Chapitre 3
Sans surprise, Eli avait rivalisé avec Flash : il avait dévoré son repas en un temps record, juste pour pouvoir s'enfuir dans sa chambre en un temps record. Derek fit comme si cela ne lui faisait rien et Stiles... Stiles prit sur lui pour restreindre la moindre de ses émotions négatives. Il s'acharna alors à parler, monopoliser la parole, enchaîner les sujets de conversation pour occuper son mari et essayer de meubler l'absence de leur fils.
Et comme Stiles était extrêmement doué, il finit par arracher un pâle sourire à Derek. L'hyperactif décida alors de pomponner son loup et lui enjoignit de se carapater dans leur chambre pendant qu'il débarrassait et qu'il préparait quelque chose. Derek, ne désirant pas que Stiles se charge de tout, se proposa pour l'aider. Mais le châtain refusa et l'embrassa chastement avant de le chasser gentiment de la pièce. Une fois seul, il se mordit la lèvre inférieure. Rangea tout à vitesse grand V. Partit câliner un petit peu Eli, pour lui faire comprendre qu'il ne l'oubliait pas et qu'il l'aimait fort. Ne lui parla pas de Derek. Dans ce genre de moments, il valait mieux éviter. Revint ensuite dans la cuisine. Prépara un plateau garni de nombreuses victuailles grasses et sucrées, lourdes et salées : les choses typiques que Stiles mangeait lorsqu'il était déprimé. Et que Derek aimait bien de temps à autres. Disons qu'il avait appris à apprécier – et on ne peut pas dire que Stiles lui avait laissé le choix.
Une fois qu'il eut terminé ses légers préparatifs, Stiles porta le plateau jusqu'à leur chambre. Derek afficha un air étonné lorsqu'il arriva. Disons que si l'humain connaissait son loup par cœur et utilisait toujours les mêmes techniques, le loup en question peinait à s'en souvenir. Alors chaque fois, il se retrouvait surpris et Stiles ne s'en formalisait pas : tant mieux, s'il continuait de l'étonner.
Mais cet oubli récurrent n'existait pas depuis si longtemps que cela.
Un sourire sincère étirant ses lèvres, Stiles s'installa sur le lit, le plateau sur ses genoux, s'empara de la télécommande de la télévision et sélectionna une application de streaming.
- Superman ? Demanda-t-il simplement en tournant la tête vers lui.
Derek eut l'air perdu. Puis il hésita. Hocha finalement la tête. Stiles se força à ne pas laisser son sourire disparaître. Contrôla ses émotions, comme il en avait l'habitude. Avoir un mari et un fils extraordinaires avait eu l'avantage de lui laisser tout le loisir de s'entraîner dans ce domaine-là. Pas que Stiles désire vraiment leur cacher quelque chose en particulier : il était simplement conscient de la lourdeur que pouvait occasionner la perception des émotions d'autrui. Les deux amours de sa vie avaient bien assez de leurs problèmes à gérer, pas la peine donc qu'il leur impose les siens. C'était d'ailleurs d'autant plus vrai depuis l'incident et Stiles ne se voyait absolument pas aller dire à l'un ou à l'autre qu'il se sentait tout aussi mal qu'eux. Il avait beau ne pas avoir été là – ce qui était déjà pour lui une grande souffrance –, il n'en était pas moins un spectateur de leur déchéance. Déchéance qu'il faisait tout pour ralentir, stabiliser, arrêter.
Mais voilà, Stiles n'était qu'un humain. Avec un cerveau d'humain. Une force physique d'humain. Une âme d'humain. Un optimiste humain.
Des limites humaines.
Et doucement, il s'en rapprochait malgré lui. A valser entre son mari et son fils. A essayer d'éponger leurs malheurs respectifs, à faire tout ce qui était en son pouvoir pour essayer de les empêcher de sombrer totalement. Stiles n'était pas idiot : il faisait attention. S'il voulait tenir le plus longtemps possible, il savait qu'il lui fallait prendre sur lui... Et se ménager. Faire en sorte de ne pas se détruire dans cette épopée à la fin incertaine.
Quelques minutes plus tard et le plateau vidé, Stiles laissa Derek poser sa tête sur son torse, celle-ci toujours tournée en direction de l'écran de télévision. Et là, tous les deux allongés dans leur lit, l'un contre l'autre, ils se sentaient bien. Stiles eut même l'impression de retrouver, l'espace d'un instant, le Derek Hale d'avant, le côté râleur parisien en moins.
