Chapitre 1

~ Harper ~

– Harper ? Vous êtes avec moi ?

Je relevai les yeux sur la blonde enserrée dans un tailleur crème et un chemisier blanc face à moi. Elle avait croisé ses jambes pendant notre discussion. Je laissai échapper un soupir agacé. Bien sûr que j'étais avec elle... depuis plus d'une heure ! Je me retins pourtant de le lui dire, sachant qu'elle détenait mon avenir entre ses mains. Elle tapait son stylo à intervalle régulier sur son bloc-notes, n'arrêtant que pour écrire quelques lignes de temps à autre, peut-être juste quelques mots. Je hochai la tête en me redressant, son canapé m'entraînant inlassablement en son centre, vers le trou creusé par les trop nombreux postérieurs qui étaient venus s'y asseoir.

– Oui.

– Vous en étiez au rapatriement du commandant Harrisson, me rappela-t-elle.

Je me tendis instinctivement à son nom.

– Avez-vous eu peur ? reprit-elle d'une voix horriblement douce.

– De quoi ?

– De le perdre ?

– Oui, répondis-je avec un temps de retard. Mais je ne vois pas le rapport avec l'enquête actuelle, madame Brown.

– Vous êtes sur la défensive, me sourit-elle en décroisant ses jambes.

– Qui ne le serait pas ? contre-attaquai-je en plantant mon regard dans le sien. Nous avons évacué la zone il y a deux semaines. Et depuis, je suis convoquée dans votre bureau tous les matins de 8h30 à 10h. Et vous me posez toujours les mêmes questions. Expliquez-moi à quoi cela rime.

La psychologue garda le silence pendant quelques secondes, sondant mon regard. Comme si elle allait trouver des réponses mystères à des questions imaginaires. Je soupirai une nouvelle fois, agacée. Elle sourit en prenant le dossier que je connaissais sur le bout des doigts.

– Vous êtes sous le coup d'une enquête, vous ne l'ignorez pas. Vous avez sauvé cinq membres de votre unité, à commencer par votre ami Ethan.

– C'est exact.

– Il n'était pas le plus gradé.

– Mais le plus grièvement blessé.

– Votre Lieutenant-colonel vous a menacée pour cela, me rappela-t-elle. Et pourtant, vous êtes restée campée sur vos positions.

– Par contre-ordre de mon Colonel, sifflai-je. Nous étions en guerre. Le Lieutenant-colonel Avallone a perdu son sang-froid parce qu'il avait peur de mourir ! Il voulait que je l'évacue en premier mais j'étais seule, blessée et j'avais quatre hommes dans l'incapacité de m'aider. Alors j'ai trié les priorités. Il était une menace pour notre survie. Nous nous sommes crashés à seulement deux cents misérables mètres de notre base. Le plus gradé – qui n'était pas Avallone – a refusé que je l'évacue avant que tous ne le soient. Alors j'ai obéi. Et j'ai évacué Ethan. Il n'aurait pas pu supporter une évacuation tardive, il avait besoin de soins urgents !

– Harper...

– Je suis revenue à trois reprises sur le site, continuai-je en la coupant. Sous les balles ennemies, avec une plaie frontale importante. Le pilote avait avancé de plusieurs mètres quand je suis revenue une quatrième et dernière fois pour lui. Alors oui, j'ai pris les décisions qui s'imposaient pour sauver les vies de toute mon unité !

– Et je ne remets pas vos actes en cause, Capitaine...

– Alors quoi ?! sifflai-je.

– Je dois seulement m'assurer que vous tenez le coup, s'adoucit-elle.

– C'est le cas, tranchai-je.

– Vous êtes sûre ?

– Oui, lui assurai-je en plongeant dans son regard. Marquez ce que vous voulez dans votre rapport. Je n'ai fait que mon devoir. Ethan m'a sauvée à de nombreuses reprises. Je l'ai évacué avant deux de mes gradés, oui. Mais des décisions médicales s'imposaient. Rien de ce que pourra dire le Lieutenant-colonel Avallone ne me fera changer d'avis. Je dois y aller. Il est dix heures.

Elle se leva en même temps que moi et me regarda passer ma veste en silence. J'avais quitté mon uniforme depuis treize jours déjà. Ma tenue civile n'avait pourtant rien à lui envier : totalement noire. Lorsque je me tournai vers la petite blonde, elle me tendit un papier en observant mes réactions. Je le pris avec méfiance en glissant la seconde lanière sur mes épaules.

