six

Le lendemain, Corentin fut en avance. Il était arrivé au lycée à sept heures cinquante, alors que la sonnerie ne retentissait que dix minutes plus tard. Il en fut lui-même étonné.

La musique se déversant dans ses oreilles, il se rendit compte de l'arrivée de la jeune fille tant attendue lorsqu'elle lui donna une petite tape amicale sur la tête. Il enleva alors ses précieux écouteurs.

« Tu viens, faut que j'aille me fumer une clope, ordonna-t-elle d'une voix joyeuse. »

Corentin acquiesça, et se leva pour la suivre. Lorsqu'ils furent en dehors de l'enceinte du lycée, l'adolescente demanda tout en sortant une cigarette de sa poche :

« Bon, alors c'est quoi toi ta particularité ? »

Corentin fronça les sourcils devant l'étrangeté de la question.

« Euh, comment ça ?

– Ce qui te rend spécial quoi, expliqua-t-elle. »

Elle mit le bâton de mort dans sa bouche, et l'alluma en protégeant la flamme du briquet avec sa main.

« Alors ? demanda-t-elle sans ouvrir les lèvres, la cigarette l'en empêchant.

– Euh... J'ai une jambe en moins, confia-t-il.

– Ce n'est pas ce que je t'ai demandé. Même si c'est important dans ta vie, ça ne te rend pas spécial, tu vois. Enfin ce n'est pas une raison pour laquelle les gens traînent avec toi.

– Personne ne traîne avec moi.

– Si, moi. Et je cherche à savoir pourquoi, alors creuse toi un peu les méninges. »

Cette fille était vraiment étrange. Mais peut-être avait-elle raison. Finalement, sa singularité à elle, n'était-ce pas ce qui l'avait fait l'attendre ce matin ? Il aurait très bien pu faire comme si rien ne s'était passé, et continuer sa routine. Mais il l'avait attendu.

« Ma banalité ? tenta-t-il.

– Pas mal ouais. Rien que le fait que tu dises ça prouve que tu n'es pas banal.

– Mon insociabilité. Comme ça on forme un peu le ying et le yang tu vois. »

La jeune fille rigola, d'un rire clair et agréable, qui fit l'effet d'une bourrasque fraîche à Corentin, comme après avoir mâché un chewing-gum à la menthe.

« C'est vrai qu'on est un peu opposé là-dessus. T'as pas dû trop comprendre que je vienne te voir comme ça, pour te demander de traîner avec moi.

– Non, mais... »

La sonnerie le coupa. La brune écrasa le reste de sa cigarette sous sa Converse, et partit en direction du lycée, Corentin à ses côtés.

« Je ne pense pas qu'on soit dans la même classe, avança-t-elle, alors à ce soir.

– Ouais, à ce soir, approuva-t-il. »

Toute la journée, il la vit en compagnie de différentes personnes. À l'heure du déjeuner, il l'aperçut attablée avec une dizaine de lycéens. En une journée, elle connaissait plus de monde que lui en deux ans et demi. Il ne savait pas si leur accord de ce soir tenait toujours, mais il se décida à y aller. Il n'avait rien à perdre de toute façon.

Il l'attendait devant le lycée, assis sur une marche de l'escalier qui menait au hall, lorsqu'elle s'accroupit à ses côtés.

« Hey, on sort.

– Ouais, répondit-il simplement. »

Ils se levèrent d'un même mouvement, se dirigeant vers le portail.

« Alors, cette première journée ? se risqua-t-il à demander.

– Ça passe. Ils sont contents d'avoir une nouvelle pote lesbienne tu vois, donc je suis plutôt bien accueillie.

– T'as pas besoin de ça, marmonna Corentin.

– Non, c'est vrai, approuva-t-elle, un sourire en coin plaqué sur son visage. Mais ça facilite la chose quand même. »

Ils se turent un instant, leurs pas les menant naturellement au parc.

« Bon alors, qu'est-ce qui te rend spécial ? demanda l'adolescente en se dirigeant vers un banc.

– J'y ai pas trop réfléchi.

– Pas besoin d'y réfléchir, ça doit venir tout seul.

– Et bien je suppose que je n'ai rien de spécial, souffla le garçon avec agacement.

– Impossible, même les personnes les plus superficielles ont quelque chose de spécial. Et si tu ne trouves pas, je comprendrai moi-même ce qui m'a amené à venir te voir. »

Corentin ne répondit rien observant ses pieds au bout de ses jambes (ou plutôt sa) tendues.

« Je dois y aller. Pense pas trop à ça hein, que ça ne t'empêche pas de dormir, rigola-t-elle. »

Il hocha la tête en silence, par fierté, sûrement. Elle lui adressa un dernier sourire avant de s'éclipser.

Pendant cinq minutes, un débat mental eu lieu, opposant la voix qui disait que Corentin n'était rien, et celle qui disait qu'il avait quelque chose d'unique. Mais il prit fin lorsque Corentin releva la tête, et croisa le regard de la jeune fille d'hier.

« Hé ! l'interpella-t-il avant qu'il puisse se retenir. »

La jeune fille tourna son visage dans sa direction, les sourcils froncés. Puis elle repartit, comme si de rien n'était. Elle s'assit sur le banc voisin.

Il fallait qu'il aille la voir. Ce serait probablement son unique chance.

« Non. Tu n'es rien, elle te trouvera bizarre, et partira. » et « Vas-y, prouve-toi que tu vaux quelque chose. » s'opposaient dans son esprit.

Il se décida et se redressa vivement sur ses pieds, ayant peur de changer d'avis, et alla s'asseoir à côté d'elle.

« Salut, commença-t-il d'une voix qu'il voulait aimable. Je sais que ça peut paraître bizarre qu'un mec que tu ne connais pas vienne te voir comme ça, approuva-t-il alors qu'il la voyait froncer encore plus ses sourcils.

– C'est pas que ça peut paraître bizarre, c'est bizarre, corrigea-t-elle.

– Oui c'est vrai, concéda-t-il. Euh... En fait je t'ai vu parler hier avec un vieil homme et... »

Le visage de la jeune fille s'éclaira soudain, et elle s'exclama :

« Ah oui, tu es celui avec qui il est allé parler après non ? Corentin, c'est ça ? demanda-t-elle alors qu'il acquiesçait à ses deux questions.

– Ouais, c'est moi. Et toi... ?

– Anastasia, révéla-t-elle dans un sourire.

– Et bien content de te connaître, Anastasia.

– Ouais, contente de te connaître aussi, Corentin. »

Ils restèrent assis en silence durant une bonne minute, avant que Corentin n'ose demander :

« T'avais quoi hier ?

– Tu ne me connais même pas, je te rappelle, rigola-t-elle doucement.

– Justement, je fais ça pour...apprendre à te connaître ? »

La blonde secoua la tête en souriant, avant de lui confier sur un ton plus tendu qu'un de ses proches était décédé.

« Oh, merde.

– Huhum, approuva Anastasia. »

Corentin n'avait jamais été doué pour savoir dire les bonnes choses au bon moment. Elle prit une grande inspiration, avant d'annoncer son départ. Il la vit avoir un temps d'hésitation, avant qu'elle ne se penche et lui fasse la bise. Elle se sauva ensuite, le laissant seul.

L'adolescent remarqua qu'il n'avait pas vu le vieux aujourd'hui. Sûrement l'avait-il vu avec Anastasia ou Thea, et n'avait pas voulu les déranger. Il prit son sac et s'en alla, laissant les rires d'enfants derrière lui.

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