Chapitre 4
Ce qui était perturbant avec Derek, c'est qu'il ne se rendait pas toujours compte tout de suite de l'état dans lequel il se mettait parfois. De l'angoisse dans laquelle il le plongeait lui. D'abord, ça commençait avec ses yeux bleu-vert qui se perdaient dans le vide. Qui fixaient le néant. Puis, Stiles voyait tous ses muscles se tendre, entendait son souffle se faire irrégulier. Puis, il voyait l'affolement se peindre dans son regard. Et il savait ce qu'il se passait. Derek revivait l'incident. Sans même dormir, être inconscient. Il perdait tout simplement la conscience de son environnement, de tout ce qui l'entourait. Parfois, il avait la chance de ne pas être complètement déconnecté de tout. Les fois où cela arrivait toutefois, c'était compliqué. Parce que Stiles ne savait pas quoi faire et se retrouvait complètement... Démuni. A essayer des choses qui se révélaient souvent sans résultat. Là, ça allait. Derek était partiellement présent. Bien sûr, il n'imaginait pas l'état réel dans lequel il était. Mais ce n'était pas grave, parce que Stiles était là pour l'aider, le rattraper.
Cela ne serait toutefois pas toujours le cas.
Pour l'instant, Stiles avait mis sa vie professionnelle en pause pour s'occuper de sa petite famille, qui vivait grâce à l'héritage pharamineux des Hale. De ce côté-là, l'hyperactif n'aurait donc pas de souci à se faire pendant un moment. De toute façon, l'argent n'était rien à côté de l'état mental désastreux de son mari et de leur fils qui, chacun à leur manière, tentaient d'aller de l'avant. Mais ce n'était pas assez. Ça ne bougeait pas. Eli s'isolait et Derek peinait à rester ancré dans le moment présent. Dans tous les cas, ça bloquait.
Stiles retint un soupir et serra son homme contre lui, en évitant autant que possible de lui faire mal. Son homme dont l'air restait hagard et les tempes, luisantes de sueur. Il avait commencé à revenir, mais ce n'était pas encore fini.
- Je suis là, Der. Tu es à la maison. Rappelle-toi que tu es à la maison. Dans mes bras.
D'une main, il lui caressa la joue. Dans ces moments-là, tout ce qu'il trouvait à faire, c'était de le câliner tout en lui parlant. Il avait tendance à se dire que ça fonctionnait, que... Ça avait un semblant d'effet. Il ne savait pas si c'était réellement le cas, mais il essayait toutefois de s'en convaincre. Et la tendance qu'avait Derek, comme il le fit soudainement, de refermer ses bras sur sa taille, lui disait que quelque part, il devait avoir raison. L'affection qu'il lui apportait... Elle lui était salutaire. Néanmoins, elle n'était pas assez et Stiles se savait... Insuffisant. Il faudrait davantage de soins à Derek pour que celui-ci se remette de l'incident.
- A la maison... Répéta Derek.
Le loup-garou posa sa tête sur l'épaule de son mari et ce dernier l'entendit haleter, légèrement.
- Pardon, souffla le loup-garou.
Stiles sentit son cœur se briser, comme chaque fois que Derek s'excusait d'avoir cauchemardé, ou fait une crise.
- Tout va bien, Sourwolf.
Stiles ne saurait dire si c'était le devoir de faire semblant ou l'habitude qui lui faisait avoir une voix si claire, si assurée. Il y avait dans son propre ton quelque chose de sûr, un aplomb qu'il savait faux, mais qui faisait illusion. Pour être honnête, il était fatigué. Assurer sur tous les plans n'était pas aussi simple qu'on pourrait le croire. Il ne suffisait pas d'essayer de rendre son mari et son fils heureux malgré tout.
Il fallait le faire en essayant de ne pas se perdre et ça, c'était une autre histoire. Si le personnage que s'était créé Stiles tombait, leur famille s'effondrerait et ça, il en était hors de question.
