L'adorable faon (3)
J'allais lui répondre quand il fit un bond dans ma direction et qu'il tira sur mon peignoir, comme pour attirer mon attention. Je le retins de justesse : je n'étais pas des plus vêtue en dessous et il était vraiment hors de question qu'un enfant voit un corps nu. Hun, hun. Ce ne sera pas moi qui lui montrerait ça.
- Dis, tu m'aides à trouver ma famille ? Je me suis perdu, expliqua-t-il d'une voix chevrotante et en baisant la tête. Je sais pas où est ma famille. Je l'ai perdu. Je l'ai perdu. Je suis perdu.
Il commença à sangloter et je ne tins pas plus longtemps. Je m'accroupis face à lui. Il me dépassait un peu ainsi mais ça m'était égale. Je pris son visage entre mes mains, essuyai ses larmes du pouce et chuchotai pour créer une proximité.
- Doucement, doucement, là, je suis là. Tu ne t'es pas perdu, tu es arrivé pile là où tu devais atterrir. Mais ne t'inquiète pas, je vais t'aider à retrouver ta famille. Il se trouve que ce genre de soucis, c'est mon boulot maintenant. Mais tout d'abord j'ai besoin de deux choses : quel est ton prénom et quel est ton dessin animé préféré ?
- Je m'appelle Adeas, fit-il la voix gorgée de larme, et j'aime bien... j'aime bien ce vieux dessin animé avec des fées. Les Winx.
Sa voix se fit un murmure et il recommença à entortiller ses doigts. Je levai les yeux au ciel pour réfléchir. Je ne savais pas comment j'allais trouver ce vieux dessin animé, mais j'allais le trouver. Et s'il fallait que je fasse quelque chose d'illégal pour l'avoir, tant pis. J'esquissai un sourire tendre à son égard et lui demandai de m'accompagner au salon pour qu'il puisse regarder un dessin animé. Il sauta sur le canapé puis s'installa délicatement, ses pattes arrière sous son corps et ses pattes avant pendouillaient sur les bords. Ce fut en le voyant assis dans mon canapé avec un jus que je lui avais préparé que je sus que mon boulot aurait de merveilleux moments. Et que je n'allais pas être uniquement un agent de liaison.
Alors que je m'apprêtais à remonter pour enfiler quelque chose de décent, un sifflement se fit entendre. Je me figeai tout comme Adeas. Il tourna la tête vers le couloir près à voir son cauchemar personnel près de lui. Ses yeux étaient emplis de terreur et mon cœur se brisa. Oh mon dieu, non. Un homme au crâne rasé, au nez un peu aplatit et au haut du corps encore taché, reste de sa métamorphose, apparut. Il regarda le petit garçon effrayé puis il m'observa. Il fit des allers-retours et je retins ma respiration. Il posa finalement son regard sur le jeune faon.
- Trop cool les pattes de cervidés, indiqua Ruben, je rêverais d'en avoir. Regarde avec quoi je dois me trimballer moi.
Un bout énorme de la queue d'un python s'éleva dans les airs. J'inspirai brusquement. Lorsque que j'étais stressée, je vivais mal la nudité de mes compagnons. Bon. Bien moins violemment que les premières fois où ils furent nus devant moi mais je restais toujours crispée. Et ce, même si Ruben m'ait expliqué à quel point la nudité ne comptait pas pour les métamorphes. Sauf en cadre privilégié. Expiration. Je m'étonnais encore une fois de la corpulence du bas du corps animal de Ruben. Voilà le truc : étonnamment, lorsqu'un métamorphe se transformait complètement il était un ou deux ton plus gros, puissant que son animal fétiche. Par contre, quand il s'agissait d'une transformation partielle, les attributs rejoignaient une logique humaine. En gros, en animal complet Ruben avait presque la tête d'un python normal, en partielle, sa queue avait le tour de taille de son torse. Et était franchement longue. Effrayant.
Adeas regarda curieux et un peu apeuré la partie serpent de Ruben. Il agita ses pattes avant dans le vide.
- C'est un peu nul, dit tout doucement Adeas.
Où était donc passé mon garçon bavard et excité ?
- J'te le fais pas dire. Je suis presque aussi lent qu'une tortue.
Il mentait honteusement. La vitesse avec laquelle il se mouvait témoignait de sa puissance. Je l'avais vu se déplacer sous forme partielle : je souhaitais du plus profond de mon cœur, ne jamais le croissait si on venait à être ennemi.
- Ça veut dire que je suis plus rapide que toi ? S'exclama le jeune faon, toute peur vite partis aux oubliettes. Trop géniale !
