L'adorable faon (2)
Plus jeune, lorsque j'étais à l'hôpital, je passais mon temps à regarder des documentaires animaliers. Pour me convaincre que le monde avait toujours été cruel, que je n'étais pas la seule à subir des atrocités, que le monde continuait de tourner. J'en avais mangé des documentaires. Des anciens, des récents, des films. Désormais, j'avais une bonne connaissance des animaux en général. Bien sûr, je ne possédais pas une mémoire d'éléphant pour mon savoir, mais je pouvais espérer reconnaître ce que j'avais en face de moi. La plupart du temps.
Comme à cet instant. Si je ne me trompais pas, ce type de cervidé devrait vivre en Asie bien qu'il ait été transporté en Europe. Ou alors il s'agissait d'un daim européen. Dans les deux cas, il n'y avait aucune raison pour que ce faon soit ici, dans cette île, loin de son habitat naturel. Le faon avait ce pelage rouge parsemé de taches tels les fauves, caractéristique des cervidés chital ou des daims européens. En l'absence de bois, je ne pouvais pas déterminer à quelle sous-catégorie il faisait partie.
Les cervidés étaient connus pour être les victimes de la nature. Sans déconner : ils mangeaient de l'herbe et se faisaient chasser par tout et tout le temps, humains comme animaux. C'était une vie que je ne souhaitais à personne.
Il pencha sa tête vers moi, comme pour me sentir ou pour savoir s'il devait se méfier de moi, et je pus voir l'intérieur de ses oreilles. Rien de distinctif. Je ne bougeai pas : les cervidés étaient plus que connus pour partir au quart de tour et je n'avais absolument pas la vitesse nécessaire pour maintenir le rythme de cet animal farouche. En temps normal, les cervidés vivaient en communauté. Un bébé cervidé ne survivrait jamais seul. Il n'y avait donc que deux possibilités : soit il avait été abandonné soit il était perdu. Je ne pouvais pas le laisser partir seul, il y avait des ours qui rodaient près de la frontière. Il leva un sabot avant comme prêt à avancer puis sa tête tourna brusquement vers un sifflement entendu. Le son provenait de derrière moi et je maudis Ruben profondément. Sans perdre de temps, il fuit par-delà les buissons aussi rapidement que devait lui dicter son instinct.
- Merde ! Jurai-je en me retournant.
Un python dressé sur lui-même me fit face. Je le pointai du doigt en l'accusant.
- C'est malin, maintenant ce faon va disparaître alors qu'il aurait pu rester ici ! S'il se fait manger ce sera entièrement de ta faute.
Il me siffla au visage, indigné et même pas un peu coupable.
- Oh, monsieur était curieux donc cela justifiait ta venue. Je rêve. En plus, ce n'est pas parce qu'il était un métamorphe qu'il va s'en sortir ! Il reste un bébé, un enfant ! Et bien sûr que si tu es responsable : tu es son ennemi naturel.
Il tira la langue, pas spécialement d'accord avec ce que je disais. Je soufflai de découragement.
- J'espère qu'il ira bien, marmonnai-je dans ma barbe en me dirigeant vers la Maison accompagné du python qui essayait de me grimper dessus.
Je devais m'informer le plus possible sur toutes les espèces magiques afin de bien faire mon travail. Je ne pourrais pas indéfiniment être indisponible. Le monde commençait déjà à s'effondrer. Et puis... J'allais devoir aussi apprendre la diplomatie. La. Diplomatie. Je n'avais rien d'une diplomate. Je n'avais aucun diplôme, aucune formation. Et même si j'avais plus de tact que la plupart de mes pairs, ce ne serait jamais suffisant. Ça s'annonçait mal.
- Il est l'heure d'apprendre, jeune femme, retentit une voix dans ma tête.
Mais à l'heure actuelle, j'avais déjà mal. Mes leçons sur le monde magique étaient données par le grimoire d'Asda Belevitch, une vieille sorcière morte plus puissante que les personnes que je connaissais jusqu'ici. Enfin... Peut-être pas mais l'idée était là. L'avantage avec ces leçons était qu'elles étaient rapides et pleines de savoir acquis plus ou moins instantanément. L'inconvénient ? Je souffrais le martyr. Je perdais de précieux souvenirs ou une plaie se ré-ouvrait. Ce n'était pas plaisant pour moi, mais le grimoire ne pouvait donner sans recevoir et malheureusement je ne pouvais pas me séparer de lui. Quelle vie.