Parce que l'homme qu'il était devenu n'était pas aussi serein ni aussi assuré qu'on ne le pensait. Il avait ses fragilités, ses doutes et il ne les exprimait pas. Ou peu. Parfois, il envoyait quelques textos à Isaac, quand tout garder pour lui devenait trop dur. D'autres fois, c'était Peter qu'il contactait. Peter qui, le jour funeste de la presque mort de Derek, avait été trop sidéré pour agir. Parce qu'en voyant les flammes dévorer le corps de son neveu, il avait revécu l'incendie du manoir. Pour lui, impossible de faire quoi que ce soit à ce moment-là tant le choc et la sidération l'avaient mis à mal. Alors, Stiles ne lui en voulait pas.
Par contre, il vouait une haine sans demi-mesure envers Scott. S'il en voulait aux trois quarts de la meute, c'était à lui en particulier qu'il ne pourrait jamais plus pardonner quoi que ce soit. C'était l'homme qu'il tuait dans ses cauchemars. Oh, il avait longtemps aimé Scott. Il s'agissait d'un frère pour lui, de quelqu'un d'extrêmement important... Jusqu'à ce qu'il laisse Derek se sacrifier sans essayer ni de le sauver, ni de cacher les yeux d'Eli. Tout ce comptait pour lui, c'était Allison. Ç'avait toujours été elle. L'amour, son premier. A ses yeux, l'amitié ne valait rien. Au final, qu'était Derek pour lui ? Qu'était-il pour qu'il l'ait regardé mourir de la sorte sans essayer de faire quoi que ce soit ? Stiles évitait de se poser trop souvent cette question tant elle l'enrageait. Dans tous les cas, Scott aurait dû agir. Qu'importe la personne qui s'était trouvée là, sur ce bûcher improvisé, à brûler vive. Regarder sans rien faire était l'insulte la plus profonde qu'il aurait pu faire à la vie. En cela, et sur beaucoup d'autres aspects encore, il ne méritait pas son statut d'alpha.
Statut que, de son côté, Derek avait gagné par son acte que le monde surnaturel avait dû juger... Courageux. En soi, ça l'était. Mais qu'était le courage à côté de la mort ? Car oui, Derek était mort ce jour-là. Une part de lui, en tout cas. L'autre n'arrivait pas à cicatriser. A quoi servait l'étincelle alpha dans ce cas-là ? Stiles se fichait du fait que son homme ait acquis – sans tuer – un pouvoir que beaucoup convoitaient. Il avait failli le perdre... Et ne tenait plus que son ombre entre ses bras. Stiles raffermit son étreinte lorsqu'il sentit Derek trembler contre lui.
Il était devenu si fragile... Encore plus brisé qu'il ne l'était déjà.
Réfrénant la douleur qui l'assaillait, Stiles le câlina et lui parla durant de longues minutes, usant de sa patience et de tout son self control pour tenir le coup. Pour l'instant, la priorité, c'était Derek. Ensuite, Stiles devrait aller voir Eli. Parce qu'il entendait toujours tout.
Et après, seulement après... Stiles s'autoriserait un temps mort. Il enverrait un message à Isaac. Disons que s'il parlait parfois à Peter, c'était surtout pour le tenir au courant de l'avancée lente, si lente de la guérison de Derek. Il évitait les détails. Alors qu'avec Isaac, il n'y allait pas avec le dos de la cuillère et il osait s'exprimer... Parler de son ressenti à lui, de ce qu'il endurait de son côté. Il avait besoin de se confier à quelqu'un, sans tabou, sans se museler. Isaac était l'ami parfait à ce niveau-là. Toujours disponible : s'il ne l'était pas, il se débrouillait pour se libérer au plus vite. Il l'écoutait toujours, ne le jugeait jamais.
Un soutien précieux perdu dans le brouillard.
Contre lui, Derek tremblait un peu moins. Ça allait doucement mieux. Stiles arrivait à le rassurer, à lui faire reprendre pied dans la réalité. C'était lent, progressif, mais vrai.
