trois


Une semaine suite à l'étrange rencontre avec le vieil homme, Corentin retourna au parc. En effet, celle-ci l'avait quelque peu chamboulée, et lui avait fait prendre conscience que certaines personnes étaient plus malheureuses que lui. Ce petit vieux avait chamboulé toutes ses statistiques. Il aimerait le revoir, revoir cet homme qui avait laissé entrevoir un petit rayon de soleil dans sa vie nuageuse. Mais il savait que ses chances étaient minces. C'est pourquoi il ne fut aucunement surpris de ne voir personne sur le banc, où il s'assit donc seul.

Ces dernières mois, tout se ressemblait. Les semaines, les jours, les heures. Sa vie était l'incarnation de la routine, et il ne savait que faire pour changer ça.

Ce week-end, il allait probablement le passer à jouer de la musique, à rêvasser sûrement, peut-être à travailler un peu s'il trouvait le courage. Ses parents, depuis qu'il avait perdu une jambe, le laissaient tranquille. En fait, ils le chouchoutaient depuis ce jour. Mais Corentin n'aimait pas trop qu'on fasse une différence. C'est pourquoi personne au lycée, mise à part la prof de sport, ne savait que ce n'est pas une jambe qu'il avait au bout du genou, mais une prothèse. Toujours les mêmes semaines, toujours les mêmes week-ends, les mêmes mois, même les années se ressemblaient.

« Je ne sais pas à quoi tu réfléchis, mais ça à l'air d'être très profond. »

Corentin releva la tête en sursaut. Devant lui se tenait le vieillard, toujours son gobelet en main. Il le regarda un moment, avant de se décider à répondre. Après tout, c'était un homme comme les autres.

« Si je vous dis que je réfléchissais au sens de la vie, je vais vous effrayer ? demanda le garçon, le visage neutre.

—Pas vraiment, j'ai le temps d'y réfléchir aussi pendant mes journées, rigola-t-il.

—Et...Quelle est votre opinion ? questionna Corentin, après un instant d'hésitation.

—L'opinion du « sens de la vie » comme tu l'appelles, est personnelle je pense, c'est à toi de te forger la tienne. Ils ne vous apprennent pas ça à l'école ? interrogea le sans-abri, les sourcils froncés.

—Je ne sais pas, je n'écoute pas vraiment ce qu'ils disent.

—Tu devrais. L'école est gratuite, on vous instruit gratuitement, et vous n'en profitez pas. Tu es quand même au courant de ce qu'il se passe autour du monde ? Dis-moi que tu n'es pas un de ces gamins prétentieux qui sans s'en rendre compte, font passer leur malheur avant celui des autres, même s'il est moindre, grogna le vieux monsieur.

—Je ne pense pas non. En même temps, vous avez dit que les gens comme ça ne s'en rendaient pas compte, alors comment j'fais pour savoir ? »

Le vieux laissa échapper un petit rire avant de répondre plus sérieusement :

« J'ai vu ta jambe garçon, enfin plutôt ton absence de jambe. » marmonna-t-il. 

Corentin baissa instinctivement sa tête vers sa prothèse, gêné.

« Ne prends pas peur hein, c'est juste que j'aime bien observer les gens dans la rue, et leur imaginer une histoire. J'ai que ça foutre de toute façon, dit-il dans un sourire.

—Vous avez inventé une histoire pour moi alors ? demanda l'adolescent, désireux de changer de conversation.

—Oui, et j'étais plutôt fier de celle-ci. C'est une de mes préférées.

—Vous pouvez me la raconter maintenant ?

—Non. » décida le vieux. 

Il se pencha vers son sac, et en sortit une pomme rouge.

« D'abord, mangeons ! annonça-t-il en faisant apparaître un couteau suisse de la poche de son manteau. »

Il coupa la pomme en quarts, et en donna deux à Corentin. Cette fois-ci, ce dernier ne refusa pas, il était presque dix-neuf heures, et l'adolescent commençait à avoir faim. Ils dégustèrent leurs bouts de pommes en silence, et Corentin se promit de lui ramener du pain de la cantine la prochaine fois.

Lorsqu'ils eurent fini, le vieux sans-abri commença à raconter l'histoire de Corentin, comme un père le ferait à son enfant :

« Il était une fois un aventurier, nommé ... Quel est ton nom, petit ?

—Corentin.

—Il était une fois, un aventurier, nommé Corentin, qui parcourait le monde à la recherche d'un trésor. Pas d'un trésor habituel, composé d'or et de joyaux, mais d'un trésor immatériel : le bonheur. »

Le concerné s'était installé en tailleur sur le banc, et regardait le vieil homme avec un petit sourire aux lèvres.

« Un jour, alors qu'il se baladait Espagne, à Cordoue précisément, une vieille dame vint le voir et lui dit : toi, tu cherches le bonheur. Étonné, le jeune homme acquiesça. La vieille dame reprit : Ça ne sert à rien. Le bonheur apparaît lorsqu'on s'y attend le moins, et non en le cherchant. Alors continue de voyager, mais sans buts précis. Rencontre des gens, et vis pour toi-même, pas pour une quête. Alors le bonheur viendra. Puis elle s'en va. Depuis ce jour, Corentin voyage et rencontre des gens. Depuis ce jour, Corentin est heureux. »

Quelques secondes de silence suivirent la fin cette histoire.

« Je dois y aller, annonça Corentin.

—Pas de problème, je comprends. Tu reviendras me voir ? demanda le vieil homme, une nuance d'espoir dans la voix.

—Oui, je suis sûr que vous avez d'autres histoires à raconter, assura Corentin en se levant. »

Il fit un signe de la main, et s'éloigna, le sourire aux lèvres. Ce vieux bonhomme était décidément étrange. Mais ce qui était encore plus étrange, c'était que Corentin appréciait cette étrangeté, et appréciait cet homme.

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