Le retour (2)

Je pris tout mon temps pour me préparer.

J'hésitais entre une robe, une jupe, une combinaison, un jeans. Maquillage ou sans maquillage, alors que d'habitude je ne touchais même pas à ma trousse, vu que je n'avais pas le temps ni la patience de faire quoique ce soit. Quelle paire de chaussure allais-je mettre ? Des sandales, des converses, des bottines, des sneakers... Tant de choix. Je redoutais le moment où j'allais devoir sortir. Alors que je prenais tout mon temps, toute la maisonnette me jugeait. Puisque son jour de repos tombé pile le jour où des morts avaient décidé de m'envoyer à La Taverne, j'eus droit au regard perçant d'un serpent pendant que je gesticulais dans tous les sens. Il refusait de prendre forme humaine parce que je l'énervais. Kael, lui aussi en repos, ne daignait plus me regarder après que je lui avais demandé de choisir entre la robe fleurie ou la jupe jaune. Il était donc resté dans mon lit alors que Ruben lui, me suivait partout pour que je puisse sentir le poids de son jugement. Il était compliqué d'ignorer un serpent furieux et aussi large que mon tour de bras. Mais s'il n'y avait eu qu'eux... Devais-je signaler que le livre de sorcière de feu madame Belevitch me traitait de poule mouillée toutes les cinq secondes ? Même ma propre Maison Jaune refusait de communiquer avec moi. Elle me boudait. D'après elle, si j'interprétais bien le lien qui nous unissait, je l'agaçais à tout déranger alors que j'aurais dû être dehors depuis un moment déjà.

Qui pouvait se vanter d'avoir une maison comme la mienne ?

Sur le chemin, je fus seule. Ainsi, tous les prétextes furent bons pour ne pas arriver trop tôt. Je marchais au lieu de prendre un transport routier, je flânais, je faisais du lèche vitrine... Malheureusement, puisqu'il était huit heures, rien n'était vraiment ouvert. Je n'eus pas l'occasion d'acheter quoique ce soit pour chacun des serveurs de La Taverne que j'arrivais déjà devant la devanture. Rien n'avait changé.

Avec son nom complet « La Taverne du Dragon » apparaissant sur la façade comme si un géant avait écrit à la main dessus, un dragon dansant autour du nom et dont les yeux ne cessaient de nous inciter à entrer dans son antre, une teinture rouge tirant sur le brun doux, un petit tableau noir sur pied informant des gourmandises que renfermait cet endroit devant l'entrée, une porte en bois clair accompagné de carré de vitre pour éclairer encore plus le salon, La Taverne ne faisait que détonnait dans le décor. La plupart des devantures était grise ou blanche. Avec sa teinture originale, elle ne pouvait que se distinguer.

Je relevai les lunettes qui étaient devenus magiques après avoir utilisé le grimoire de feu la mamie. D'ordinaire, je ne portais pas de lunettes de vue mais les lentilles que je mettais ne m'empêchaient pas de voir les flux de magies qui circulaient dans le monde. De plus, j'avais dû en acheter un millier car elles finissaient toutes par brûler, comme si mon œil ne supportait pas leur contact plus de quatre heures. Les quatre heures passaient, elles m'irritaient, je les enlevais et en les déposant sur un socle, elles prenaient feu.

Je ne cherchais même plus à comprendre grand-chose depuis que la magie était entrée dans ma vie. J'acceptais les faits bizarres comme j'accepterais qu'on m'offre une boîte de chocolat. Bien que ce n'était qu'un problème mineur - cela me coûtait certes de l'argent, beaucoup d'argent mais parfois il fallait faire les bons sacrifices - les flux magiques, eux me posaient plus de problèmes. Ils étaient certes peu hormis dans la partie sud de Vy, mais quand ils étaient présents, je ne pouvais pas les ignorer. Résultats, j'essayais sans cesse d'éviter de les toucher par mauvaise expériences, ce qui me valait des regards surpris et des chuchotements dans mon dos plus ou moins désagréables. J'avais donc décidé d'ensorceler une fausse paire de lunettes qui me permettaient de ne pas voir la magie et d'en plus cacher mon œil vairon. Cela m'avait valu de revivre une bonne trentaine de fois mes pires souvenirs mais elles étaient efficaces.

Comme escompté, je vis la magie de La Taverne. Cela dit, je ne l'imaginais pas aussi sauvage.

Une masse sombre mouvante enrobait l'enseigne. Le bâtiment entier. Des éclairs de couleurs zébraient la masse noire, synonyme de mélange de magie non contrôlée. Elle était menaçante, éclipsant les bâtiments à côtés. Puis comme si elle m'avait senti, ancienne propriétaire du lieu, la magie poussa un cri de guerre et grossit, devenant plus tangible, plus réelle, plus dangereuse. Je laissai tomber mon bras le long de mon corps.