Derek s'excusa encore. Stiles lui dit que ce n'était rien, que tout allait bien. Qu'il était là pour le rattraper quand il vacillait. Il rigola sur le fait qu'il n'était qu'un humain, mais qu'il savait se montrer utile de temps en temps.
Derek ne rit pas. Leva les yeux dans sa direction. Le regarda avec une intensité qui faillit briser le masque de Stiles.
- Tu n'imagines pas à quel point tu es spécial, Stiles.
Il avait la voix grave et toujours aussi atrocement peu assurée. Mais il le regardait dans les yeux, ne cherchait pas à éviter ses prunelles. Particulièrement désarçonné, l'hyperactif choisit de se calfeutrer derrière un semblant d'humour. Des défenses toutes personnelles, pour ne pas montrer les fragilités en lui. Autrefois, il ne voyait aucun inconvénient à être sans filtre.
Mais Derek allait bien plus mal que lui.
- Spécial à tes yeux parce que je suis un bijou taillé pour toi et que mon sarcasme te fait vibrer depuis qu'on s'est rencontré ?
Il réussit à lui tirer un sourire, si léger et si petit qu'il crut un instant l'avoir rêvé. D'ailleurs, il aurait aimé être plus cru dans ses paroles pour lui voler davantage qu'un rictus, mais il n'oubliait jamais la présence d'Eli, qui devait sentir et entendre qu'ils s'aimaient et qu'entre eux, ça marchait toujours malgré tout.
Il n'avait juste pas besoin ni envie de connaître le côté intime de leur couple. Ainsi, pour lui, Stiles faisait attention à ce qu'il disait dans cette maison. Ici, les murs avaient des oreilles poilues.
Derek le regarda avec une tendresse toute particulière et teintée de cette peur qui ne le quittait plus vraiment depuis qu'il s'était réveillé des mois plus tôt, le corps partiellement brûlé. Il secoua doucement la tête.
- Spécial parce que tu es incroyable, dit-il en se forçant à mettre un peu d'aplomb dans ses mots.
Parce qu'il mentait. Il était honnête dans ses paroles, mais ce n'était pas elles qu'il comptait déclamer au départ. Ce qu'il gardait au fond de lui et ce qu'il n'osait dire... Était bien plus intime et pitoyable que tous les éloges qu'il avait envie de lui faire. Eloges que Stiles méritait amplement.
Stiles rougit et détourna légèrement les yeux. Derek eut envie de rire, et en même temps pas vraiment. Il n'était pas si bête, pas si aveugle. Un peu quand même, et ça il en avait conscience.
Mais non, il ne l'était pas suffisamment pour ne pas voir que de son côté, Stiles n'était pas complètement lui lorsqu'il se trouvait en sa présence.
- Je t'aime, souffla-t-il.
Ça, c'était spontané. Quelque chose qu'il mourait d'envie de lui susurrer à l'oreille mille fois par jour, encore et encore, mais qu'il ne faisait pas tant que cela, par peur du ridicule. Par peur que Stiles le trouve pathétique. Par peur qu'il le trouve trop... Misérable. Parce que chaque fois qu'il prononçait ces mots, récemment, il y avait dans son ton cette urgence et ce désespoir qu'il n'aimait pas. Alors Derek espérait que de son côté, Stiles soit sourd à ces détails. Et il limitait ses déclarations au maximum, terrifié également à l'idée d'entendre le mensonge dans le cœur de l'hyperactif lorsqu'il lui répondait.
Stiles esquissa un grand sourire, de ceux qu'il trouvait toujours si lumineux qu'il en avait parfois le tournis. Cette fois-là ne fit pas exception. Derek se sentit toute chose, et attendit la réponse avec un mélange d'angoisse et d'excitation toute amoureuse.
- Moi aussi Sourwolf, murmura à son tour le châtain avant de déposer, avec une extrême délicatesse, ses lèvres sur les siennes.
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