Adeas blablata et Ruben sourit : son visage s'éclaira. Son sourire sous-entendait qu'il était un serpent mais en même temps qu'il n'allait jamais faire de mal à quiconque. C'était un sourire que je qualifiais de dangereux. Si nous ne le connaissions pas, il n'était pas annonciateur de bonnes nouvelles à mon avis, mais si nous étions proche... Je soupirai intérieurement, un soupir de contentement. Avant de rejoindre le petit faon qui ne s'était toujours pas arrêté de parler de ces chances de survie "super méga ultra" énorme, Ruben contourna le long bar pour s'approcher de moi. Je tendis la tête en hauteur, parce que cette enflure était plus grand que moi, et il vînt déposer un bisou sur mes tempes tout en chatouillant cette partie de mon visage avec sa langue. Il me "goûtait" pour voir si tout allait bien chez moi. C'était notre rituel du réveil : s'il avait été en python, il aurait fait pareil.
Je souris, heureuse. Notre lien de meute rayonna. Il chantait la même rengaine chaque jour, chaque nuit, à chaque instant : "famille, foyer, amour, amour, amour". Un amour tout ce qu'il y avait de platonique, bien sûr. Il chuchota dans le creux de mon oreille. Il y avait toujours un soupçon de sifflement quand il parlait.
- Qu'est-ce qu'un jeune, bébé, métamorphe cerf ... bavard... fait ici ? C'est celui d'hier non ?
Je lui expliquai rapidement la situation et il hocha la tête à chacune de mes fins de phrases.
- Je vais m'occuper de l'occuper. Comment vas-tu retrouver sa famille ? Tu vas voir les hyènes ? Les vampires ?
- Je vais contacter Nahdya, fis-je après un long soupir, si y'a une harde de cervidé sur son territoire, elle doit bien le savoir. Après tout, les hyènes mangent les cervidés. Elle a dû les surveiller.
- Mh. Penses-tu que ça va faire partie de ton boulot de t'occuper des soucis des métamorphes ?
Je réfléchis tout en répondant à Adeas qui ne demandait qu'à être le centre de notre attention.
- Je ne dirais pas ça... Je pense que ce sera une conséquence de mon statut. Oh au fait, il a dit que je sentais comme son père mais en mieux. Tu sais ce que ça veut dire ?
Il se redressa de toute sa hauteur et haussa les épaules en s'éloignant.
- Tu sens bon, que veux-tu que je te dise ?
Si j'avais été blanche, je serais devenue une tomate. Bien mûre. Je reniflai discrètement le dessous de mes bras pour rapidement éloigner ma tête - j'en étais sûre, Ruben se foutait de moi. Une douche s'imposait. Je me précipitai vers les escaliers alors que Ruben demandait au jeune faon quel était son dessin animé préféré.
- Nahdya Hwaink à l'appareil.
Dans mon bureau, la tête d'un renard sur mes genoux, j'enfonçai ma main dans le pelage de Kael. Il me regarda, blasé. J'aurais bien voulu le lâcher mais j'étais... anxieuse.
- Ushma Rowtag, je suis l'agent de...
- Oh ! S'exclama Nahdya à tavers le téléphone. Je sais parfaitement qui tu es. Tu es la petite humaine agaçante, celle qui a complètement détruit nos vis.
Quoi ?
- Quoi ? Je n'ai jamais fait une chose pareille !
- Oh vraiment ? Alors dis-moi, qui s'est mêlé de nos affaires et qui a rendu publique notre existence ?
- Je ne suis pas responsable, feulai-je oubliant presque pourquoi j'avais appelé cette peste. Et si je ne m'étais pas mêlée de vos affaires, vous auriez eu une guerre sous les bras. A la place, Hwaink, je serais reconnaissante.
J'étais tellement énervée. Comment pouvait-elle m'accuser d'être la cause de tout ce merdier ? Si les Alters géraient mieux leurs conneries, je n'en aurais même jamais été mêlée. J'en oubliais de la vouvoyer.
- Je m'en fou de ce que tu crois, Humaine. Toujours est-il que maintenant mon peuple est encore plus en danger. A ton avis, quand sera de nouveau autorisé la chasse d'animaux sauvages ?
- Je m'en fou de ce que tu penses être vrai, sifflai-je entre mes dents en reprenant ses mots, mais au cas où tu ne l'avais pas encore compris : vous avez merdé. Vous, les Alters, pas moi. Et de toute façon, en qualité d'agent de liaison, j'aurais mon mot à dire sur une telle autorisation.