- Nom d'une pépite en diamant, murmurai-je pour moi-même.

Il m'avait pourtant paru que tout allait bien ici.

La porte s'ouvrit, laissant apparaître Dron. La magie ne fit que de s'agiter encore plus, mais je décidai de l'ignorer jusqu'à nouvelle ordre. Dron Sadgelovsky faisait parti de ces personnes qui bien que grand et fin n'en étaient pas moins musclé. T-shirt brun, pantalon noir droit, port de lunette, cheveux bruns en bataille, lèvres pincés, bras croisé, Dron me fixa droit dans les yeux. Je ne bougeai pas, comme prise au piège. Des longues secondes passèrent.

- Tu comptes prendre racine là, Rowtag ? fit-il brisant le silence.

Avant, il m'appelait Ush. Je supposais que j'avais perdu tout droit concernant de l'affection. Je remis alors mes lunettes sur mon nez.

- Je suis venue pour m'excuser. Est-ce que je peux entrer ?

Il resta silencieux. Ce furent les secondes les plus longues de ma vie.

- Ça ne dépend pas que de moi. Demande d'abord à la magie de La Taverne. Elle refuse qui elle veut depuis que tu n'es plus la propriétaire du lieu.

Je mordis l'intérieur de ma joue. La dernière fois que j'avais essayé de régler le souci de la magie de la Taverne, j'avais fini lié à elle et j'avais eu l'impression de mourir. Cela étant, j'avais quand même failli mourir à de nombreuses reprises depuis. Mais les souvenirs avaient la dent dure. J'inspirai un bon coup. J'avais de l'expérience avec la magie maintenant. Je savais qu'elle pouvait faire mal à tout moment, je savais qu'il y avait toujours un souci quelque part, je savais que parfois elle pouvait avoir une conscience. Et puis, en tant qu'agent de liaison entre les deux mondes, j'avais dû supporter pire que ça. Comme, par exemple, gérer des bébés ours qui se battaient pour un doudou appartenant à un enfant humain. J'eus un frisson rien que d'y penser. Je ne conseillerais jamais cette expérience à mon pire ennemi. Et c'était aussi sans compter le grimoire magique qui m'enseignait le monde magique. Je grinçai des dents. Bientôt, je n'aurais plus besoin de lui demander des informations générales sur le monde magique puisque j'avais presque tout assimilé.

Je m'avançai vers l'enseigne et je me sentis soudainement comprimé dans mon être. Mon cœur ralentit, mes mouvements furent plus lents, plus incertain, les sons de mon environnement ne me parvinrent plus aussi bien qu'avant. Un cri presque inaudible ne cessa de résonner dans mon oreille. Lever les bras fut le mouvement le plus compliqué de ma vie. J'eus l'impression que tout le poids du monde reposait désormais sur mon corps. Je bloquai mes oreilles pour ne plus entendre quoique ce soit mais ce fut inutile. En fermant les yeux, j'entrai dans ce que j'appelais mon intérieur magique. Il ne fut pas comme d'habitude.

Comme j'avais oublié d'enlever mes lunettes, je n'avais pas pu voir la magie de La Taverne se jeter sur moi. Mais les symptômes ne trompaient pas, ni la vision de ma zone intérieure, représentée par une pièce blanche envahit par un amas de magie noir strié de quelques couleurs de temps en temps. Les couleurs fusaient à la hauteur de la colère de la magie. L'amas de magie était immense et commençait déjà à m'engloutir. Il criait, hurlait, m'insultait. La Taverne n'avait toujours pas compris mon abandon du lieu et comme un adolescent rancunier, avait décidé de faire savoir son désespoir à tout l'univers et à la principale concernée quand celle-ci s'était enfin décidée à revenir. Sentir la magie me traverser le corps, s'infiltrer dans tous mes pores dans l'unique but de me faire mal, était la pire des punitions.

Je serai les dents tellement c'était dur. Je sentais sa peine, sa colère. Rajoutons à cela ma propre culpabilité, je ne savais pas forcément si j'étais en droit de demander pardon. Respirer devint impossible. Je fis la dernière chose qui me restait à faire pour continuer à vivre et ne pas mourir du trop-plein de magie dans mon corps : je lui ouvris la porte de mes souvenirs. Faire une telle chose était risquée. La magie pouvait manger vos souvenirs, jusqu'au plus ancien, et vous laissez comme une coquille vide. Le langage ? Disparu. La respiration ? Pendant un instant, disparu. Capacité à apprendre ? Disparu. Ouvrir ses souvenirs à une magie sauvage n'était jamais recommandé. Jamais.

