Evi avait toujours été du genre à avoir le sang chaud, à pleinement exprimer ses émotions et à inciter autrui à en faire de même. Chose qui était typique des démons. En soit, ils n'étaient pas mauvais à proprement parlé. Ils exacerbaient juste nos émotions à l'extrême.

- Je peux savoir ce qui t'as pris ? , m'insurgeai-je.

- Je peux savoir ce que tu fiches ici ? répliqua-t-elle.

- Je suis venue pour m'excuser. Mais, là, de suite, j'ai aucune envie de te présenter la moindre excuse.

- Parce que tu crois qu'on va accepter gentiment que tu reviennes ? Tu as fumé ou quoi ?

Je devais inspirée de l'énervement à travers mon regard. Elle sourit. Je fermai les yeux.

- Tu comptes jusqu'à dix ? intervient José de son timbre bourru.

Non, j'envisageai de lui faire du mal. Mais dans un éclair de lucidité, je me souvins que si elle était un démon, elle avait dû vraiment mal prendre mes commentaires. Encore plus que tous les autres. Sa colère était justifiée, je ne pouvais pas la frapper. Je soufflai et me tournai franchement vers Evi.

- Je comprends que tu puisses me haïr. Pour être sincère, je me hais un peu plus chaque jour. La culpabilité me ronge alors que je sais parfaitement que ce que j'ai fait était nécessaire.

- Nécessaire ? Nécessaire ?! Nous insulter était nécessaire ?

- Oui. Je n'avais pas le choix. Mais je n'ai jamais, jamais pensé aucun mot de ce que j'ai dit.

- Elle dit vrai, intervint José. Elle put la vérité Evi. Tu le verrais toi-même si tu n'étais pas tant attaché à être énervée.

Elle lui jeta un regard rempli de haine et de stupeur en même temps.

- Je ne ...

- Si tu l'es Evi. Bien sûr que tu es attachée à ta colère. Je le serais aussi à ta place. Mais il s'agit maintenant de la laisser partir.

- Elle nous a insulté ! Comment peux-tu être aussi calme et ... gentil, finit-elle par cracher.

- Tout le monde, ici, sait pourquoi elle l'a fait. Tout le monde ici à conscience de ce qu'elle a fait pour éviter un massacre. Moi, je lui ai pardonné depuis longtemps. Dron aussi. Jessica ne l'aime pas mais elle lui a pardonné. Même les clients demandent si Ushma reviendra. Tu es la seule qui refuse de voir les choses en face.

Evi rougit. Je soupçonnai de honte et d'énervement. Les secondes passèrent lentement et nous attendîmes sa réaction.

- Demande-moi de te pardonner, fit-elle.

Choquée, je ricanai et me dirigeai vers le bar. Elle parut outrée.

- Allez ! Demande-moi de te pardonner. Tu me dois bien ça.

- Et si tu me servais au lieu de faire des demandes abracadabrantes ? Je veux dire, aujourd'hui je suis une cliente non ?

Elle passa derrière le comptoir, agacée.

- Tu es surtout casse-pieds. Tu veux quoi ?

- Un thé, avec un mille feuilles, une crêpe, une gaufre, des chouquettes. Et que tu me pardonnes.

Je n'étais pas un monstre. Au fond, j'aimais bien Evi. Elle était d'un genre rentre dedans, tout feu tout flamme qui ne mâchait pas ses mots. Elle était passionnée parfois, blasée souvent, acide tout le temps. Elle était partante pour toutes expériences et elle n'avait jamais fait de mal à aucun des clients. Ni même à nous. Elle est toujours prête à botter des culs quand il y avait un début d'embrouilles dans la boite de nuit de La Taverne. Je l'appréciais un minimum. Même si en ce jour, elle m'avait collé un gnon. Je devrais peut-être le lui rendre.

Elle me sourit, ravie.

- Tu es toute pardonné d'avoir été la plus odieuse des serveuses de tous les temps. D'avoir menti et d'être une petite peste.

Je mentais, je ne l'appréciais même pas un peu. Je sortis l'argent un peu trop brutalement et le claquai sur le comptoir en marmonnant de garder la monnaie. Je m'installai à une table, face à la porte d'entrée et près d'une fenêtre. Je sortis le bouquin que j'avais pris au cas je me faisais jeté de La Taverne et que je devais me refugier ailleurs que chez moi. J'avais décidé qu'en cas d'échec, je me serais trouvé un coin sombre et calme et j'aurais ruminé tout en lisant l'histoire. Mais le plan là ne fut pas nécessaire puisqu'étonnamment La Taverne me voulait encore.

J'en étais la première surprise. J'ouvris mon livre et décidai de me plonger dans la lecture tout en mangeant ce qui me passait sous la main. Le stress de cette journée et de cette rencontre tuait mon corps. Je ne faisais que manger sans être rassasiée. Je pris trois tasses de thé pour combler par l'eau mon ventre mais rien n'y fit. J'avais mal géré mon stress et désormais je me goinfrais. Le temps filait à vive allure, les clients passaient et me remarquaient. Certains me saluèrent, d'autres esquissèrent un sourire et d'autres encore m'ignorèrent. Puis quelqu'un s'installa en face de moi. José. Le livre refermé, j'acceptai la tasse qu'il me tendit.

Le silence s'imposa et je ne tiens pas.

- Tu es un Ours.

Il hocha la tête et patienta.

- Tu es l'Ours qui vient chez moi de temps en temps. Pourquoi ?

Il haussa les épaules. Je choisis une autre tactique.

- Que pense ta meute du fait que tu passe la plupart de ton temps chez l'agent de liaison ?

- Je suis un métamorphe solitaire.

- Par volonté ? demandai-je doucement.

- Avec le temps oui, mais au départ je n'avais pas le choix.

En d'autres termes, il avait été banni de sa meute et aucune autre ne voulait le prendre. Je ne comprenais pas pourquoi. Il me semblait qu'il n'y avait rien de mal chez José.

- Pourquoi viens-tu à la Maison ? insistai-je.

- Parce qu'elle sent le foyer, gronda-t-il. Sous mon autre forme, je me sens chez moi. Et tu sens bon, même pour mon odorat d'Ours. Tu ne m'as pas jeté hors de ta propriété alors je suis resté.

Je vis que ses épaules étaient tendues, comme s'il attendait un coup. J'évitais toujours de frapper mes amis, même verbalement, et ça n'avait pas changé depuis. Je croisai les bras et m'appuyai sur le dossier de la chaise. Cela dit, je réagissais toujours mal aux cachotteries.

- Je ne vais pas te jeter dehors maintenant. Tu peux toujours venir quand bon te semble.

Ses épaules s'affaissèrent de soulagement et ses coins de lèvres se redressèrent un peu. J'avais dit ce qu'il fallait et j'en étais ravie. Je jetai un coup d'œil à la fenêtre. Pour être honnête, j'étais ravie de tout. Je savais que je pouvais demander mon service sans me faire insulter maintenant. J'aurais certainement des difficultés à gérer mais je pouvais les surmonter. Après tout, j'avais retrouvé une bonne partie de mon entourage et avec eux pour me soutenir, je savais que je pouvais réussir.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top