– Transmettez mes encouragements au Commandant Harrisson pour son rétablissement. Bonne journée, Capitaine. Et bon courage pour la suite.

– Quoi ? Mais on se voit demain...

Le haut du document me sauta alors aux yeux. Elle avait autorisé ma reprise. Je haussai les sourcils sans comprendre mais, lorsque mon regard revint sur elle avec confusion, je n'obtins qu'un sourire. Mon sentiment de malaise s'accentua mais je ne rajoutai rien, ne demandai aucune explication. Je m'avançai vers la sortie sans être sûre de ce que cela signifiait et acceptai sa main tendue... puis m'enfuis sans demander mon reste. Enfin libre ! Retour complet à la vie civile, ma vieille...

Je partis au pas de course vers ma Toyota Camry et repris le chemin de mon appartement. Je me garai le long du trottoir sans pour autant sortir de l'habitacle, regardant le papier que m'avait donné la psy. J'allais sortir quand l'appel habituel me fit sourire. 10h33. Presque à l'heure. Je décrochai sans même regarder le nom du contact.

– Je te manque déjà ?

– Toujours ! dit Ethan à l'autre bout du fil. Sortie ?

– Et apte à reprendre du service !

– En voilà des nouvelles ! rit-il. Quand est-ce que tu viens à la maison, alors ?

– Bientôt, lui promis-je. Je dois encore... apprivoiser cette nouvelle vie.

– Tu n'es pas rentrée chez toi, c'est ça ?

– J'ai dormi à la base, avouai-je.

– Harper... gronda-t-il. Ce que j'ai dit dans l'hélicoptère est toujours valable !

– Je sais, Ethan. Je sais !

– Alors, rentre chez toi !

– Je m'y sens confinée, soupirai-je. Je devrais peut-être me prendre un chien...

– C'est ça ! Pauvre clebs !

– Connard ! ris-je malgré moi. Tu n'as pas des trucs à faire toi, d'ailleurs ?

– Ma séance de rééducation est retardée, sourit-il. Je voulais savoir comment tu allais.

– C'est à moi de te poser ce genre de question.

– Non, me rembarra-t-il. Je suis le plus vieux. Je suis ton officier supérieur. Je suis encore plus gradé que toi. Et je suis ton meilleur ami, ma poule. Je m'inquiète d'abord pour moi, puis toi pour moi.

Un double appel me fit décoller l'appareil de mon oreille, toujours en souriant. Sauf que le nom me fit froncer les sourcils, ne m'annonçant rien qui vaille.

– D'ailleurs, mon Commandant... J'ai un appel plus urgent ! Je te rappelle, OK ?

– Harper, ne t'avise pas de me racc...

Mais je raccrochai avec une fierté non dissimulée. Même si Ethan ne pouvait pas me voir, il savait pertinemment que j'adorais le rendre fou. Et aussi l'énerver. Il me rendait bien la pareille. J'aurais pu garder mon sourire si le nom qui s'affichait encore sur mon téléphone n'était pas celui de quelqu'un d'effectivement plus gradé qu'Ethan... Et vu la situation actuelle, je ne savais pas quoi en penser. Mais le devoir se rappela à moi et je décrochai en expirant brusquement. Quand il faut y aller...

« Appel entrant : Colonel Whitaker ».

– Mon Colonel ?

– Capitaine Reeves. Rejoignez-moi au Pentagone dans une heure.

– Au Pentagone ?

Je passai le téléphone sur mon oreille gauche, le temps d'allumer le contact. Lorsque je revins sur la droite pour le coincer contre mon épaule, le Colonel avait repris d'une voix autoritaire.

– Est-ce un problème pour vous ?

– Non, mon Colonel. Est-ce que je dois m'inquiéter ?

– Pas que je sache, Capitaine. Je vous y attends.

– Mais j'habite à...

– Baltimore, je sais, me coupa-t-il. En partant maintenant, vous devriez être à l'heure.

Il raccrocha sans plus de détails et je me contentai donc de mettre le GPS pour regagner la capitale américaine et son Département de la Défense. 1h08. Super... J'étais foutue.

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