- J'arrive, j'arrive, soupirai-je.
Le jour suivant, la Maison me réveilla avant l'aube. Mes compagnons étaient collés à moi. Le museau de Kae était coincé dans mon giron tandis que Ruben dormait sur moi, sa tête posée sur le renflement de mon sein droit. De temps à autre, la queue du renard balayait la couette et la langue du serpent goutait l'air, signe que ni l'un ni l'autre n'était en sommeil profond. Sortir de là sans les déranger fut un exploit que je ne devais que grâce à leur manque d'intérêt au fait de se lever si tôt. Pour ma part, je faisais suffisamment de cauchemars pour m'enlever le goût de dormir. Je pris mon peignoir car cette fois je n'avais pas un python pour me draper le corps et me réchauffer. Je descendis, et me dirigeai vers la cuisine lorsqu'un mouvement à gauche, détectable grâce à ma vision périphérique, attira mon attention. Par-delà la baie vitrée du salon, un faon me regardait. J'avais dû attirer son attention.
Ni l'un, ni l'autre ne bougea. Moi parce que je ne savais pas comment me comporter sans l'effrayer, lui parce qu'il devait chercher à ne pas attirer mon intérêt. C'était raté. Une longue minute silencieuse s'étendit. Deux, trois, cinq minutes puis il baissa la tête pour manger mon jardin, décidant que je n'étais pas une menace. Je soufflai de soulagement et commençai à me préparer mon petit déjeuner. Mon bol de céréales en main, j'ouvris la baie pour m'installer sur le rebord de ma maison et observai le cervidé. Il m'avait guetté du coin de l'oeil mais comme je ne faisais pas de mouvement brusque, il continua de manger.
Nous restâmes ainsi, silencieux. J'appréciais de plus en plus, la possibilité de voir les premiers rayons de soleil éblouir mon jardin. Le terrain avait décidé de garder le même décors que la veille. Les bourgeons de fleurs éclairés commençaient à éclore lentement, les feuilles vertes des buissons laissaient filtrer quelques rayons pour qu'ils puissent toucher ma peau, les quelques fruits que j'arrivais à distinguer grossissaient et devenaient mûres sous mes yeux. L'herbe gardait la rosée du matin, chose qui illuminait un peu plus mon terrain grâce aux premiers rayons. La magie décorait aussi mon jardin. Les flux sillonnaient lentement le sol comme reposés. Ils se promenaient, à l'aise, en paix. Parfois la magie du terrain, savant mélange de certaines magies naturelles, léchait mes orteils avant de reculer comme pour s'assurer que j'étais vraiment là. C'était bien. La seule magie qui détonnait était celle du faon. Elle semblait à sa place mais pas tout à fait.
- Tu t'es perdu petit ? Demandai-je au faon.
Je n'eus droit qu'à un sursaut et un regard méfiant.
- Je m'appelle Ushma, mais mes amis m'appellent Ush, indiquai-je en étirant les coins de ma bouche. Je suis humaine et je vis ici. Je n'ai pas l'intention de te faire du mal, que ce soit parce que tu es un faon ou parce que tu es un métamorphe.
Il fit un pas en arrière en me regardant. Ce n'était pas l'effet escompté.
- Tu ne peux pas partir petit. Il y a des ours ici, des loups surement, des hyènes aussi. Tu es seul. Je ne peux pas, ne rien faire. Je te propose de rester ici. Juste pour quelques temps, histoire que je trouve ta harde.
Un autre pas en arrière. Non. Non.
- Attends ! S'il te plait, ne pars pas, fis-je en tendant une main vers lui. Je veux juste t'aider. S'il te plait, gémis-je.
Il posa une patte avant vers moi, hésitant. Sa tête se pencha encore une fois vers moi, craintif. Je coupai ma respiration. Quelque chose profondément enfoui en moi se réveilla. Ça fourmillait. Ça voulait sortir. Je devais le libérer mais je ne savais pas ce que c'était. Pourtant, en une expiration, je sus que j'avais réussi à faire ce qui devait être fait. Le faon releva la tête et vînt si rapidement vers moi que j'en tombai à la renverse. Ma tête rencontra alors le sol du salon.