- Poste que tu n'as d'ailleurs toujours pas endossé. Tu attends le déluge jeune Humaine ? Le sens des responsabilités, tu connais ?
J'agrippai un peu plus fort Kael. Il glapit face à la douleur. Pour compenser ce désagrément, je le caressai. Lors de mes leçons, j'avais appris que le monde magique fonctionnait selon la loi du plus fort. Plus ou moins. Toujours était-il que si on paraissait faible, on allait se faire manger. Comme j'allais devoir travailler avec les espèces magiques, il était hors de question qu'on pense à moi comme à un succulent goûter. Jamais.
- Tiens, mais ne serait-ce pas le renard que j'entends là ? Ne devrait-il pas être mort à l'heure actuelle ?
- Mort ? Le sens des responsabilités ? Dis-moi, Hyène, quand as-tu pris pour la dernière fois des personnes sous ton aile et les as défendu coûte que coûte ? Tu sais... Comme devrait le faire tout alpha digne de ce nom. Tu me parles de responsabilités mais tu étais bien ravie de te débarrasser de deux métamorphes mal au point qui avaient été mis sous tes ordres et qui n'ont jamais mis ta meute en danger. Tu abandonnes bien facilement, je trouve.
- Qu'en sais-tu au juste ? ricana Nadhya. Tu ne connais rien au monde magique et tu espères me donner des leçons ?
- Peut-être n'ai-je pas d'expérience du monde magique avancée, mais moi au moins je ne me plains pas. En fait, je fais tout pour apprendre un peu plus chaque jour, je m'adapte. Et toi, tu te plains au lieu de t'adapter. A ta place, j'aurais honte qu'une pauvre humaine te donne des leçons de vie.
Je lui raccrochai au nez. Je soufflai par le nez. Le téléphone sonna et je décrochai, prête pour un second round. J'entendis le ricanement caractéristique d'une hyène en chasse. Des frissons parcoururent mon échine.
- Tu as du culot de me raccrocher au nez jeune humaine. Je suppose que tu ne m'as pas appelée pour le plaisir. Que veux-tu ?
- J'aimerais savoir si tu as repéré une harde de métamorphe cerf. Un petit s'est perdu et j'aimerais le rendre à ses parents.
- Oh. Qui te dit que je suis au courant d'une telle troupe ? Et pourquoi devrais-je les aider au lieu de venir manger ce repas sur pattes ? Et surtout, franchement, qu'est-ce que j'y gagne ?
Je bouillonnais. Elle menaçait Adeas. Un adorable garçon. Jamais. Jamais. Quelque chose de profondément magique s'agita en moi, prêt à en découdre.
- Ecoute moi bien Nahdya. Je ne le redirais pas. Je ne suis pas stupide, d'accord. Une troupe de "repas sur pattes" sur ton territoire et tu vas me faire croire que tu n'es pas au courant ? Ensuite, tu vas gentiment le faire parce que je te l'ai demandé. Il est temps de changer votre façon de faire. Vous ne pouvez pas vous permettre de vous marcher sur les pieds alors que vous devez être unis, plus ou moins. Alors tu vas me dire où se trouve cette harde.
- Tu es..
- Je n'ai pas fini. Si je vois une seule hyène dans les parages pour manger le faon, si je n'en vois rien qu'une seule Nahdya, tu te passeras d'un de tes membres. Je ne rigole pas. Je ne suis peut-être pas violente, mais j'ai des semaines d'angoisses à évacuer. Je m'en contre fiche d'y laisser la peau. En fait, je peux même assurer que si je meurs sous les coups de tes compagnons, tu auras plus de problèmes qu'à l'heure actuelle. En tant qu'agent de liaison, vous avez besoin de moi. Alors tu vas me donner cette information comme un service, et un jour, quand tu auras besoin d'aide, je te rendrais ce service.
Un peu plus tard dans la journée, dans mon jardin, Adeas sauta autour de son père et de sa mère. Ils furent tellement contents de le retrouver qu'ils l'embrassèrent tout le temps. Ruben était posé avec moi contre le mur de la maison à regarder ce spectacle.
- Alors ?
- Alors ses parents veulent bien le laisser venir de temps en temps ici.
- C'est bien. J'aime bien ce petit. Un peu prétentieux mais pas plus que moi.
- Personne ne peut égaler un serpent, indiquai-je en le taquinant.
Il me regarda et siffla d'une fausse indignation. Je ris un peu puis regardai ce jeune faon.
Il est temps Ushma Rowtag. Il est l'heure de travailler, fit une voix calme. Ma Maison.
Oui. Oui, il était temps.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top