Sauf qu'autrefois, leur position était inversée. C'était Stiles qui posait sa tête sur le torse de Derek. C'était lui, qui se retrouvait en quête de contacts purs, d'affection. C'était lui qui se laissait étreindre et protéger par ce loup qui avait tant fait pour lui. Sa vie était bien différente depuis qu'ils étaient ensemble. Elle avait beaucoup changé et ce, sur énormément de points. Rien que pour cela, il pouvait faire l'effort d'outrepasser ses insécurités et de prendre le relais.
Maintenant, c'était Derek qui avait besoin de se sentir protégé et même si Stiles n'avait pas l'habitude d'être celui qui rassurait, qui menait la barque, il faisait de son mieux et continuerait le temps qu'il le faudrait. Déjà quelques mois que ça durait et... Objectivement, il ne s'en sortait pas si mal. Une main dans les cheveux ébènes de son compagnon, il s'amusait à leur faire des petits nœuds sans s'en rendre compte.
La fin du film arriva vite, bien trop vite pour l'hyperactif. Si le regarder l'avait aidé maintenir ses émotions et pensées sous contrôle, le générique de fin fit rater un battement à son cœur. Mais rien de plus. Stiles ne s'autorisa pas le luxe de se laisser exploser. Pas alors que Derek était là, contre lui. Les sens à moitié endormis, mais... Toujours là. Pour peu, Stiles lancerait presque un nouveau film, cependant... Derek avait beau être plus passif et moins attentif à ce qui l'entourait, il lui arrivait parfois d'avoir quelques moments où il doutait. Où il se disait que, peut-être, Stiles lui cachait quelque chose. Si le châtain réussissait toujours à s'en sortir, c'était justement parce qu'il maintenait une routine bien huilée. Il savait que parfois, un simple détail suffisait à attirer l'attention. Alors, il tapota la tête de son loup et s'excusa de le déranger. Néanmoins, il y avait une chose dont ils devaient s'occuper, tous les deux. C'était indispensable. Désagréable. Ça leur faisait du mal à tous les deux.
Mais ça restait nécessaire.
Derek se redressa doucement en retenant une grimace. Il ne le disait pas, il ne le disait jamais. Stiles savait. Et c'était pour ça qu'il ne pouvait pas faire l'impasse.
- On y va ? Dit-il doucement en forçant un sourire doux et désolé à la fois.
- Je peux y couper ce soir ? Tenta Derek, sans trop de conviction.
Stiles rit doucement et posa un baiser chaste sur les lèvres de son homme. Il aimerait accéder à sa demande, vraiment. Le faire souffrir et lui rappeler sans arrêt ses cauchemars... En s'occupant de ceux qui ne quitteraient jamais son corps.
- Non Sourwolf.
Derek poussa un soupir qui se voulut léger et un peu boudeur, mais il n'arrivait pas à contrôler suffisamment son visage pour faire illusion. De toute manière, comédie ou pas, Stiles le connaissait par cœur et était capable de déceler le moindre de ses mensonges. Il n'avait pas besoin de sens surnaturels pour deviner ses émotions. Ses yeux humains et sa connaissance du personnage suffisaient amplement.
Il se leva, tendit sa main à son homme, qui la saisit après l'avoir fixée de longues secondes d'un air incertain.
- Je serai doux comme un agneau, lui certifia Stiles en lui faisant un clin d'œil quelque peu tendancieux.
Derek eut un temps mort avant d'esquisser un rictus amusé. Son mari hyperactif ne faisait pas cette blague au hasard : il lui avait sorti la même phrase que cette fois-là, il y a quelques mois, où ils avaient échangé les rôles au lit sous sa demande impérieuse. Stiles avait su se montrer très persuasif – et l'expérience avait été étonnamment sympathique.