Toutefois, si j'ouvrais la bouche, je ne ferais qu'hurler, incapable d'expliquer et ce même dans mon antre intérieur. Mais j'avais confiance. La Taverne n'était pas méchante, juste en colère. Alors comme je l'espérais, elle fouilla mes souvenirs récents, et remonta peu à peu jusqu'au jours où j'ai hurlé de telles insanités. D'abord confuse, La Taverne ne comprit pas pourquoi j'avais une maison avec une personnalité, ni pourquoi j'avais deux compagnons métamorphes que j'acceptais de tout cœur. Puis au fur et au mesure des souvenirs, je revis les situations.

Je n'eus plus la sensation d'être comblée par trop de magique et je retrouvai un souffle normal quoiqu'un peu bancal. Sa voix remplit ma zone intérieure.

Ushma nous a insulté pour sauver d'autres êtres magiques.

Ce n'était pas une question mais j'y répondis tout comme.

- Oui. C'était le seul moyen pour être accepter de leur groupe et en étant accepter par ces gens, je pouvais savoir ce qui n'allait pas et j'ai pu ainsi sauver des vies.

Tu as fait tout ça pour sauver des Alters.

Je ne répondis pas. Patiemment, j'attendis que La Taverne prenne sa décision.

Tu ne nous as jamais détesté en fait. Jamais, jamais, jamais. Ushma va rester maintenant, n'est-ce pas ?

Je vis alors un flux magique s'approcher de moi, près à s'enrouler autour de mon poignée, prêt à se lier à moi. L'ambiance à l'intérieur de moi était plus calme, moins sauvage. Au fil de la conversation la magie de La Taverne avait changé d'apparence. Elle ne me semblait plus perturbé, seulement triste et à la fois heureuse. L'amas sombre remplit de colère n'était plus qu'un amas rempli d'espoir et de mélancolie. Je déglutis. Je ne pouvais pas être la propriétaire de La Taverne, j'avais un autre boulot désormais. De plus, j'avais déjà un lieu relié à moi. Je ne savais pas ce que deux lieux magiques pouvaient faire à mon corps humain. J'étais capable d'encaisser beaucoup, mais j'avais des limites.

- Je suis déjà liée à ma Maison Jaune, je ne sais pas ce que ça me ferait d'être liée à deux lieux magiques, lui expliquai-je comme si je m'adressais à un adolescent.

Et quelque part, la magie avait un comportement d'adolescent.

Tu peux, tu peux ! Je ne ferais pas de mal, jamais plus ! Je veux juste Ushma comme propriétaire. Pas obligé qu'elle soit tout le temps ici, Ushma peut travailler. Tu dois juste venir de temps en temps.

Et sans attendre, sans donner mon accord, le flux magique de La Taverne s'enroula autour de mon poignet gauche, s'incrustant dans ma peau, me laissant la marque d'un dragon à la fin du processus. Je n'eus aucune douleur, seulement la sensation d'être plus remplis, plus grande, plus forte. J'avais l'impression de pouvoir utiliser la magie de La Taverne à tout moment. Soudainement, sans transition, le décor changea. Je retrouvai alors mon désert aride parsemé de fils allant loin de moi. De l'autre coté des fils, je savais retrouver le grimoire de la sorcière, Kael, Ruben, la Maison Jaune, et désormais avec ce nouveau fil, La Taverne.

Je soufflai de soulagement et émergeai de nouveau dans la réalité. Dron me tenait à bout de bras, le regard inquiet mais patient comme s'il avait compris que je n'étais plus dans cette réalité-là. J'esquissai un sourire pour lui signaler mon retour et pour le rassurer. Alors que je me redressai un peu plus, prête à m'excuser de tous les tords que j'avais pu causer à ce qui étaient avant mes amis, mes jambes flanchèrent et je m'écroulai dans les bras de Dron. Je m'attendis à ce qu'il me repousse brutalement mais j'avais oublié à qui j'avais affaire. Ses bras s'enroulèrent autour de mes épaules, sa tête se posa sur le sommet de la mienne et il soupira.

- Pour ma part, chuchota-t-il, tu es pardonnée. Je suis les informations, tu sais ? Je sais ce que tu as fait, et c'est facile d'additionné deux et deux. Tu m'as manqué Ush. Vraiment beaucoup manqué.

J'étouffai un sanglot dû au soulagement et le serrai dans mes bras en retour. Se savoir accepter par un proche était un sentiment tout à fait gratifiant. Et rassurant. Je m'écartai de lui en souriant.

- Est-ce que je peux rentrer maintenant ?

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