- Aie, aie, aie, grommelai-je en me tenant l'arrière du crâne entre les mains. Franchement quelle... Oh !
La tête du faon envahit mon champ de vision. Il approcha de plus en plus jusqu'à avoir la confirmation d'un je-ne-sais-quoi. Il s'écarta alors et je le vis faire des bons dans tous les sens. Il semblait joyeux. En me relevant, il s'approcha puis s'éloigna de moi toujours en gambadant. Je ne savais pas ce que j'avais fait, mais il semblait que j'avais réussi à faire quelque chose de bien.
- Je vois que je ne te fais plus peur. Penses-tu que tu pourrais changer... d'apparence ?
Il continua de sauter, à gauche, à droite, traversant les buissons pour revenir aussi tôt. Seigneur.
- J'ai des céréales. Et la télé si tu veux. Je connais pleins de chaînes de dessins animés. Ou alors, ajoutai-je en croisant les doigts derrière mon dos, j'ai pleins de jeux de sociétés, on pourrait y jouer. Mais pour tout ça, il faut des doigts.
J'allais rôtir en enfer pour ce mensonge. J'allais devoir acheter des tonnes de jeux de société. Juste pour éviter d'être une menteuse.
Alors que j'allais l'interpeler une énième fois, le faon sauta au-dessus de ma tête pour entrer dans la Maison. Oh mince. Je regardai au-dessus de ma tête pour voir que le haut de la baie vitrée s'était agrandi. Je rêve. En me redressant, j'écartai les bras dans le vide, en pure incompréhension. La Maison comprit et me répondit.
- Je n'allais pas le laisser se prendre la baie.
- Allons, bon, fis-je en récupérant mon bol de céréales vides et suivant le faon qui disparaissait vers les salles d'attentes. Puisque tu es capable de changer de dimension, est-ce que tu es capable de faire apparaître des vêtements pour le gamin, et des jeux de sociétés ?
Silence.
Bon. J'aurais essayé. Le bol de céréale lavé, j'entendis des sabots claqués sur le sol. En me retournant, je vis derrière le bar la tête d'un petit garçon. Il avait des petits cheveux raides châtain. Un châtain ordinaire. Il avait des grands yeux de... biche. Son visage avait encore des traits de son animal mais je doute qu'il puisse y faire quelque chose. Il devait être encore trop jeune pour faire attention à ses métamorphoses. Il contourna le bar et le verre que je tenais pour lui préparer un jus de fruit tomba. Il était torse-nu mais le bas de son ventre changeait de couleur et de forme. Son bas du corps était ses quatre pattes de bébé cervidé. J'avais déjà vu des changements partiels, mais Kael et Ruben étaient vieux, ils avaient l'expérience. Pas ce petit gus. Voyant mon air surpris, il prit ses doigts et les tortilla. Ses sabots tapèrent un peu le sol.
- Mon papa, commença-t-il à déballer, m'a dit de pas totalement me changer quand je suis pas devant un membre de la famille. Y m'a dit : Surtout ne te change pas sinon tu auras affaire à moi. Y m'a fait peur. Mais Maman elle m'a dit que je pouvais me changer seulement si je gardais le bas animal ! Elle m'a dit que c'était que maintenant. Que les humains n'allaient pas nous tuer. Avant je n'avais pas le droit. Papa est content quand je suis comme ça. Y dit que je suis le plus fort et que je serais comme lui. Mais je sais pas si je veux être comme lui. Il est méchant parfois. Mais je veux ces cornes. Elles sont grandes, comme ça.
Il écarta ses petits bras. J'étais abasourdie.
- Plus grande encore, je mens pas, continua-t-il en sautant un peu de temps en temps – l'excitation – , Y m'a interdit aussi d'aller voir les humains. Mais moi je veux des amis ! Les autres faons ne m'aiment pas... Mais peut-être que les humains seront plus sympa ! Tu m'as bien accueilli non ? Mais tu sentais comme Papa, comme la maison. Mais en mieux. Et puis tu as un beau jardin ! Tu penses que les enfants humains ont des beaux jardins aussi ? Tu as dit que tu avais la télé , c'est vrai ? On peut regarder ?
Il attendit, impatient de mes réponses. Moi, tout ce dont j'arrivais à penser était :
Hyperactif. Ou en tout cas, enfant avec trop d'énergie à dépenser.
Seigneur. Dans quoi m'étais-je impliquée ?
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