Mais Derek perdit tout semblant de sourire lorsqu'ils pénétrèrent dans la salle de bain. Stiles sortit une boîte de l'un des placards les plus au fond de la pièce et enjoignit au loup de se déshabiller et de s'assoir au bord de la baignoire en prenant un ton léger des plus trompeurs. Il sentit tout autant qu'il vit Derek se raidir et fit comme si ça ne lui faisait rien. Pourquoi ? Pour le mettre à l'aise. Lui donner l'impression que ça allait aussi de son côté. Stiles maîtrisa au mieux la tension de ses mains et de ses doigts alors qu'il sortait le matériel dont il avait besoin. Ah, tiens, il faudrait qu'il pense à acheter des compresses le lendemain...Il lui en restait assez pour trois séances de traitement supplémentaire, mais c'était passablement insuffisant. Si les choses restaient telles qu'elles, Derek en aurait sans doute pour quelques mois encore. Une fois qu'il eut tout installé, Stiles se tourna vers son compagnon et vit son regard collé au miroir. Un regard indescriptible tant il était complexe, mais très parlant. La lueur qu'il y voyait... Bordel, il la connaissait bien.
Et chaque fois, elle lui nouait les entrailles avec une force indéniable.
- Dos au miroir, chéri, lui rappela-t-il.
Ce n'était pas obligatoire, mais Stiles trouvait que c'était bien mieux de lui épargner cette vue directe qui le faisait cauchemarder. Se voir était une chose. Scruter son reflet et s'attarder sur le moindre détail en était une autre. Et ça, Derek le savait. C'était pour cette raison qu'il s'exécutait toujours, ne réfutait jamais cet ordre déguisé. Lui-même devait se protéger... Mais il n'y pensait pas, alors Stiles le faisait pour lui.
Le regard de l'hyperactif descendit, un peu. Accrocha les bandages sur son torse, la peau épargnée mais rougie par endroits. Il faudrait qu'il soit fort, comme toujours, pour ne pas flancher devant les véritables blessures de Derek. Stiles contrôla la bouffée de haine qui l'envahit. Plus jamais, se répéta-t-il. Plus jamais il ne serait absent. Plus jamais il ne laisserait son ancienne meute sacrifier son homme de la sorte.
Plus jamais il ne la laisserait approcher sa famille.
Ragaillardi par cette émotion plus que négative mais particulièrement bien dissimulée, Stiles s'en servit pour se donner du courage. Après avoir désinfecté ses mains, il entreprit de retirer le bandage et la gaze du bras gauche de Derek avec une délicatesse infinie et une habitude indéniable. Il y allait toujours doucement, par petits morceaux et faisait en sorte que Derek voie ses blessures le moins possible. C'était pour cela qu'il attendrait d'en avoir fini avec le bras gauche pour s'attaquer au droit, puis au torse et enfin, à sa jambe gauche. Attentif à la moindre réaction de son homme, Stiles nota ses traits crispés et pas seulement à cause de ce moment peu agréable qui lui rappelait forcément de mauvais souvenirs. Derek avait mal. Il souffrait sans arrêt et c'était d'autant plus vrai dans ce genre de moments où sa sensibilité lupine était mise à rude épreuve. Son sens du toucher était décuplé à outrance : envoyait mille informations et signaux à son cerveau.
Stiles se concentra et ravala la montée de bile qu'il eut à la vue de la brûlure qui s'étalait sous ses yeux. Une brûlure au troisième degré profond, selon Alan Deaton. Elle guérissait lentement, comme toutes ses autres brûlures.
A vitesse humaine.
- Tu n'es pas obligé...
Stiles releva un œil inquisiteur et des sourcils légèrement froncés vers le regard désolé de Derek.
- Tu le ferais, toi ? S'enquit-il, absolument peu convaincu.
- Non...
Ou alors peut-être que si, mais pas forcément bien. Derek ne savait pas prendre correctement soin de lui-même. Il n'avait jamais réellement su se préserver, même lorsque tout allait à peu près bien dans sa vie. A contrario, il se préoccupait beaucoup des autres, parfois un peu trop. En cela, Derek ressemblait à son mari, et inversement.
- Laisse-moi jouer à l'infirmière... A défaut d'être dans une tenue sexy ou de posséder une paire de pamplemousses, je suis efficace et je sais y faire, assena Stiles en s'emparant d'un produit.
Derek émit un petit rire et se détendit un peu. Pour le coup, l'hyperactif savait effectivement bien s'occuper de lui. Il faisait ça mieux que personne. Même là, alors qu'il avait déjà commencé à torturer son bras, il le sentait à peine. Beaucoup pensaient autrefois Stiles maladroit avec ses dix doigts à cause de son TDAH, mais il savait réellement y faire. Il faisait preuve d'une minutie impressionnante et prenait des précautions parfois impressionnantes pour, aux yeux de Derek, pas grand-chose. Et juste comme ça, en lui parlant, en lui occupant l'esprit, Stiles arrivait à faire en sorte qu'il ne sente pas la douleur et les irritations de sa peau brûlée à outrance. Le tout, sans jamais se démonter.
