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Comme tous les soirs après les cours, Corentin se dirigeait vers le square. Ses écouteurs vissés aux oreilles, il avançait sous le soleil couchant, comme s'il n'avait peur de rien. Même s'il savait au fond de lui que c'était faux, que ce n'était qu'un masque pour se cacher des autres, mais aussi et surtout de lui-même.

Corentin était effrayé. De quoi ? Il ne le savait même pas. De la routine ? De la mort ? De l'avenir ?

Il s'assit sur son banc, posa son sac par terre et pencha sa tête en arrière, laissant ainsi son visage profiter de la fraîcheur ambiante. Il ébouriffa de sa main droite la tignasse brune qui lui servait de cheveux. Un sourire se forma sur son visage. Il avait probablement l'air pathétique.

Il secouait doucement sa tête au rythme de la musique, essayant de chasser de son esprit toute cette merde, avant de se rendre compte qu'il n'en avait pas besoin. Sa tête était pleine, mais de vide, de choses n'ayant aucun sens.

A seize ans, malgré la pression que ses parents lui mettaient, il n'avait aucune putain d'idée de ce qu'il voulait faire. Il ne voyait pas à quoi tout ce gros bordel organisé, qu'on appelle société, servait. Sérieusement, il était d'accord sur le fait que tout le monde avait le droit à un minimum d'éducation, ne serait-ce que pour avoir son esprit forgé à pouvoir critiquer, mais il avait l'impression que 98% des gens peuplant ce merveilleux pays qu'est la France ne savaient pas réfléchir autrement que pour un but lucratif. Avoir le cul collé à sa chaise, cette même chaise avec les quatre pieds devant un bureau, ce n'était pas vraiment ce qu'il appellerait « vivre ».

« Et puis putain, des millions de gens crèvent de famine, de maladie ou de déshydratation, et personne ne réagit ? Et on ose s'appeler pays développé ? pensa-t-il rageusement. »

Ce monde était décidément incompréhensible aux yeux du jeune homme.

Toutes ces idées s'enchevêtraient dans son cerveau, pour ne plus former qu'une tempête dévastant sur son passage tous les anciens projets qu'il avait eus étant enfant. Médecin ? Pour quoi faire ? Soigner des gastros et des rhumes toute sa vie ? Non merci ! Plombier ? Réparer des chiottes deviendrait le quotidien ? Non plus, il s'en passera.

Corentin ouvrit les yeux. Il avait senti comme du mouvement près de lui. En face de son sac, tendant un verre en plastique ayant perdu sa fonction première, un vieillard le regardait. Corentin vit ses lèvres se mouvoir, alors il retira une de ses écouteurs.

« ... alors si tu pouvais me donner ne serait-ce qu'une pièce, je pourrais m'acheter une pomme !

—Euh... hésita-t-il. »

Lui restait-t-il de l'argent ? Il ouvrit son sac noir et en sortit son portefeuille. Il ouvrit la fermeture éclair, puis fronça les sourcils en relevant la tête.

« Je suis vraiment désolé, je n'ai plus rien.

— C'n'est pas grave t'en fais pas, renifla le vieil homme. »

Une main sur le dos, il s'assit lentement sur le banc à côté du jeune homme, une grimace déformant son visage ridé. Une fois posé, il sortit de sa poche une barre de céréales à moitié consommée.

« Je comptais la garder pour ce soir, mais j'ai faim, je me débrouillerai. »

Corentin hocha la tête doucement, ne sachant que répondre. Il détailla de ses yeux le drôle de bonhomme assis à côté de lui. Il portait un treillis, et des bottes marron usées. La semelle droite se décollait au bout. En haut, une polaire surmontée d'une parka trouée l'habillaient. Mais ce n'est pas la pauvreté visible dans ces vêtements qui frappa le plus Corentin. Non, ce qui le marquera probablement pour le restant de sa vie, c'était ses yeux, bleus et pétillants. Cela formait un tel contraste avec le reste du personnage.

« T'en veux un bout ? »

Le vieil homme releva la tête, surprenant Corentin qui le dévisageait, plissa les yeux, et gratta sa courte barbe blanche de sa main.

« Que se passe-t-il ? De l'or a poussé dans mes narines ? rigola-t-il. »

Corentin cligna des yeux, abasourdi. Cet homme était dans une situation absolument misérable et il arrivait pourtant à rire et à partager sa maigre nourriture alors que l'adolescent ne savait même pas s'il avait esquissé un seul sourire dans la journée.

« Pas très bavard comme garçon, commenta le vieillard en enfournant une autre bouchée de sa barre dans sa bouche.

—Je dois y aller, annonça brutalement Corentin en se levant.

— Passe une bonne soirée ! cria le pauvre homme alors que le jeune était déjà à la sortie du parc. »

Celui-ci se retourna une dernière fois observant le vieillard, assit seul sur son banc, et savourant en silence sa maigre provision.

Et pour la première fois de la journée, peut-être même de la semaine, les lèvres de Corentin formèrent une esquisse de ce qu'on pourrait appeler « sourire ».

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