Derek n'était toutefois pas entièrement dupe et savait que ce qui marquait son corps n'était pas beau à voir : lui-même n'arrivait pas à fixer ces horreurs trop longtemps sans se laisser happer dans une espèce d'état phasique tout sauf bon pour lui. Une espèce de curiosité morbide l'y poussait et chaque fois, Stiles était là pour le rappeler à l'ordre, faire en sorte qu'il ne se perde pas dans sa tête, dans ces souvenirs qui ne le quittaient pas.
Le pire, c'était dans ces moments-là. Ceux où il fallait s'occuper de lui, de ses brûlures. Matin et soir. Tous les jours. Cette routine-là ne souffrait d'aucune exception au grand dam de Derek, qui n'aspirait qu'à un peu de paix et en même temps, il comprenait. Il sentait qu'il le fallait. Que grâce à cette assiduité dans son traitement, Stiles lui évitait des problèmes certains. Selon Deaton, l'infection et les nécroses figuraient parmi les plus grosses complications qu'il pourrait avoir à subir en cas d'erreur d'asepsie ou de manquement dans son traitement. Tout ça parce qu'il n'arrivait pas à faire fonctionner son métabolisme lupin. Il était bloqué, incapable de passer outre ces images qui le hantaient avec presque autant de puissance que le premier jour.
Il guérissait comme un humain et étrangement, cette sensation ne lui était pas étrangère. Sauf que cette fois-ci, il en garderait un souvenir physique plutôt macabre s'il ne retrouvait pas sa guérison lupine bientôt. Les brûlures deviendraient des marques et... Il ne pourrait définitivement plus s'en détacher.
Combattre ses pensées et les réminiscences de ce jour funeste était une bataille de chaque instant. S'il réussissait à résister plus ou moins bien le jour, la nuit le submergeait sous ses cauchemars incessants. C'étaient toujours les mêmes. Il n'y avait aucune surprise. Le déroulé restait identique et la fin... Il ne s'en souvenait jamais parce que... Ce jour-là, il avait perdu connaissance, battu à plate couture par la douleur des flammes qui avaient rongé certaines parties de son corps jusqu'à l'os. Ce n'était qu'une fois inconscient et sorti de là qu'il avait guéri le plus important. Cela avait pris du temps. Des heures. Un temps durant lequel le coma l'avait emporté. Derek ne savait pas vraiment ce qui l'avait réveillé à ce moment-là mais avec le recul... Il aurait préféré rester dans cet état léthargique un moment encore avant de se réveiller... Et de voir brutalement sa guérison se stopper.
Parce qu'en reprenant connaissance, le choc de ce qui lui était arrivé l'avait plongé dans un état mental désastreux. Il ne faisait pas partie de ces chanceux qui avaient oublié, non.
Il se souvenait de chaque détail de ce jour sordide avec une précision affolante. Il avait parfois la sensation, comme lors de ses cauchemars, de sentir les flammes s'élever à nouveau dans un bruit de crépitement net. Trop clair. Trop fort dans ses oreilles. Il y avait la chaleur aussi, cette façon qu'avait eu le feu de s'enrouler autour de ses membres, de...
- Der, reste avec moi.
Derek revint brutalement à la réalité et reporta son attention sur son humain qui le regardait avec inquiétude. Stiles avait suspendu ses manipulations et lui tenait les mains, qu'il pressa doucement entre les siennes.
- Calme-toi et respire, je suis là, fit lentement l'hyperactif.
De quoi parlait-il ? Derek eut envie de le lui demander, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Il était muet.
- Tout va bien, continua l'humain, sans cesser de le fixer intensément et d'une manière bien étrange. Der, chéri, reste avec moi s'il te plaît.
Oui, tout allait bien, alors pourquoi... Derek ne comprenait pas. Il sentit tout autant qu'il vit Stiles prendre son visage en coupe et se rapprocher de lui comme s'il y avait un problème, un vrai. Sauf que Derek ne voyait pas quoi. Le monde lui paraissait certes un peu flou, et lointain mais... Il se sentait parfaitement calme.
Pourtant, il ne l'était pas.
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